Recommandations au départ de l’expérience des Centres locaux de promotion de la santé
Dans la première partie de cet article, il s’agissait de s’entendre sur le sens du mot ‘réseau’, sur les raisons qui font que les réseaux se créent et sur la façon dont les centres locaux de promotion de la santé, au départ de leur situation privilégiée dans leur ressort territorial peuvent s’impliquer dans les réseaux.
Cette seconde partie précise concrètement les rôles que les CLPS peuvent jouer pour contribuer à la réussite des dynamiques mises en place.
Des méthodes éprouvées
Les expériences des CLPS montrent que, en tant qu’animateur/facilitateur de réseau, ils sont confrontés à de multiples questions. Comment :
- gérer la ‘mobilité’ des partenaires (présence permanente ou ponctuelle, changement des représentants) ?
- gérer la diversité du partenariat (gestion des enjeux différents, de la pluralité, de l’intersectorialité, des attentes différentes, etc.) ?
- gérer le nombre de partenaires ?
- gérer la tension inévitable entre les objectifs spécifiques de chaque institution et les objectifs communs de l’ensemble des membres du réseau ?
- intégrer des nouvelles institutions ?
- amener des partenaires ‘utiles’ au projet quand ils ne sont pas présents ?
- gérer la communication au sein du réseau (circulation de l’information) et en dehors du réseau (donner de la visibilité) ? Qui s’en occupe ?
- prendre les décisions, sur quel mode ?
- autonomiser un réseau (dans le cadre d’une diminution du rôle porteur du CLPS) ?
- inscrire le réseau dans une démarche évolutive ?
- définir le rôle et la place des partenaires (notamment quand le fonctionnement du réseau évolue) ?
- définir le territoire d’action pertinent pour mener le réseau ?
- gérer la disponibilité et les temporalités différentes des partenaires ?
Même s’il n’existe pas de recette unique, différents éléments favorisent la réussite de l’animation d’un réseau. Relevons-en trois.
Les étapes de mise en œuvre d’un réseau
Comme pour la méthodologie de projet, la mise en place d’un réseau passe par différentes étapes.
Au départ des expériences des CLPS, on peut mettre en avant les étapes suivantes dans la mise en place d’un réseau :
- apprendre à se connaître;
- clarifier les enjeux de la création du réseau
- identifier les points communs et les problématiques communes;
- déterminer les objectifs, les changements espérés et les plans d’action (stratégies et méthodes);
- déterminer la structure et le mode de fonctionnement du réseau;
- définir le rôle de chacun;
- organiser les activités;
- évaluer le processus et les activités réalisées.
Il faut toutefois noter que ces différents points ne sont pas à concevoir de manière linéaire (l’ordre des étapes n’est pas toujours le même) et qu’il n’est pas toujours nécessaire de passer par l’ensemble de ces étapes.
Dans l’ouvrage Les partenariats en question, on retrouve de manière plus détaillée les différentes étapes significatives pour la mise en place d’un partenariat (voir figure 1) : définir la portée, identifier, bâtir, planifier, gérer, mobiliser les ressources, exécuter, mesurer, analyser, modifier, institutionnaliser, consolider ou mettre fin.
Figure 1 – Les étapes de la mise en place d’un partenariat
Les attitudes à adopter
L’animateur de réseau est un facilitateur. Il est l’une des personnes qui permet au réseau de vivre et de produire du dynamisme.
D’après les expériences des CLPS dans ce rôle, différents points d’attention sont à prendre en compte. En voici huit.
Identifier et impliquer les partenaires potentiels dès le début du projet.
L’animateur doit, quand c’est possible, construire le réseau sur des concertations locales existantes et sur des habitudes de partenariats déjà présentes (sur lesquelles le réseau pourra s’appuyer) ainsi que sur les ressources existantes, souvent spécifiques à chaque territoire.
Développer une vision partagée des besoins existants et des objectifs à atteindre.
Le défi est de faire converger les enjeux propres à chaque membre vers l’enjeu global du réseau. Une personne ou une institution ne s’investira de manière constructive que si au moins un des objectifs du réseau correspond à ses objectifs personnels ou institutionnels.
Le rôle de l’animateur est d’aider à définir et à formaliser des intérêts communs, à définir collectivement l’identité et le fonctionnement du réseau, et à organiser le recueil de données sur le problème identifié. Quand c’est possible, il est intéressant de pouvoir s’appuyer sur une demande existante.
Faciliter le travail des partenaires.
L’animateur est le facilitateur du fonctionnement du réseau en assumant différentes tâches opérationnelles comme : préparer et structurer les temps de réunion (pour en faire des moments de travail performants), planifier le travail, coordonner les activités et tâches de chacun, veiller à la gestion du temps nécessaire à la réalisation des différents projets, etc.
Dans le cadre de cette fonction, il devra développer des compétences dans différents domaines : techniques d’animation, de conduite de réunions, de gestion de la dynamique de groupe, capacités de développer des contacts et des relations humaines, etc.
Pour faciliter le travail, l’animateur peut structurer, si nécessaire, différents niveaux de fonctionnement : un comité de pilotage, des assemblées plénières, des groupes projets, etc. Pour maintenir l’implication des partenaires, il privilégiera la réalisation de projets concrets, des réussites, qui permettent aux partenaires d’avoir un sentiment d’efficacité («Les partenaires sont satisfaits, on voit qu’on avance»).
Mettre en place les moyens de communication pour faciliter les échanges entre les partenaires.
Il faut mettre en place et gérer un système d’information. «Pour cela, l’animateur doit penser à toute l’information qui circule, à sa forme, aux supports les plus utiles; il s’occupe de mémoriser l’information nécessaire, de l’archiver, de la ranger, de façon à ce qu’elle soit disponible pour chacun au moment où il en aura besoin; mais il est aussi un pousseur d’information : il diffuse, publie, envoie, met à disposition, fait circuler, etc.»
Veiller à répartir les tâches de manière équilibrée et en fonction des possibilités, des spécificités et de la disponibilité des partenaires.
L’animateur doit veiller à solliciter le réseau pour la réalisation des tâches liées à son fonctionnement et ne pas tomber dans le piège de tout faire soi-même. En agissant ainsi, il fait travailler les membres ensemble, qui développent des liens et se sentent partie prenante du réseau et de ses projets.
Veiller à la visibilité et à la reconnaissance des partenaires (notamment via la notoriété du réseau et des activités organisées).
Dès que c’est possible, il faut mettre en valeur ce qui est réalisé par le réseau (publications, couverture presse, etc.).
D’autre part, «l’animateur est à la fois le porte-parole du réseau vis-à-vis de l’extérieur, et la personnalisation du réseau dans l’esprit d’autres personnes, vis-à-vis d’autres structures. Toutefois, l’animateur aura souvent intérêt à partager ce rôle avec de simples membres du réseau : cela permet à ce dernier d’être présent dans plus de manifestations ou de réunions, cela permet aussi de renforcer l’appropriation du réseau par les membres qui agissent en représentants».
Mettre de la convivialité dans les relations entre les personnes, créer du lien et du contact interpersonnel.
Travailler en réseau, c’est aussi développer des nouvelles manières de collaborer, basées sur la convivialité, la solidarité et la bonne humeur, autant d’éléments qui vont donner aux personnes l’envie de travailler ensemble.
Aider le réseau à évoluer.
L’animateur doit permettre aux membres du réseau de faire le point régulièrement sur son fonctionnement, ses objectifs et ses réalisations. Ce sont ces moments d’évaluation qui vont permettre au réseau d’évoluer, de s’ouvrir vers d’autres partenaires, d’identifier de nouveaux projets, etc. C’est aussi lors de moments d’essoufflement qu’il est utile de revenir aux questions de départ : qui sommes-nous, qu’est-ce qui nous relie, que souhaitons-nous faire ensemble, etc. ?
Ces attitudes identifiées par les CLPS ont également été mises en lumière dans d’autres expériences.
Pour qu’un réseau soit dynamique et que les partenaires s’y investissent, certains facteurs récurrents ont été identifiés dans le cadre des réseaux territoriaux d’éducation à l’environnement :
- la liberté d’engagement, l’absence de contrainte institutionnelle. Chacun est libre de choisir le projet sur lequel il s’engage, de déterminer son degré d’implication, de se retirer d’un projet en cours. Cette liberté n’est pas un handicap, dans la mesure où le réseau parie sur le sens de la responsabilité de ses membres qui, avant de prendre une décision, en pèsent les conséquences;
- une organisation et des moyens de communication souples facilitant les contacts et le travail collectif;
- le plaisir de partager en dehors du travail en commun;
- la valorisation du travail effectué, la reconnaissance. Cette reconnaissance passe par les remerciements, mais aussi par les demandes de conseils, d’avis… qui prouvent à la personne qu’elle est quelqu’un qui compte et que ses ressources sont précieuses au réseau.
La certitude de retrouver un milieu à la fois connu et renouvelé (grâce aux mouvements d’entrée et de sortie des membres).
Bernard Goudet précise également qu’il y a une condition minimale pour constituer un réseau : identifier les attentes et les besoins de chacun afin de constituer une culture commune. Ce qui suppose d’établir un consensus minimal :
- sur l’interprétation des problèmes de santé et des problèmes sociaux que les professionnels rencontrent chacun de leur côté, de manière spécifique;
- sur de nouvelles pistes de compréhension ouvrant de nouvelles potentialités d’action qui permettront de dépasser la parcellisation des compétences, statuts et rôles des intervenants sociaux, souvent peu opérationnels face à la globalité et à la complexité des problèmes.
La rédaction d’une charte
Dans le cadre de plusieurs expériences, la rédaction d’une charte et son processus de rédaction ont été des éléments de renforcement du réseau.
Plusieurs points peuvent être précisés dans une charte :
- définir les valeurs partagées;
- présenter les objectifs poursuivis;
- préciser les engagements et tâches de chacun (trouver un bon équilibre entre une extrême précision qui pourrait enfermer les partenaires et une trop grande imprécision qui ne permettrait pas aux partenaires de saisir leurs rôles et place au sein du réseau);
- définir le mode d’organisation;
- proposer une durée de vie renouvelable au partenariat (qui permet à des partenaires de s’engager sur une durée précise et de réaffirmer – ou pas – leur adhésion à la fin de cette période).
Ces expériences ont également montré que la rédaction d’une charte est encore plus utile pour le réseau, quand elle se base sur les questions de chaque partenaire et qu’elle se fait dans le cadre d’un processus de co-construction (impliquer les partenaires dans la rédaction de cette charte est un moyen pour qu’ils se l’approprient).
Une charte peut également être utile quand on souhaite un engagement de l’institution (pour les personnes mandatées, il est parfois utile d’avoir cet engagement de leur hiérarchie) et quand il est nécessaire de préciser à quoi on s’engage (les institutions doivent savoir jusqu’où elles s’engagent quand elles s’impliquent dans un réseau).
Ces éléments sont également mis en avant dans l’analyse des réseaux d’éducation à l’environnement : «La charte regroupe l’ensemble des valeurs et principes fondamentaux d’une organisation, officielle ou non. Y sont généralement repris la philosophie, les finalités, les objectifs et parfois les principes de fonctionnement de l’organisation. Dans le cadre d’un réseau, l’élaboration d’une charte doit bien entendu être une entreprise collective.
La charte d’un réseau doit clarifier un certain nombre de points :
- l’objet du regroupement et de la mise en réseau, défini de façon précise, les valeurs qui y sont attachées;
- ce qu’on entend par réseau, les objectifs et finalités qu’on attribue à cette organisation;
- les missions et projets du réseau;
- les principes généraux de relation entre les membres (prise de décision, entrée/sortie dans le réseau, gestion des conflits, …)»
À vous de jouer…
Comme précisé au début, l’intention de cet article est de proposer des points de repères aux professionnels qui vont s’impliquer dans une démarche de travail en réseau. Ceux-ci sont à prendre comme des pistes et des points d’attention à avoir à l’esprit, mais pas comme une vérité universelle. La pratique a effet montré que malgré ce balisage, il y a toujours une part d’incertitude et des imprévus à gérer en cours de route… Et c’est sans doute aussi ça qui fait le charme du travail en promotion de la santé !
‘Travail en réseau et promotion de la santé, 1ère partie – Recommandations au départ de l’expérience des Centres locaux de promotion de la santé’, Les CLPS, Éducation Santé n° 310, avril 2015.
«Il faut distinguer les réseaux d’acteurs dont la finalité est de développer un projet et de le réaliser et ceux dont la finalité est plus idéologique et donc permanente. Dans le premier cas, il semble normal que le réseau puisse se dissoudre à l’issue de l’action. (…) Dans le second cas, les valeurs défendues étant permanentes, le champ d’action étant plus vaste, le réseau rebondit d’un projet à l’autre, en faisant évoluer sa vision des problématiques. Le réseau devient plus complexe et passionnant, et chacun s’y engage et se responsabilise davantage» in Fonctionner en réseau. D’après l’expérience des réseaux territoriaux d’éducation à l’environnement, Poitiers, Réseau Ecole et Nature, 2002, p. 64.
Arnoldy P., Les partenariats en question, Seraing, Centre de dynamique des groupes et d’analyse institutionnelle, Collection Culture en mouvement, 2011, p.29.
Créer et animer des réseaux: entre savoir être et savoir faire des développeurs économiques, Lyon, Groupe de travail Aradel sur l’animation de réseau, n°6, janvier 2004, p. 13.
Ibid.
Fonctionner en réseau. D’après l’expérience des réseaux territoriaux d’éducation à l’environnement, Poitiers, Réseau École et Nature, 2002, p. 17.
Goudet B., Développer des pratiques communautaires en santé et développement local, Lyon, Chronique sociale, 2009, p. 170-171.
Fonctionner en réseau. D’après l’expérience des réseaux territoriaux d’éducation à l’environnement, op. cit., p. 59.