Prévenir les infections sexuellement transmissibles, le sida et les hépatites, parmi le public des détenus est un projet pas toujours aisé, rempli de non-dits et empreint de nombreuses contraintes dues aux difficultés propres à ce milieu de vie!
Dans le but de faciliter la mise à disposition de préservatifs et de gel lubrifiant pour les détenus incarcérés, il s’est avéré pertinent de créer un nouvel outil. Avec la collaboration du personnel infirmier des prisons, de certains détenus relais et du Service Soins de Santé Prison, une pochette composée d’un préservatif, d’une dosette de lubrifiant à base d’eau et d’un message de prévention a été conçue par l’ asbl Service Éducation pour la Santé de Huy (SES). Grâce à tous les partenariats harmonieux dont jouit le SES, dorénavant cet outil de prévention est disponible, pour les détenus, dans l’ensemble des établissements pénitentiaires du pays.
Le SES Huy
Le Service Éducation pour la Santé est une association sans but lucratif créée, il y a plus de 20 ans, par l’Association des Licenciés en Sciences de la Santé Publique de l’Université de Liège en partenariat avec la Croix Rouge de Belgique, le Dispensaire Putzeys et la Ligue des familles.
Depuis sa création et au départ de son siège social installé à Huy, elle est active dans le secteur de la promotion de la santé. Grâce aux subsides émanant de la Communauté française de Belgique et de la Région wallonne, elle mène, depuis quelques années, des projets majoritairement en milieu carcéral.
En effet, les conditions de vie de ce milieu tels que la promiscuité, le manque d’accessibilité et d’utilisation des moyens de prévention, la marginalisation de la population, le manque d’hygiène et la toxicomanie, engendrent de nombreux comportements à risque pour la santé des détenus. L’équipe «utilise» trois portes d’entrées pour promouvoir une démarche participative de santé globale au sein de ce milieu particulier:
-la prévention du sida , des hépatites virales, des autres IST et maladies associées;
-l’approche de l’alimentation équilibrée dans le cadre du développement de nouvelles compétences;
-l’hygiène de vie et l’hygiène corporelle, des composantes de l’estime de soi pilier essentiel de l’équilibre de vie.
En 2005, le projet de l’asbl SES a été reconnu comme «projet santé en prison» par l’OMS Europe. L’équipe du SES est régulièrement contactée lors de colloques internationaux pour un partage de compétences.
Le projet de prévention du sida, des hépatites virales et des autres IST
Le SES asbl développe depuis plus de 10 ans un projet de prévention du sida, des hépatites virales et des IST en milieu carcéral. Touchant trois établissements en 1998, le projet a subi différents remaniements pour s’adapter aux réalités du terrain carcéral et répondre aux attentes du public ciblé. Actuellement, le SES se rend dans tous les établissements de la Communauté française pour développer ses actions et répondre le plus adéquatement possible aux demandes de chaque prison.
L’objectif prioritaire du projet est d’instaurer une dynamique de prévention primaire du sida, des hépatites et des IST en milieu carcéral, de réduire la fréquence des comportements à risque, de favoriser l’adoption d’attitudes de prévention (utilisation du matériel approprié) et de réduire les attitudes discriminatoires envers ce public à risque ou envers les personnes infectées.
Les stratégies consistent à diffuser des informations sur les pratiques à risque liées à ces maladies et sur les moyens de prévention par le biais de différents canaux, particulièrement par la création d’outils. De plus, il forme et soutient des groupes de relais d’informations au sein des établissements pénitentiaires.
La prévention des pairs par les pairs: formations de référents
L’asbl SES a mis sur pied un programme de prévention par les pairs. Suite à une formation donnée par le SES aux détenus et aux personnels pénitentiaires, sur les problèmes de santé, les maladies transmissibles, la prévention et les techniques de communication, les référents formés vont diffuser des informations de prévention adaptées à leur établissement vers leurs codétenus ou leurs collègues.
Par la suite, sensibilisés aux problèmes de santé, les référents volontaires font la démarche de se réunir mensuellement afin de réfléchir ensemble à la réalité de leur propre prison et d’élaborer des actions ou des messages de prévention. Dans ce cas, les détenus et le personnel référent sont acteurs dans ce programme de prévention. Le SES les accompagne dans ces démarches tout en veillant à leur laisser prendre un maximum d’autonomie.
La création d’outils
Un deuxième volet des missions de l’asbl est de créer des outils adaptés au milieu permettant d’une part de diffuser une information correcte à la population carcérale, et d’ autre part de favoriser la mise à disposition et l’utilisation de moyens de protection contre des maladies transmissibles. Dans cette optique une carte aide-mémoire a été réalisée, il y a quelques années. Elle est distribuée par le biais des services infirmiers et des relais santé, aux détenus qui souhaitent recevoir de l’information sur les pratiques à risque rencontrées dans leur milieu de vie (carcéral ou non) ainsi que des conseils de prévention s’y rapportant.
Une pochette composée d’un préservatif et d’un lubrifiant à base d’eau pour les détenus
Même si le constat de l’existence de relations sexuelles en milieu carcéral reste un tabou, que cette problématique est très peu abordée, voire niée, par les détenus et prise parfois à la légère par le personnel pénitentiaire, les pratiques sexuelles, consenties ou non, sont une réalité dans le vécu des détenus en milieu carcéral. Peu d’études sur le sujet ont été publiées et pour celles qui évoquent la question, les déclarations des détenus restent largement sous-estimées. Cependant, suite à un travail de terrain au quotidien, les infirmiers des établissements pénitentiaires sont unanimes sur le fait qu’il faut mettre à disposition des détenus des moyens de prévention pour éviter toute contamination lors de pratiques sexuelles potentiellement à risque. Prioritairement au niveau du milieu carcéral où la prévalence du sida tourne autour des 1,5 % et où la prévalence de l’infection à l’hépatite B et C est respectivement de deux et sept fois supérieure à celle de la population générale.
La décision de créer un outil de prévention adapté au milieu carcéral et identique pour l’ensemble des établissements pénitentiaires du pays a été prise suite à l’interpellation du Service Éducation pour la Santé par des services infirmiers de différentes prisons. Leurs questions reposaient principalement sur le type de préservatif à proposer aux détenus et sur le message qu’il convenait de faire passer quant à l’utilisation de ce matériel de prévention.
L’asbl SES a initié un processus concerté réunissant le Service Soins de Santé Prison, des infirmiers, des asbl partenaires en milieu carcéral et certains membres du secteur de la prévention du sida en Communauté française. Cette concertation a permis de dégager des pistes de réflexion sur ce sujet et a mis en évidence l’importance de créer un outil de prévention pouvant être diffusé massivement en milieu carcéral.
Le message venant du secteur de la prévention du sida, particulièrement pour les pratiques homosexuelles, prône l’utilisation d’un préservatif accompagné d’un gel lubrifiant à base d’eau afin d’éviter tout risque de déchirure. En milieu carcéral, le lubrifiant à base d’eau n’est pas disponible et peu connu par les détenus mais il semble indispensable pour pallier les risques lors des rapports sexuels. C’est pourquoi, la décision de créer une pochette composée d’un préservatif, d’une dosette de lubrifiant à base d’eau et d’apports d’information sur les risques de maladies sexuellement transmissibles a été une évidence pour répondre aux différents constats mentionnés.
Implication du public
Voulant rester dans l’optique d’une implication du public dans la création d’outils à leur destination, l’asbl SES est allée à la rencontre de détenus dans différents établissements pénitentiaires. Dans un premier temps, les détenus relais, sensibilisés à cette problématique, ont été interrogés. Ensuite, des détenu(e)s volontaires (non référents) ont pu donner leur avis sur le contenu de l’information, la forme de l’outil, la mise en page, les illustrations et la pertinence de cette action.
À la maison d’arrêt de Jamioulx, à la maison de peine de Ittre, à l’Établissement de Défense Sociale de Paifve et au quartier femmes de Lantin, différents avis ont pu être récoltés par les groupes de travail. Les informations sur le lubrifiant à base d’eau et sur les risques pour la santé semblent être nécessaires aux yeux des détenus. Ils insistaient également sur la lisibilité et la clarté du message, en proposant d’intégrer des images accessibles à l’ensemble de la population ciblée. Le Service infirmier a été mentionné plusieurs fois comme relais d’information pour la santé. L’infirmerie est en effet un lieu très investi par les détenus, où une relation plus humaine peut s’installer et où les questions relatives à la sexualité et à la prévention peuvent se poser en toute confidentialité. Toutes ces idées ont été soigneusement prises en compte et investiguées afin de les intégrer dans l’outil proposé.
Cette pochette a été financée par le Service Soins de Santé Prison du Service public fédéral Justice, c’est pourquoi une contrainte supplémentaire s’est ajoutée lors de la mise en page de cet outil. Il est de dimensions modestes (six centimètres sur six), et il était nécessaire de proposer l’information dans les trois langues officielles du pays. De plus, les détenus ont souhaité y inclure l’anglais, sachant qu’il y a une proportion non négligeable de personnes incarcérées ne parlant ni le français, ni le néerlandais ni même l’allemand.
Dans un second temps, la pochette, dans sa présentation quasi définitive, a été proposée à l’ensemble des infirmiers travaillant en milieu carcéral en Communauté française lors de leur formation annuelle. Le SES a animé une demi-journée de travail portant sur l’outil mais également une réflexion sur sa mise à disposition.
Cette approche participative, réunissant les différents acteurs, aussi bien les détenus que les infirmiers, a permis de relever une multitude d’indications nous permettant de cibler avec précision la forme que devait prendre cet outil de prévention en fonction de la réalité vécue par chacun.
Actuellement, les pochettes sont disponibles à la pharmacie centrale du SPF Justice afin que les services infirmiers puissent les commander gratuitement. Certaines prisons ont déjà étoffé leur stock et l’outil semble répondre aux attentes. Début de l’année 2010, une évaluation de l’outil, de sa pertinence et de son utilisation sera réalisée en partenariat avec les détenus et les personnes impliquées dans ce processus.
La prévention dans le monde carcéral a encore un long chemin à faire, mais c’est petit à petit, en accumulant les outils et les messages de prévention, tout en y impliquant l’ensemble des personnes jouant un rôle déterminant dans cette démarche, qu’une dynamique positive de santé s’installe…
Marielle Houbiers , Service Éducation pour la Santé asbl
Adresse de l’auteure: Maison de la santé, Chaussée de Waremme 139, 4500 Huy. Tél/Fax: 085 212 576. Courriel: ses.asblhuy@scarlet.be