En octobre dernier a eu lieu le Congrès de santé publique co-organisé par l’Association des Épidémiologistes de langue française (ADELF) et la Société Française de Santé Publique (SFSP).
À peine arrivée en Aquitaine, il ne m’a pas fallu longtemps pour faire des rencontres intéressantes puisque dans le tram, j’ai rencontré fortuitement une professeure d’université libanaise et une collègue luxembourgeoise, toutes deux à la recherche comme moi de l’Université Victor Segalen de Bordeaux 2 où se tenait le congrès. Le repérage des lieux était plutôt difficile, surtout sous un soleil de plomb, chargées comme nous étions de nos posters, mallettes, ordinateurs et autres objets encombrants. Nous avons dû marcher longuement avant de trouver l’Institut de Santé Publique, d’Épidémiologie et de Développement, où l’accueil charmant de l’équipe organisatrice nous fit rapidement oublier ce démarrage un peu compliqué.
Première mission pour Éducation Santé, monter son petit stand : un poster, une table, quelques dizaines de numéros de la revue parus cette année (1). En moins de deux heures, elles avaient toutes disparu ! Tant mieux…
Nous avons eu la chance ensuite de pouvoir exposer notre affiche dans l’espace réservé aux posters (scientifiques pour la plupart), répartis par thématiques tout le long de l’allée menant aux salles de travail : éducation pour la santé, santé au travail, inégalités… plus de 200 présentations imprimées au total, impressionnant !
La séance plénière d’ouverture a ensuite accueilli Alain Poirier, ancien Directeur national de santé publique du Québec, qui s’est penché sur la question essentielle de la ‘production de santé’ par les politiques. Ces derniers sont souvent débordés par la production de soins et services, alors que la santé est partout : aménagement urbain, éducation, logement, famille, transport, travail… Autant de lieux de décision à influencer pour améliorer la santé et prévenir la maladie.
Les sessions parallèles ont ensuite abordé des thèmes aussi intéressants que variés : dépistage des cancers chez la femme, prévention et réduction des risques, santé publique à l’hôpital, vaccination, réduction des inégalités de santé, prévention nutritionnelle, prévention des risques environnementaux, etc.
De quoi occuper nos longues journées, de 8h30 à 19h ! Éducation Santé a assisté pour vous à quelques ateliers, comme vous le lirez plus loin.
Le midi, nous pouvions profiter du superbe soleil bordelais (quelques jours «au-dessus des moyennes saisonnières» annonçaient les radios locales) en dégustant le ‘pack’ dîner que l’on nous concoctait chaque midi, généreusement rempli de petits pains garnis, de pain d’épice au foie gras et autres produits locaux, agrémentés d’un sympathique verre de Bordeaux. Le tout sur les pelouses verdoyantes de l’université, on ne va pas s’en plaindre.
Les sessions et ateliers d’échange
La session ‘évaluation des interventions complexes’ portait bien son nom… Complexe d’abord parce que la salle, trop petite, ne permettait pas d’asseoir tout le monde. Les orateurs étaient peu audibles du fond, énervant les uns, rendant les autres agressifs et ruinant finalement l’ambiance attendue de partage et d’échanges… Par ailleurs, les interventions étaient très orientées ‘recherche’, nous imposant des discours fort techniques.
Toutefois, on notera l’intervention communiquée avec humour et un accent québécois délicieux d’ Éric Breton, sur l’approche réaliste en évaluation de programmes. Celui-ci, pour illustrer cette approche, nous a parlé d’une intervention pour le moins inhabituelle sur deux porte-avions où l’on a sensibilisé et formé le personnel de cuisine afin de changer les pratiques de préparation des repas pour les marins.
Philippe Lorenzo , IREPS Picardie, a quant à lui mis en évidence le projet École 21, un dispositif pilote franco-belge innovant qui s’appuie sur le croisement des approches de promotion de la santé (Charte d’Ottawa et Écoles en santé) et du développement durable (Agenda 21). En effet, le plan d’actions des écoles participantes, accompagnées par des professionnels du secteur, doit promouvoir le bien‐être, la santé et la citoyenneté en leur sein, en s’appuyant sur une vision durable, environnementale, sociale et économique.
Ces deux initiatives de terrain ont heureusement agrémenté la session en lui conférant un caractère concret bienvenu.
Au contraire de la précédente, la session ‘éducation pour la santé’ était beaucoup plus axée sur des projets pratiques, de terrain. Avant de débuter une présentation passionnante sur une action de soutien à l’accessibilité des fruits et légumes pour les bénéficiaires de l’aide alimentaire, Geneviève Le Bihan , responsable de l’IREPS Languedoc-Roussillon, a quelque peu choqué l’assemblée en annonçant le dépôt de bilan de son institution l’avant-veille du congrès. «À l’heure où l’on parle de nouvelle politique de santé, il est temps de se poser des questions pour le personnel encore en place dans le secteur aujourd’hui…» a-t-elle dit.
Les autres présentations étaient également très intéressantes, un véritable partage d’expériences plus qu’un étalage de connaissances scientifiques ou de communications doctorales. Par exemple, Cécilia Sallé, IREPS Pays de la Loire, nous a parlé de ses ateliers santé auprès de personnes en difficultés sociales, espaces de réflexion où l’on peut élargir ses représentations, favoriser la création de lien et créer de ‘petits déclics’ pour entreprendre une démarche sociale.
Lors de la session ‘prévention, communication, information’ , différentes initiatives ont été mises en évidence comme une semaine d’information sur la santé mentale, des actions d’éducation et de prévention des comportements à risque à destination des étudiants, ou encore un service de rédaction de revues critiques de littérature pour faciliter le travail des acteurs de terrain par nos collègues de l’UCL-RESO. Les présentations ont soulevé beaucoup de questions, les participants avaient un intérêt réel pour les projets et semblent avoir appris pas mal de leurs pairs.
Il est à noter que d’autres intervenants belges étaient aussi de la partie parmi lesquels Axelle Vermeeren, Béatrice Swennen et Marie-Christine Miermans pour un exposé sur l’évaluation de l’implantation de la vaccination contre le papillomavirus dans les pratiques des services de santé scolaire en Fédération Wallonie-Bruxelles et un autre sur les résultats des mesures de couverture vaccinale en deuxième secondaire.
À la session intitulée ‘la publication scientifique par les acteurs de promotion de la santé : enjeux, besoins, initiatives’ , nous avons pu assister aux exposés de fervents défenseurs des enjeux de la publication en promotion de la santé parmi lesquels notre invité 15 jours plus tard, Alain Douiller, directeur du Codes Vaucluse (voir l’article de Christian De Bock dans ce numéro).
Il nous a entretenus des difficultés à faire écrire et publier par les acteurs de terrain de l’éducation pour la santé et ainsi de valoriser leur savoir-faire et leurs compétences. C’est avec feu l’IREPS Languedoc-Roussillon que le Codes 84 a co-organisé pour le secteur des modules de formation à l’écriture gratuits, alternant exercices pratiques et jeux d’écriture, apports didactiques et suivi personnalisé des projets d’écriture de chaque participant.
Le bonheur humain
Pour la plénière du dernier jour, le congrès a accueilli Michel Grignon, Directeur du CHEPA (Centre for health economics and policy analysis) de l’Université MacMaster d’Ontario (Canada) et Directeur de recherche associé à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (France).
Celui-ci a tenté de détricoter les idées fausses que la santé publique se fait de l’économie, parmi lesquelles celle qu’elle s’intéresse seulement à l’argent, oubliant la vraie valeur des choses, ce qui expliquerait pourquoi la prévention a l’impression d’être mal lotie par rapport au curatif. Sur un ton tantôt humoristique, tantôt provocateur, il a essayé de convaincre l’assemblée que l’économie partageait pourtant avec la santé publique le même souci du ‘bonheur humain’, mais avec des conceptions différentes qu’il convient d’essayer de faire se rejoindre pour pouvoir réaliser des projets de santé publique soutenus par les économistes… Il va sans dire que son exposé a suscité pas mal de réactions dans le public, loin d’être totalement conquis par cet orateur aux avis bien tranchés mais laissant place au débat.
Enfin, en discours de clôture, Pierre Lombrail, Président de la SFSP, nous a rappelé les grands principes de l’éducation pour la santé réaffirmés à l’occasion de ces trois jours de réflexion, ce qui est plus utile que jamais, tant en France qu’en Fédération Wallonie-Bruxelles d’ailleurs.
Ensuite, après l’attribution de deux ‘prix du poster’ par un jury représenté par Patrick Peretti-Watel, sociologue à l’INSERM dont notre revue est très ‘fan’ et Corinne Le Goaster, du Haut Conseil de la Santé Publique, tous deux co-présidents du comité scientifique, c’est Michèle Delaunay, Ministre déléguée aux Personnes âgées et à l’Autonomie qui a clôturé l’événement avec légèreté mais de manière très claire, en interpellant ses confrères «responsables de la mauvaise santé»…
Pour conclure, disons que ce congrès nous a permis de découvrir des personnes intéressantes, des actions innovantes et de nous inspirer de riches échanges entre professionnels de terrain très motivés. Même si, comme l’a souligné Pierre Lombrail, «le ‘bien suprême’, pour nous, la santé, ne l’est pas forcément pour tous», cet événement et les forces vives que nous y avons rencontrées doivent nous encourager dans la démarche que nous nous efforçons de soutenir et redonner sens à ce que nous faisons chaque jour.
Congrès ADELF-SFSP – Santé publique et Prévention – 17-19 octobre 2013 – Bordeaux.
Un numéro spécial de la revue Santé publique sera consacré aux actes de ce congrès. En attendant, son site propose des vidéos des séances plénières. À voir sur: http://adelf-sfsp-2013.sciencesconf.org.
(1) Parmi lesquels le numéro de mars, qui consacrait sa couverture aux réflexions d’ Eric Le Grand sur ‘Spiritualité et santé’. L’intéressé, présent à Bordeaux, a apprécié !