La Fondation contre le cancer tire la sonnette d’alarme. À la suite de sa demande, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a réalisé une étude sur la représentation du tabac dans les films diffusés en FWB.
Le tabac a disparu de nos espaces publicitaires, mais la cigarette occupe toujours une place importante au sein de la société. L’enquête du CSA montre que sur les 148 fictions analysées, 32 comportent au moins un produit de tabac ou un comportement tabagique, soit 22 %. Au total, 105 scènes de tabagisme, 130 produits du tabac, dont 2/3 représentent la cigarette, 101 personnages vus en train de consommer un produit lié au tabac, pour un total de 39 minutes de visibilité des produits du tabac. Entretien avec le Docteur Didier Vander Steichel, tabacologue et directeur général de la Fondation contre le cancer.
Cette étude, pour quelles raisons ?
« Pour deux raisons. Premièrement, l’OMS soupçonnait la présence de plus en plus fréquente du tabac sur les écrans, sans pour autant y apporter des éléments scientifiques afin de démontrer une potentielle stratégie de placement de produits de l’industrie du tabac. Cela correspondait également à un sentiment que nous avions nous même à la Fondation contre le cancer. Afin de vérifier cette impression, nous avons soumis la question à un acteur neutre et spécialisé », explique le tabacologue.
En effet, le CSA a répondu présent à l’appel de la Fondation en acceptant de réaliser l’étude, financée par cette dernière. Deuxièmement, « cette première étude permettra de réaliser un état des lieux afin constater la situation aujourd’hui, tout en donnant une référence pour des mesures ultérieures. » Il s’agit donc d’une première étude sur le sujet en Belgique.
Quelle méthodologie a été adoptée ?
Du 30 janvier au 5 février 2017, le CSA, en tant que spécialiste et expert du domaine de l’audiovisuel, a analysé les fictions diffusées entre 19 h et minuit sur les chaînes francophones dont, La Une, La Deux, La Trois, RTL-TVI, Club RTL, Plug RTL, France 2 et TF1. « Il s’agit de quantifier, d’une part la présence du tabac sur les écrans et d’autre part, d’analyser dans quels contextes et auprès de quels personnages, le tabac intervient. Le but est d’essayer de décrypter les messages qui seraient véhiculés. Le CSA montre le contexte lié à la présence du tabac, le choix des personnages qui fument, les scènes dans lesquelles le tabac est mis en avant. »
Le stéréotype du fumeur
Les fumeurs sont généralement les personnages principaux, c’est-à-dire, des hommes blancs de 19 à 34 ans. Il s’agit de la catégorie la plus représentée à l’écran. Dans les films analysés, les individus liés à une scène tabagique sont des hommes dans 80 % des cas. Cette représentation est totalement démesurée par rapport à la réalité. « Le plus souvent, les scènes liées au tabac montrent une atmosphère pesante. Néanmoins, le tabac est largement associé à un trait de caractère positif, en véhiculant des messages de représentations sociales positives, de moyens de réduction du stress… Il s’agit d’une image faussement positive du tabac. » Selon l’étude, dans 67 % des cas, les personnages présentant un comportement tabagique sont associés à un trait de caractère perçu comme positif.
Le tabac dans les fictions, une publicité cachée ?
« Tout le combat de ces 15 dernières années a été de limiter la place et la visibilité du tabac dans notre société, avec l’interdiction de la publicité et l’interdiction de fumer sur le lieu de travail, dans les restaurants, les cafés, etc. L’industrie du tabac sait très bien que l’on s’attaque à quelque chose d’essentiel pour elle, c’est-à-dire, la visibilité et l’acceptation sociale du tabac. Un moyen de contrer cette évolution, c’est par le biais des fictions en montrant le tabac comme faisant partie de la vie en société. Ce contre quoi nous voulons tout à fait lutter. »
Entre liberté artistique et promotion
Le tabac est une réalité historique et peut être un support de création artistique. « Pour moi, il n’est pas choquant que dans un film qui se passe en 1940 par exemple, à une époque où on fumait beaucoup, il y ait une présence du tabac. C’est une réalité historique. On ne va pas nier l’existence du tabac, c’est malheureusement une existence incontestable mais on peut éviter l’utilisation de l’image du tabac. Nous soupçonnons que la présence du tabac dans un film n’est pas due au hasard. L’industrie du tabac l’utilise pour resocialiser, renormaliser le tabac, et cela, nous n’en voulons à aucun prix. »
Objectifs de l’étude
La finalité de cette étude est de sensibiliser les personnalités politiques et le secteur de l’audiovisuel. En effet, il est possible que tout le monde n’ait pas nécessairement conscience du danger en matière de santé publique et de ce que peut représenter une stratégie de communication de l’industrie du tabac. C’est pourquoi l’étude propose des solutions.
« Les pouvoirs publics peuvent renforcer la législation en matière d’interdiction de placement de produit. Par exemple, en demandant aux réalisateurs de films de s’engager officiellement à ne toucher aucun financement de l’industrie du tabac lorsqu’ils reçoivent des subsides publics. »
Faut-il interdire totalement la présence du tabac dans les films ?
« Non, je dis clairement qu’il faut interdire tout financement direct ou indirect par l’industrie du tabac. Interdire tout placement de produit et sensibiliser les professionnels de l’audiovisuel sur le fait qu’utiliser du tabac dans une fiction peut être interprété consciemment ou inconsciemment comme une incitation à fumer ou comme une renormaliation du tabac dans nos sociétés. Nous luttons contre le tabac et non contre les fumeurs qui sont les premières victimes de leur dépendance au tabac. Donc, nous voulons faire en sorte que le tabac et le fait de fumer aient le moins de place possible au sein de notre société. »
Une signalétique adaptée ?
Les mineurs ne sont pas exclus des stratégies de communication de l’industrie de tabac. C’est pourquoi « il faudrait une adaptation de la signalétique relative à la protection des mineurs. Le film devrait être précédé et suivi par des messages de mise en garde ». En effet, ces méthodes sont bénéfiques pour « les non-fumeurs d’abord, mais aussi pour protéger les fumeurs. Réduire les lieux et les circonstances où il est autorisé de fumer, c’est aussi encourager les fumeurs à arrêter de fumer. Et c’est la meilleure décision qu’ils peuvent prendre. »
Pour plus d’informations sur l’étude, visitez les sites de la Fondation contre le cancer ou de Tabacstop.