Aujourd’hui, les enfants sont très tôt poussés dans une sexualité qui n’est pas de leur âge. Mise sur le marché de strings petites tailles, clips sexys, pubs à connotation sexuelle voire semi-pornographiques, starification, télé-réalité… Le sexe est partout et s’affiche aux yeux de tous, ignorant les frontières de l’âge.
Ce climat consumériste érotisé freine l’enfant, considéré comme un mini-adulte, dans son développement. Il met à mal les repères des parents et les contraint à modifier leurs schémas éducatifs (1). Les animateurs de Latitude Jeunes (2) se trouvent confrontés aux mêmes réalités qui les désarçonnent lors des séjours et plaines de vacances qu’ils encadrent. C’est pourquoi ils ont créé un Guide-repères portant sur la manière de réagir aux situations d’hypersexualisation en collectivité. Éducation Santé vous en parle…
Vous avez dit hypersexualisation ?
L’hypersexualisation, aussi appelée sexualisation précoce, peut être définie comme un phénomène sociétal qui pousse les jeunes à adopter des attitudes et des comportements à caractère sexuel jugés trop précoces. La société actuelle leur offre en effet des codes de séduction essentiellement axés sur le corps et la sexualité. À travers les médias, les industries diffusent un modèle de sexualité réducteur, s’inspirant des stéréotypes véhiculés par la pornographie : homme dominateur, femme-objet séductrice et soumise… (3)
Ainsi, les jeunes vont utiliser ce modèle dans leur communication au quotidien en adoptant publiquement des comportements sexuels avec des personnes avec qui ils n’ont pourtant aucune relation intime (s’embrasser pour rire, simuler la jouissance…), ou des postures qui envoient un signal sexuel (ouvrir la bouche, se lécher les lèvres…), en mettant en évidence des parties du corps liées à la sexualité (décolleté, sous-vêtements apparents…) ou en utilisant des accessoires tels que maquillage, piercing, talons aiguilles, soutiens-gorge rembourrés, etc.
Ainsi, on parle d’hypersexualisation lorsque la surenchère à la sexualité envahit tous les aspects de notre quotidien et que les références à la sexualité deviennent omniprésentes dans l’espace public : à la télévision, à la radio, sur Internet, dans les objets achetés, les attitudes et comportements des pairs… (4)
L’hypersexualisation remet en cause les acquis en matière d’égalité femmes-hommes. Elle conditionne l’image des filles et des femmes véhiculée dans les médias et accentue les inégalités hommes-femmes.
D’après diverses recherches et organismes travaillant sur la question, les conséquences de l’hypersexualisation peuvent être exposées en 5 points.
• Elle contribuerait aux agressions sexuelles et à la violence faite aux femmes. En effet, «un nombre grandissant de magazines, vidéos, calendriers, jouets, vedettes de la chanson, sites Internet pornographiques et publicités de toutes sortes accentuent quotidiennement le message que le corps des filles et des femmes peut être utilisé, exploité, vendu, agressé.» (Poirier et Garon)
• Les impacts de la mode sexualisée: les auteurs estiment qu’ «aucune génération n’est épargnée par les diktats de la mode sexy, pas même les bébés! Depuis quelques années, on trouve des vêtements pour bambins portant des inscriptions qui font référence au sexe. (…) Il existe une forte pression médiatique exercée sur les jeunes filles par les images qui réduisent une personne à son attrait sexuel. Les conséquences se répercutent sur l’ensemble de la société: en adoptant cette mode, les adolescentes ont rajeuni la norme. Ça influence les femmes de tous âges.» Ainsi, toutes les femmes sont fragilisées par la mode sexy qui dévoile et moule leur anatomie (Julien et Maher) (5).
• La sexualisation précoce : «les enfants développent des attitudes et comportements sexués ne correspondant pas à leur stade de développement psychologique et sexuel. Puisqu’ils apprennent du monde des adultes, ils sont particulièrement vulnérables face aux campagnes de marketing qui les visent spécifiquement. Or, les modèles et les produits qu’on leur propose sont très sexualisés, tels poupées, vêtements, jeux, dessins animés ainsi que les programmes de télé-réalité diffusés aux heures de grande écoute.» (Poirier et Garon)
• Dépendance à l’appréciation des autres : «les jeunes filles ainsi que les adolescentes subissent quotidiennement les pressions des médias et de leur entourage. Le message qui leur est transmis est clair: elles doivent être belles, sexy et disponibles sexuellement. Plusieurs sont ainsi amenées à croire que leur seul pouvoir réside dans leur apparence, et elles feront des efforts quotidiens pour accéder à ce modèle de femme physiquement parfaite et sexy. En misant sur le paraître, les jeunes filles deviennent dépendantes de l’appréciation des autres et, par le fait même, fort vulnérables avec des conséquences néfastes sur leur santé mentale.» (Poirier et Garon)
• «Cette survalorisation de l’apparence et de la séduction comme mode de rapport à l’autre comporte aussi des risques pour la santé physique des jeunes filles parmi lesquels les troubles alimentaires, l’utilisation récurrente de régimes amaigrissants au plus jeune âge, la consommation de drogue et d’alcool, le tabagisme, le recours à la chirurgie esthétique, les relations sexuelles. Selon des études, même si les filles sont meilleures dans plusieurs domaines, leur estime de soi serait plus faible que celle des garçons.» (Poirier et Garon)
Gérer sans faux-fuyants
Lors des débriefings organisés en fin de séjours et plaines de vacances pour permettre aux animateurs de discuter des difficultés qu’ils ont rencontrées et pour faire évoluer leurs pratiques, ceux-ci expriment de plus en plus souvent leur désarroi face aux situations d’hypersexualisation auxquelles ils se trouvent confrontés avec les enfants et les ados. Photos sexys, achat de préservatifs, tenues inappropriées, simulation de l’acte sexuel… les animateurs ne sont pour la plupart pas formés pour savoir comment réagir et quelles règles faire respecter.
Ainsi, 100 jeunes concernés de près ou de loin par la gestion de la problématique de l’hypersexualisation (6) ont été rencontrés afin de mener une réflexion à ce sujet; de récolter des situations vécues et d’y trouver ensemble des pistes de solution; de faire des mises en situation afin d’anticiper les réactions; et d’augmenter les ressources et connaissances de terrain. Des experts ont également été sollicités, les centres de planning familial, l’asbl SENSOA (7) et le Y des femmes de Montréal (8).
De cette réflexion et de ce travail de recherche est né un guide pratique très concret et sans tabou, à destination des animateurs de centres de vacances et de toute personne côtoyant des enfants ou adolescents en collectivité. Il a pour but de les mener à une réflexion sur le phénomène de l’hypersexualisation mais surtout à les aider à aborder le sujet avec les plus jeunes qu’ils rencontrent. Il présente 8 cas vécus et propose des pistes de réflexion et des repères pour réagir, en équipe.
Très concrètement, on y retrouve :
– des situations vécues réparties en 2 catégories: les comportements inappropriés et les jeux/activités à connotation sexuelle;
– le ressenti des animateurs face aux situations qu’ils rencontrent (la manière dont ils les ont déjà gérées y est aussi parfois décrite);
– des pistes de solutions: il s’agit d’un panel assez large de propositions de solutions, parce que sur le terrain, il n’est pas toujours possible de s’en tenir à une seule ligne de conduite;
– l’avis des experts: des personnes connaissant bien la problématique y apportent un regard éclairant et font part de leur expertise;
– des repères: à la fin de chaque situation, un encadré reprend les valeurs entrant en jeu dans la situation décrite, valeurs souvent mises à mal par l’hypersexualisation;
– des fiches thématiques: il s’agit d’outils permettant d’ouvrir le dialogue dans les équipes
un questionnaire personnel permettant à l’animateur de découvrir ses propres limites et de mieux se connaître;
une check-list permettant à l’équipe de prendre une position commune et de lancer le débat sur la sexualité des jeunes encadrés. Elle aborde des thèmes qui ne sont pas toujours discutés en équipe;
deux outils développés par SENSOA parmi lesquels un tableau permettant d’établir un système de référence basé sur des drapeaux de couleur (vert, jaune, rouge ou noir), où on peut identifier les attitudes à caractère sexuel normales, problématiques ou tout à fait inadéquates en rapport avec l’âge de l’enfant.
Huit situations problématiques en collectivité
Un poster «hot» en centre de vacances
La diffusion d’une photo de nu
Des bruits étranges la nuit
Une découverte déstabilisante dans une chambre
Du temps libre pour l’achat de préservatifs
Le jeu de la bouteille
Un concours de mannequin
Une séance de photos sexy
Vous avez déjà vécu ce genre de situation ? Vos collègues les ont déjà vécues ? Vous pensez pouvoir un jour y être confronté ? Commandez sans plus attendre le guide-repères de Latitude Jeunes !
Pour se procurer le guide, adressez une demande par courriel à latitude.jeunes@mutsoc.be ou téléchargez-le sur http://www.latitudejeunes.be.
Une formation à la thématique et au guide est également possible : 25€, repas de midi compris. Place St-Jean 1 à 1000 Bruxelles. Ouvert à tout animateur ou toute personne côtoyant des enfants ou des jeunes dans les milieux de vie (centres de vacances, plaines, activités extra-scolaires…). Intéressé ? Rendez-vous sur http://www.latitudejeunes.be , rubrique « Activités-Formations-Formations à nos outils », ou par courriel à latitude.jeunes@mutsoc.be ou encore par téléphone au 02 515 04 54.
Pour en savoir plus…
‘Hypersexualisation? Trop, trop tôt, trop vite’, Latitude Jeunes, Bruxelles, 2009. En téléchargement sur http://www.latitudejeunes.be (rubrique Vie affective et sexuelle).
Module sur la pornographie sur http://www.ifeelgood.be (rubrique Société).
‘Sexcursion : pour une sexualité intelligente et responsable dans les écoles secondaires’, Productions Pas de Panique, Montréal (Canada).
‘Trousses d’activités Jeunes et sexualisation: approches novatrices en matière d’intervention’, Y des femmes de Montréal, 2009.
‘Over de grens? Seksueel opvoeden met het vlaggensysteem, gids voor ouders, Sensoa, Antwerpen, 2011.
http://www.yapaka.be/thematique/hypersexualisation
Latitude Jeunes
Latitude Jeunes est une organisation de jeunesse reconnue par la Fédération Wallonie-Bruxelles et partenaire de la Mutualité socialiste-Solidaris.
Elle s’adresse aux enfants et aux jeunes de 3 à 25 ans. Elle propose des outils pédagogiques en promotion de la santé, de l’information à destination des jeunes… Elle propose aussi via ses antennes régionales (11 associations et services locaux à Bruxelles et en Wallonie) des formations d’animateur/coordinateur et diverses activités (séjours de vacances, stages, animations scolaires, etc.).
Elle entend développer à l’attention des enfants et des jeunes des actions caractérisées par des approches actives, positives et critiques, à même de favoriser le développement de leur bien-être et de leurs comportements citoyens, lesquels constituent des conditions essentielles à la construction d’une société démocratique, solidaire et égalitaire.
L’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle à l’école (EVRAS) – soutien aux établissements
En juin 2013, un protocole d’accord a été signé entre la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Commission communautaire française de la Région de Bruxelles-Capitale afin de généraliser l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS) en milieu scolaire. Celui-ci précise que «les acteurs scolaires sont responsables de l’élaboration et de la mise en œuvre de l’EVRAS en milieu scolaire. Ils ont l’obligation de prendre des initiatives en la matière, dans le cadre de leur autonomie.»
En novembre dernier, la Ministre Laanan rappelait dans un communiqué de presse que 10 points d’appui à l’EVRAS (9) ont été mis en place pour faciliter les partenariats entre acteurs du milieu scolaire et associations (plus particulièrement les centres de planning et les organismes de promotion de la santé) et proposait 6 jours de formation à destination des écoles. Ces formations ont pour objectif de préciser et d’échanger sur les objectifs de l’EVRAS et de permettre aux directions et aux équipes éducatives de recevoir une information concrète sur les dispositifs et les initiatives prises en matière de promotion et de prévention dans le domaine de la santé sexuelle des jeunes.
Complémentairement à ces formations, une brochure explicative a été envoyée à l’ensemble des écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Celle-ci, brève et très concrète, rappelle en quelques lignes ce qu’est l’EVRAS et dans quel cadre elle s’inscrit. Elle propose des pistes de réflexion et d’actions à mettre en œuvre à l’école, ainsi que des thèmes porteurs ou des approches à développer. Enfin, elle liste une série de partenaires internes et externes utiles au développement de la dynamique.
Une intéressante réalisation de la Plateforme liégeoise de promotion de la santé affective, relationnelle et sexuelle.
Pour découvrir la brochure: http://www.loveattitude.be/L-education-a-la-vie-affective-et?retour=1 ou pour en savoir plus, dans tous les CLPS de la Fédération: http://www.sante.cfwb.be/index.php?id=clps00
(1) Blairon et al. (2012), Hypersexualisation des enfants, Yapaka.be, Temps d’arrêt/Lectures, n°62, 63p.
(2) Mouvement de jeunesse lié aux Mutualités socialistes, voir encadré dans cet article.
(3) Réseau québécois d’action pour la santé des femmes, 2006.
(4) Poirier L., Garon J. (2009), Hypersexualisation? Guide pratique d’information et d’action, Éd. L’Avantage, 78p.
(5) Julien M., Maher I. (2010), La mode hypersexualisée – Symptôme d’un malaise, Gazette des Femmes, Août 2010.
(6) 8 rencontres ont eu lieu: 6 lors de formations d’animateurs Latitude Jeunes, avec des jeunes âgés de 16 à 21 ans, ayant déjà une expérience de séjour en centre de vacances; 1 avec des étudiants en communication et 1 avec des adultes professionnels dans le cadre d’un échange sur la parentalité, organisé par un CLPS.
(7) Centre flamand d’expertise sur la santé sexuelle: http://www.sensoa.be.
(8) Institution québécoise contribuant à la prévention de la violence, au développement des compétences, de l’estime de soi et de l’autonomie, ainsi qu’à l’épanouissement personnel des femmes et des filles à travers différents programmes adaptés à leurs besoins: http://www.ydesfemmesmtl.org.
(9) Il s’agit d’un dispositif intégré au sein des Centre locaux de promotion de la santé depuis septembre 2013. Ceux-ci ont été chargés de sensibiliser et d’encourager la mise en œuvre de l’EVRAS au sein des écoles, de faciliter les partenariats entre écoles et secteur associatif, de mettre à disposition des outils méthodologiques et pédagogiques, de soutenir la concertation des acteurs et de réaliser un cadastre des ressources EVRAS et des besoins des écoles secondaires.