Octobre 2014 Par Patrick TREFOIS Initiatives

Un visiteur médical au service de la médecine préventive

La littérature scientifiqueNote bas de page met en évidence l’intérêt, pour l’implantation de programmes de prévention, de rencontres entre un visiteur médical et un médecin. Cette démarche permet de sensibiliser le médecin, de lui transmettre des informations concrètes et pratiques sur le fonctionnement des programmes et d’individualiser les informations transmises en fonction des besoins spécifiques du médecin.Sur base de cette littérature, la Société Scientifique de Médecine Générale (SSMG), en partenariat avec l’asbl Question Santé, le Centre de dépistage des cancers (CCR) et la société Quintiles (cette société commerciale met à la disposition de ses clients (principalement l’industrie pharmaceutique) des équipes de visiteurs médicaux et en assure la formation, l’encadrement et l’évaluation), a mis en place durant l’année 2013 un projet pilote ambassadeur prévention. Ce projet a été soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui souhaitait tester cette approche pour améliorer le recours aux programmes de médecine préventive mis à la disposition de la population et des médecinsNote bas de page.Les programmes de prévention concernés par le projet pilote étaient ceux des dépistages du cancer colorectal et du sein, ainsi que la prévention des cancers du col de l’utérus (par vaccination et frottis de dépistage).

Descriptif de la démarche

Quelque 250 médecins ont été inclus dans le groupe piloteNote bas de page; chacun de ces médecins a été visité, moyennant son accord, par l’ambassadrice prévention (il s’agissait d’une femme) à trois reprises sur une période de 9 mois.L’ambassadrice apportait à chaque médecin une aide concrète et des informations sur les bénéfices que lui-même et ses patients peuvent retirer de ces programmes, ainsi que leurs limites. Elle proposait des renseignements adaptés aux besoins de chaque médecin.La visite 1 a été consacrée principalement au dépistage du cancer colorectal; outre un rappel et un temps de réponse consacré à ce même dépistage du cancer colorectal, la visite 2 abordait aussi la prévention (par vaccination) et le dépistage du cancer du col de l’utérus et la visite 3 le dépistage du cancer du sein.Les documents d’information des programmes de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont été diffusés aux médecins visités.Le projet a démarré en janvier 2013 par une formation poussée de l’ambassadrice prévention. Cette formation a été assurée conjointement par la SSMG, le SCPS – Question Santé et le CCR.Les premiers rendez-vous ont débuté le 25 janvier.Une information a été diffusée par la SSMG aux médecins du groupe pilote vers le 25 janvier.La SSMG a organisé deux dodécagroupes (groupes de formation continue constitués de 10 à 15 médecins généralistes) dans la région pilote durant la durée du projet.Le site www.mongeneraliste.be a consacré un article à chacun des dépistages et à la vaccination des jeunes filles contre l’HPV. La Revue de la Médecine Générale, destinée aux médecins, a présenté le projet à son démarrage.Le territoire couvert par le projet était une partie du Hainaut reprenant des sub-régions de Mons-Borinage, du Centre et quelques autres communes à l’ouest de Charleroi.

Approche d’évaluation

Le groupe des médecins généralistes participant au projet pilote a été comparé à deux groupes témoins (chacun composé de plus ou moins 400 médecins généralistes). Un groupe témoin était situé dans le même bassin que le groupe pilote, l’autre dans un autre bassin constitué par Liège et sa région.Diverses démarches évaluatives, complémentaires, permettent de tirer des enseignements de cette initiative :

  • enquêtes qualitatives auprès d’une population cible et de populations témoins (SSMG, avec l’appui du SCPS – Question Santé);
  • analyse quantitative de l’utilisation des programmes sur la population cible et 2 populations témoins (CCR);
  • évaluation qualitative de la population cible (Quintiles), via perception de l’ambassadrice prévention, mini-enquête lors de la première visite (remise en fin de visite) et enquête lors de la dernière visite (remise en fin de visite).

Résultats principaux

L’acceptation de cette approche par un ‘ambassadeur prévention’ est largement démontrée. Parmi les médecins généralistes ayant reçu l’ambassadrice (± 90% des médecins sollicités), on constate que plus de 98% adhèrent à l’initiative, que 50% évaluent l’initiative très positivement (++) lors de la première visite et que ce chiffre monte à 78% lors de la troisième visite. Environ 4 médecins sur 5 ne voient aucun frein à l’initiative. Les principaux freins évoqués par une minorité sont le manque de temps et la peur d’être jugé. On constate que ces freins sont levés au fur et à mesure des visites.

Programme de dépistage du cancer colorectal

Les médecins généralistes visités connaissaient l‘existence du programme de dépistage du cancer colorectal (97%) et reconnaissaient l’importance de la prévention. Ces médecins restaient majoritairement réactifs à la demande du patient. Même s’ils trouvaient le test Hémoccult facile à utiliser et fiable (5% avaient peur des faux positifs ou négatifs et 4% préféraient la coloscopie), il subsiste bon nombre de freins à l’utilisation comme le manque de temps (12%), l’oubli (33%), le manque d’habitude et de motivation des patients (15%).Le Centre communautaire de référence pour le dépistage des cancers a recueilli pour les 3 groupes de médecins (pilote, témoin de la même région et témoin d’une autre région) les données d’Hémoccult réalisés. Ces données montre une augmentation de retours d’Hémoccult réalisés par les médecins du groupe pilote, comparés aux deux groupes témoins.

Vaccination contre l’HPV

La gratuité du vaccin via le programme de vaccination (mise à disposition d’un vaccin gratuit pour certaines jeunes filles) n’est pas un avantage suffisant pour lever les freins décrits par les médecins visités:

  • complexité de la commande (commande groupée avec 5 produits du même fabricant);
  • problème de livraison (elle nécessite une présence au domicile du médecin et il y a des craintes sur le respect de la chaîne du froid);
  • faible gain pour le patient : le coût final pour l’usager du vaccin lors d’une délivrance en pharmacie n’est pas important. En effet, le remboursement du vaccin HPV par l’assurance obligatoire est généralement complété par une intervention via l’assurance complémentaire des mutuelles;
  • rupture de l’habitude d’approvisionnement via la pharmacie, qui est considéré par les médecins et les patients comme sûr et simple.

On peut poser l’hypothèse qu’une simplification de l’approvisionnement des vaccins via la Fédération Wallonie-Bruxelles pourrait avoir un impact sur l’utilisation du programme.

Dépistage du cancer du sein par mammotest

Le recueil de données via l’ambassadrice prévention démontre que les médecins généralistes ont un besoin réel d’informations précises sur les modalités de fonctionnement du programme, sur les positionnements respectifs de la radiographie, de l’examen clinique et de l’échographie, ainsi que sur les atouts, en terme d’assurance de qualité notamment, du mammotest.En effet, plus d’un médecin sur 2 ignore la différence entre le mammotest gratuit (programme proposé par la FWB) et la mammographie, et près de la moitié ne connaît pas ou ne connaît pas bien le programme mis en place. La méconnaissance de ses spécificités est le frein les plus courant à son utilisation. Pourtant, après précisions apportées par l’ambassadrice, 70% des médecins se déclarent prêt à utiliser plus régulièrement le programme ( à l’essai 41% et régulièrement 30%).

Quelques témoignages de médecins du groupe pilote

«Jusqu’alors, je n’avais jamais été éclairé quant au protocole du mammotest, remarque-t-il. À présent, j’ai revu ses indications et j’ai décidé de changer ma manière de prescrire, même si je ne vais pas suivre exactement ce que préconise l’ambassadrice prévention. En effet, et après en avoir discuté avec un radiologue, je suis à présent persuadé que, pour les seins clairs, le mammotest a toute sa place. Dans ce cas, il s’impose plutôt qu’une mammographie, en raison d’un moindre rayonnement et des atouts d’une double relecture. En revanche, pour des seins denses et glandulaires, je continue à préconiser une mammographie. Par ailleurs, je vais également être attentif au fait de prévenir la patiente qui bénéficie d’un mammotest qu’elle ne va rencontrer aucun médecin lors de l’examen. En revanche, je préciserai bien qu’elle pourra compter sur moi pour obtenir toutes les explications nécessaires. Au final, je suis donc très reconnaissant à l’ambassadrice prévention de m’avoir permis de changer mon attitude, et de sélectionner les patientes, en vertu d’arguments réfléchis, pour leur proposer des solutions vraiment adaptées» Dr. J.B.«Je ne suis pas un des grands représentants de la prévention». Trois rendez-vous de 25 minutes (au maximum) plus tard, le Dr S. ne regrette pas d’avoir tenté le coup: pour lui, cette initiative est «très intéressante. Contrairement aux délégués médicaux qui viennent ‘vendre leurs produits’, l’interlocutrice ne propose pas un discours orienté, mais une série d’arguments scientifiques crédibles. On peut ainsi se remettre en tête l’essentiel de ce qui concerne la prévention, ainsi que les bonnes façons d’utiliser le système au profit de la population.» Dr. S.«J’avais oublié que nous pouvons demander nous-mêmes des mammotests. J’avais également pris l’habitude de conseiller aux femmes de faire directement une mammographie et une échographie. À présent, j’ai changé de procédure. En fonction des cas, je propose de commencer par le mammotest, et en m’efforçant de ne jamais surprescrire ce type d’examen. De même, je n’étais pas assez sensibilisée à la possibilité de proposer une vaccination contre le cancer du col à certaines jeunes femmes. Rien qu’à partir de ces exemples, j’ai réalisé que je pouvais cibler davantage de personnes et en faire davantage encore pour la prévention.» Dr C.B.

Discussion et conclusions

La structure organisationnelle du projet, mêlant des centres d’expertises complémentaires, s’est avérée opérationnelle et efficace.Les champs d’expertise étaient les suivants:

  • une société scientifique de médecine générale disposant d’une crédibilité scientifique et d’une légitimité en formation continue avérées auprès du public des médecins visités, de fichiers et de moyens de communication spécifiques;
  • un centre d’expertise et de gestion des programmes de dépistages concernés (Centre de référence pour le dépistage des cancers en Fédération Wallonie-Bruxelles);
  • un service expert en méthodologie de promotion de la santé, en réalisation d’outils informatifs et pédagogiques et en communication, tant vers les médecins que le public (SCPS – Question Santé);
  • un opérateur maîtrisant la gestion d’un personnel formé et qualifié et la méthodologie de la visite médicale (Quintiles).

L’approche est appréciée par les médecins, mais des conditions qualitatives doivent être rencontrées pour en assurer la crédibilité: une compétence particulière du visiteur médical, dans la relation et la communication avec le médecin généraliste, est essentielle, de même qu’une formation pointue dans les domaines concernés (tant sur les bases scientifiques que sur les aspects pratiques très concrets).Les effets sur les pratiques des médecins sont démontrés, bien que le projet n’ait pu être mené que sur une période courte. Mais l’approche nécessiterait, pour atteindre un objectif de santé publique :

  • une couverture à l’échelle de l’ensemble du territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles:
  • une permanence dans le temps de la démarche de visite par l’ambassadeur prévention.

La limite évidente pour les pouvoirs publics est l’investissement budgétaire important qui serait nécessaire pour atteindre cette couverture territoriale: le rapport coût/bénéfice d’une telle démarche, par rapport à d’autres, devrait être évalué.Le rapport complet peut être obtenu sous format électronique auprès de la Société Scientifique de Médecine Générale.

Quelques références

  • Habraken H et al. ‘Pilot Study on the feasability and acceptability of academic detailing in general practice’. Eur J Clin Pharmacol 2003; 59: 253-60
  • I. Janssens et al. ‘Academic detailing in de huisartsenpraktijk’. Huisarts Nu juni 2004;33(5).
  • ‘L’information des médecins généralistes sur le médicament’. Rapport présenté par Pierre-Louis Bras, Pierre Ricordeau, Bernadette Roussille et Valérie Saintoyant, membres de l’Inspection générale des affaires sociales. Rapport n° RM 2007-136P, septembre 2007.
  • E Bernal-Delgado et al. ‘Evidence based educational outreach visits: effects on prescriptions of non-steroidal antiinflammatory drugs’. Journal of Epidemiology and Community Health 2002; 56: 653-658.
  • D. Weller et al. ‘Promoting better use of the PSA test in general practice: randomized controlled trial of educationnal strategies based on outreach visits and mailout’. Family Practice Vol. 20, N° 6, 655-661.
  • Lars Jorgen Hansen et al. ‘Encouraging GPs to undertake screening and a brief intervention in order to reduce problem drinking: a randomized controlled trial.’ Family Practice Vol. 16, N° 6, 551-557.
  • Sherri Sheinfeld Gorin et al. ‘Effectiveness of academic detailing on breast cancer screening among primary care physicians in an underserved community’. The Journal of the American Board of Family Medecine 19: 110-121 (2006).
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voir les références en fin d’article

voir ‘L’ambassadeur prévention’, P. Trefois, Éducation Santé n°289, mai 2013.

médecins généralistes ayant une pratique soutenue de médecin de famille, pratiquant seuls, acceptant la visite d’informateurs à leur cabinet de consultation et ayant moins de 65 ans. La population cible du projet pilote a été extraite de manière aléatoire d’un bassin de population de 734 généralistes correspondant au profil et critères définis ci-dessus.