Janvier 2010 Par Carole FEULIEN Initiatives

La Fondation Roi Baudouin a soutenu 13 projets en Communauté française et en Communauté germanophone afin de mettre en place des initiatives qui favorisent une alimentation favorable à la santé pour les groupes socialement défavorisés. Éducation Santé vous invite à découvrir l’initiative de la Fondation et vous présente deux des projets sélectionnés…

Éléments de contexte

Les publics précarisés et l’aide alimentaire en Communauté française

En Communauté française, l’aide alimentaire est dispensée aux personnes en situation de précarité par les banques alimentaires, les épiceries sociales, les restaurants sociaux, les centres d’accueil et d’hébergement. Des centres d’insertion, d’éducation permanente et d’animation culturelle sont aussi actifs dans ce domaine. Enfin, certains CPAS, services sociaux, centres de la Croix-Rouge, œuvres caritatives, mouvements d’entraide et services Club procèdent à la distribution de vivres.
Les situations de précarité dans lesquelles vivent les bénéficiaires de l’aide sociale et alimentaire sont critiques. Certains groupes alimentaires considérés comme fondamentaux sur le plan nutritionnel, comme les fruits et légumes, sont quasi absents de leur alimentation. Leur consommation est bien éloignée des repères diffusés par le Plan national nutrition santé et certainement très en-dessous de la consommation observée dans la population générale, déjà jugée insuffisante.
Cette situation s’explique par le fait que l’aide alimentaire n’est généralement pas conçue pour subvenir à tous les besoins nutritionnels. Les personnes qui y recourent en font pourtant leur source d’approvisionnement quasi unique.
Bon nombre de personnes en situation de précarité mangent ce qu’elles ont sous la main, de préférence ce qui ne demande pas de préparation. En effet, dans ces milieux, un certain nombre d’adultes n’ont aucune compétence culinaire car ils ont passé leur jeunesse en institution ou dans un environnement très précaire qui ne leur a pas permis d’acquérir ces compétences de base.
La préoccupation première des populations précarisées est de trouver un toit, de se sentir en sécurité, de boire et de manger. C’est seulement après que vient le souci d’une alimentation équilibrée. En outre, l’isolement social et la pauvreté économique ne favorisent pas le partage des repas en famille et l’envie de bien s’alimenter a parfois disparu. Enfin, d’autres problèmes, tels que l’alcoolisme ou la dépression, peuvent être associés à la grande précarité et ne leur permettent pas d’envisager leur santé sur le long terme.
L’ensemble de ces facteurs relègue souvent l’équilibre alimentaire au second plan. Se trouvant dans une spirale d’échecs, ces personnes perdent l’estime d’elles-mêmes, ne se soucient plus de leur santé, et encore moins de leur alimentation.

L’appel à projets de la Fondation Roi Baudouin

Telle que définie par l’OMS en 1946, la santé est «un état complet de bien-être physique, mental et social». Celle-ci est en grande partie déterminée par le mode de vie. La pratique d’un sport, la consommation d’alcool ou de tabac ont un impact important, l’alimentation aussi. Les liens entre la santé et l’alimentation sont évidents: une alimentation trop riche en graisses et en sucres, et trop pauvre en fruits et légumes, combinée à un manque d’activité physique, favorise l’apparition précoce de maladies cardio-vasculaires.
C’est pourquoi de nombreuses campagnes ont pour objectif de sensibiliser les consommateurs à l’importance d’une alimentation saine et équilibrée. Malheureusement, elles ne touchent que peu les personnes les plus défavorisées.
Dans cette optique, la Fondation Roi Baudouin, dans le cadre de son programme «santé», a lancé en 2006 un appel à projets ayant pour but de soutenir ceux qui visent à stimuler une offre alimentaire saine et peu coûteuse auprès des publics précarisés. Il s’agit de projets d’organismes privés ou publics du secteur social et de la santé. Treize d’entre eux ont été retenus en Communauté française et germanophone.
Depuis plus d’un an les porteurs de projets se sont constitués en réseau pour échanger leurs interrogations et expériences. Ils ont exploré ensemble comment promouvoir une alimentation favorable à la santé auprès de ces publics.
Ce travail a mené à l’élaboration d’un guide pratique, à destination des professionnels de l’action sociale, de la santé et de l’alimentation (1), ainsi qu’à des propositions destinées aux divers décideurs publics, pour que ces projets puissent voir le jour et perdurer dans le temps.
Pour recevoir le guide pratique: Fondation Roi Baudouin, rue Brederode 21, 1000 Bruxelles – 02 511 18 40 – info@kbs-frb.be – http://www.kbs-frb.be .

À la découverte de deux des projets sélectionnés

«Alimentation saine, même dans la rue]» par l’asbl Comme chez Nous

Le projet «Alimentation saine, même dans la rue» s’inscrit dans un vaste programme de promotion de la santé auprès des personnes en précarité aiguë à Charleroi.
Éducation Santé a rencontré pour vous Sophie Crapez , Coordinatrice de l’asbl.
Éducation Santé: Comment décririez-vous le projet «Alimentation saine, même dans la rue», en quelques mots?
Sophie Crapez : Il s’agit d’un projet socio-éducatif et d’offre en nourriture saine, destiné aux personnes sans-abri, dans la province du Hainaut. Il comporte deux volets: un volet «atelier culinaire» réalisé avec les jeunes fréquentant le service d’insertion sociale, et un volet «offre en information et en produits frais» développé au sein du centre d’accueil pour les personnes en quête de logement. Notez que le second volet est en cours de construction lors de la parution de cet article.
E.S.: Dites-nous en davantage sur l’atelier cuisine…
S . C .: Il y a, chez les personnes fréquentant notre centre, un besoin en alimentation saine. En effet, 75% d’entre elles affirment ne pas manger à leur faim et reconnaissent l’absence de choix de leur menu. Suite à ce constat, l’atelier cuisine a été mis sur pied. Il s’attache à développer des compétences individuelles comme gérer le budget de son ménage, apprendre à faire les courses, savoir réaliser une recette, réussir à bien manger avec un petit budget…
On peut parler d’autonomisation en matière culinaire via l’apprentissage, l’échange et la sensibilisation. Les personnes impliquées dans le projet ont conçu son organisation et sa mise en œuvre. Il s’agit donc d’un atelier conçu pour et par les usagers.
Cette démarche participative a fixé d’entrée de jeu un cadre et des repères clairs. Un règlement d’intérieur et des critères d’inclusion ont été définis par les participants eux-mêmes. Après cela, les usagers ont entièrement pris en charge le choix du menu, les achats, la préparation, le débriefing et la gestion du budget lié à l’atelier.
Le nombre de participants à l’atelier est plafonné à douze participants, pour une question d’efficacité et de confort des lieux. Il n’y a pas de conditions de participation particulières, si ce n’est l’obligation de s’impliquer entièrement dans le déroulement. L’essentiel du travail d’apprentissage se fait par les pairs, dans un rapport du donner et recevoir. Celui-ci est complété par l’appui de diététiciens professionnels, dans le cadre de la collaboration établie avec les structures locales ou provinciales.
E.S.: Comment définiriez-vous votre groupe cible et comment parvenez-vous à l’atteindre?
S . C .: Le dernier rapport d’activités nous apprend qu’un quart de femmes et trois quarts d’hommes âgés de 18 à 70 ans, ont fréquenté notre centre durant l’année écoulée. Il s’agit pour la plupart de personnes peu qualifiées et appartenant à des catégories socio-professionnelles modestes. La majorité d’entre elles vivent seules. Elles ont un parcours de vie différent mais toutes sont confrontées à des difficultés en matière d’accès aux droits fondamentaux (logement, revenu, emploi, famille…). Toutes ces personnes sont déjà bénéficiaires des différents services offerts par notre centre, dont fait désormais partie l’offre de produits frais.
Notez que nous ciblons, pour ce projet, les personnes ayant déjà un logement, pour des raisons pratiques, tout en créant pour eux de bonnes conditions pour se réaliser dans la vie: bonne hygiène de vie, alimentation contrôlée, meilleure estime de soi…
E.S: Quel est l’objectif de votre projet?
S . C .: Notre but premier est de développer des aptitudes personnelles et responsables face à la santé en général. Dans un premier temps, nous visions essentiellement l’amélioration de l’information sur les mesures de sécurité alimentaire et les valeurs nutritives des produits. Très vite, cette modeste ambition s’est élargie à la création d’un espace culinaire et ce, sur demande des bénéficiaires.
Ainsi, les objectifs, dans un second temps, se sont centrés sur:
– l’autonomisation via l’acquisition de bonnes habitudes alimentaires;
– la créativité et la prise de décision dans le groupe;
– l’échange de savoirs et l’estime de soi;
– les liens et les acquis sociaux;
– la collaboration avec les différents partenaires;
– l’interpellation politique et institutionnelle;
– l’information et la sensibilisation.
E.S.: Comment votre public a-t-il accueilli le projet?
S . C .: Les différents débriefings qui ont suivi chaque activité nous ont permis de nous rendre compte de la satisfaction des participants. Nous avons entendu avec plaisir des commentaires tels que « Ici , au moins , on mange à sa faim , et surtout , on mange dans une bonne ambiance .», ou encore « Enfin un lieu à Charleroi où on se sent quelqu’un
Nous avons même dû doubler la fréquence des séances des ateliers!
E.S.: Mais quelle est la plus-value de votre projet en matière de santé et d’accessibilité financière de l’alimentation saine?
S . C .: Notre projet se propose d’offrir gratuitement et de manière complémentaire des produits frais nutritifs, souvent traités en second plan par rapport aux plats chauds, dans d’autres projets. En outre, notre ambition étant de développer des aptitudes personnelles et responsables des sans-abri face à leur santé, nous visons la responsabilisation de ceux-ci vis-à-vis de leur corps et donc une baisse d’utilisation des services d’urgence et, in fine, une amélioration de la qualité de vie du public précarisé.
E.S.: Avez-vous obtenu les résultats escomptés?
S . C .: Nous ambitionnions de renforcer les efforts déjà déployés en matière de «stratégie santé» et d’éducation des personnes vivant en précarité sociale aiguë. Concrètement, nous voulions permettre une augmentation du nombre absolu de personnes informées et efficacement sensibilisées à l’importance de manger sainement. Ainsi, nous réduirions le nombre de personnes souffrant de carences alimentaires.
À ce jour, après de nombreux mois d’activités, les résultats que nous constatons sont à la hauteur de nos espérances.
L’échange de savoirs étant l’un des piliers de l’atelier cuisine, il a laissé aux participants le choix des menus, des courses, la préparation des plats et l’explication de ceux-ci s’il y avait lieu. L’échange de savoirs a permis de favoriser l’estime de soi et le respect de l’autre. Par ailleurs, il a renforcé les initiatives spontanées (par exemple quelque chose de tout bête mais qui ne va pas de soi comme nettoyer régulièrement le matériel de cuisine en dehors des activités).
On sait que l’une des difficultés majeures que rencontrent les publics précarisés est la solitude, que ce soit dans la rue ou dans leur nouveau logement. Aujourd’hui, ces jeunes ont trouvé dans le projet une opportunité de créer des liens sociaux, d’apprendre des autres, de s’apprécier mutuellement et d’apprendre les règles de la vie en communauté. En un an, nous avons pu constater avec satisfaction le nombre croissant d’amitiés qui se sont créées. Par ailleurs, ce type d’espace a permis de mettre en valeur les talents individuels!
Des partenariats ont été mis en place au niveau local ou provincial. Les principaux sont le CLPS, l’Observatoire de la santé du Hainaut, les commerçants de la ville basse, la police locale de Charleroi, le CPAS, le réseau du relais social de Charleroi, les banques alimentaires, les maisons médicales…
Ces collaborations nous ont aidés dans la mise sur pied d’une dynamique de groupe et ont, par ailleurs, facilité l’ouverture à d’autres thématiques (tabac, asthme).
Une «Journée portes ouverts» a été organisée afin de témoigner des réalisations avec les bénéficiaires et d’exprimer les difficultés rencontrées par ces personnes dans leur vie quotidienne.
L’information et la sensibilisation sont réalisées au quotidien et lors des activités organisées: séances d’information, invitation des professionnels à partager un repas avec le public précarisé, visite des banques alimentaires avec les participants… Ceux-ci ont appris de nouvelles recettes, connaissent la valeur nutritive de certains produits…
Objectifs atteints!
E.S.: Quels ont été les leviers de votre action?
S . C .: L’implication des bénéficiaires dès la conception et la réalisation du projet a contribué à sa réussite. La construction commune entre travailleurs et usagers et les repères mis en place (horaires, obligation de débriefing, liberté d’expression…) sont aussi des facteurs de succès. Le respect du cadre établi était un gage de réussite.
E.S.: Quelles ont été les difficultés rencontrées alors?
S . C .: Les différentes évaluations ont montré que l’autonomisation demeurait l’objectif à atteindre. Cela s’explique d’abord par la difficulté liée à la notion de «changement de comportement» chez l’adulte en général; ensuite, par le caractère inédit du projet, orienté vers un public peu ordinaire, avec des particularités peu ordinaires également. En effet, le public bénéficiaire est essentiellement composé de jeunes (de plus de 18 ans) en décrochage social, parfois sans domicile fixe ou, la plupart du temps, résidant dans des logements inconfortables. L’insuffisance de revenu, l’absence de matériel permettant de reproduire les recettes apprises, la solitude dans les logements sont autant d’obstacles à l’autonomie… L’asbl va s’atteler à la compréhension de ce phénomène, notamment avec son projet d’accompagnement dans les logements (2).
E.S.: Quels sont les «effets secondaires» du projet sur les participants?
S . C .: Les travailleurs du centre ont pu constater de manière tangible l’évolution positive des participants les plus impliqués: plus de discipline, de respect, une amélioration notable du rapport travailleur/ accueilli. Ce dernier point est très important pour la suite de la collaboration avec notre public.
E.S.: Pensez-vous que votre projet puisse être reproduit par d’autres acteurs du secteur?
S . C .: La transférabilité du projet est un aspect auquel l’association attache beaucoup d’importance. L’existence de divers espaces de concertation et d’échanges périodiques montrent notre volonté d’ouverture. Nous sommes conscients que l’efficacité de toute action passe par la solidarité et la collaboration avec les différents acteurs de terrain.
E.S: Un conseil à donner à ceux qui se lanceraient dans l’aventure?
S . C .: Convier les interlocuteurs locaux à prendre part au projet, à venir découvrir les ateliers concourt à leur pérennisation. Rencontrer les agents de quartier, le président d’une banque alimentaire ou d’un CPAS permet une meilleure communication et une meilleure acceptation mutuelle. Pensez-y!
Pour en savoir plus sur le projet ou pour tout autre renseignement: Comme chez nous asbl, rue Léopold 36C, 6000 Charleroi – 071 30 23 69 .

Comme chez nous

L’asbl Comme chez nous , créée en 1995, est une institution reconnue et subsidiée en tant que centre d’accueil de jour pour personnes sans-abri. Elle a pour objet de rassembler dans un même lieu des personnes mal logées, de leur permettre de disposer du confort élémentaire pour vivre dans la dignité humaine, et de faire valoir leur droit au logement.
En quelques mots, Comme chez nous , c’est:
un centre d’accueil de jour pour les personnes sans-abri: écoute, orientation, recherche de logement, espace hygiène, dispensaire et espace social;
un espace de développement communautaire ayant pour but d’aider les personnes en précarité sociale aiguë à mener des actions collectives, qu’elles soient sportives, culturelles ou sociales. Concrètement, l’asbl soutient les groupes qui souhaitent proposer aux SDF ou anciens SDF des activités qui leur permettent de se resociabiliser;
un projet d’accompagnement dans les logements répond à leur volonté de réinsertion des sans-abri. L’objectif est de les aider à mieux gérer leur nouvelle situation, de les responsabiliser afin qu’ils ne retournent plus dans la rue;
un programme Recherche – Action de promotion de la santé auprès du public fréquentant le centre et, par extension, la population précaire de Charleroi.

Le «Bar à salades» par l’asbl La Teignouse

Le projet «Bar à salades» a permis la mise en place d’un lieu de convivialité permettant aux personnes souffrant d’isolement social de se retrouver autour de repas équilibrés, peu onéreux et ouvert à tous.
Patricia Lepièce , une des responsables du projet, nous en dit plus…
Éducation Santé: Vous avez mis en place un bar à salades pour les publics précarisés. Mais qu’est-ce que c’est au juste?
Patricia Lepièce : Il s’agit de réaliser des salades avec des légumes frais de saison, achetés à un prix raisonnable chez des maraîchers qui vendent leur surplus à la fin du marché ou directement chez des cultivateurs de la région. Les dames qui préparent les salades font également la chasse aux bonnes affaires en épluchant les dépliants publicitaires. C’est le groupe qui cherche et propose des recettes diététiques. Ensuite, ces salades sont vendues au prix coûtant afin de pouvoir en racheter par la suite. Actuellement, le bar est ouvert le 1er et 3e mardi du mois, de 8h à 15h.
E.S.: Quel est l’historique de ce projet?
P . L .: Au départ, Cary Varvenne , accompagnée d’un groupe de 8 habitants de la commune d’Esneux, interpelle le Service régional de prévention La Teignouse pour susciter la mise en place d’un lieu de convivialité sur le territoire de leur commune, en prenant exemple sur le projet « Bar à soupe» (3). Ces personnes se sont réunies quelques fois et ont élargi le groupe porteur à une vingtaine de personnes. L’objectif étant, par la suite, d’essayer de toucher aussi les «clients» du bar à salades.
E.S.: Quels étaient vos objectifs lors de la mise en place du projet?
P . L .: Les objectifs du bar à salades sont multiples, le principal étant d’améliorer le bien-être de chacun bien entendu. Il devait permettre à chaque bénéficiaire de:
– s’investir dans un projet;
– tisser de nouveaux liens sociaux (réaliser de nouvelles rencontres et développer les solidarités);
– rompre la solitude;
– être acteur dans un groupe, tout en respectant la place et le rythme de chacun;
– valoriser ses propres ressources ainsi que celles des autres membres du groupe;
– apprendre à écouter les autres membres du groupe;
– échanger ses savoirs;
– rompre avec certains tabous et accepter les différences;
– s’exprimer, parler de sa vie et échanger sur différents thèmes;
– ne pas juger, critiquer ou rejeter l’autre sur base de « on dit …»;
– (re)découvrir la nourriture et ses bienfaits, en prenant conscience qu’une alimentation saine et équilibrée est aussi à la portée d’un petit budget.
Le repas est un moment privilégié pour s’asseoir, se détendre et partager une tablée conviviale. Tout en dégustant ou en préparant un repas, on discute et on fait connaissance avec son voisin. Il nous semblait important de montrer aux personnes qu’il est possible de concilier repas sain et petit budget, mais aussi que cela permet d’échanger des recettes ou pourquoi pas, de découvrir de nouvelles saveurs. Le partage de savoirs est plus porteur d’autonomie qu’un discours moralisateur…
Ce type de projet a déjà été expérimenté et a montré que, par la suite, il avait une influence sur les habitudes familiales des participants.
E.S.: Quel(s) groupe(s) cible(s) comptiez-vous atteindre? Était-ce le même que celui avec lequel vous avez l’habitude de travailler?
P . L .: Le public est le même que celui qui est touché (ou pourrait l’être) par le biais des activités d’insertion, c’est-à-dire toute personne majeure confrontée ou susceptible d’être confrontée à la difficulté de mener une vie conforme à la dignité humaine.
Pour la commune d’Esneux, il s’agit de personnes vivant dans des habitations précaires; d’une tranche importante de public féminin et de familles monoparentales; de personnes bénéficiant de revenus modestes; de personnes souffrant d’isolement social; et enfin de personnes ayant rencontré des difficultés d’ordre psychosocial mettant un frein à leur réinsertion socioprofessionnelle.
Le groupe porteur est constitué d’une dizaine de personnes, et une soixantaine viennent au bar à salades lors des ouvertures.
E.S.: Avez-vous rencontré des difficultés lors de la mise en place du projet? Si oui, lesquelles, et comment les avez-vous surmontées?
P . L .: D’une part, la mise en place de la dynamique de groupe s’est avérée plus lente que prévu, du fait, par exemple, de la gestion des conflits, et aussi de prises de décision non respectées… Pour remédier à cela, nous avons mis sur pied des réunions structurées, avec des outils adéquats. Une meilleure organisation a permis à chacun de s’exprimer et de trouver une solution aux problèmes soulevés par le groupe.
D’autre part, il a été particulièrement difficile de trouver un local pas trop décentré (afin de toucher un public mixte), respectant les normes d’hygiène. Suite aux recherches et aux demandes du groupe, la commune d’Esneux a mis à notre disposition un local de la maison des associations. Nous avons là encore perdu beaucoup de temps puisque celui-ci a été disponible plus tard que prévu. Tout cela a reporté l’ouverture du bar à salades…
E.S.: Parallèlement, sur quels leviers avez-vous pu vous appuyer?
P . L .: Le projet a été porté dès le début par le groupe, facilitant la dynamique. Chacun a pris un rôle qui le valorisait. Les membres du groupe se sont complètement identifiés au projet. Ils se sont véritablement approprié le bar à salades!
E.S.: Avez-vous pu nouer des partenariats nouveaux grâce à cette expérience?
P . L .: Oui, nous avons dû former divers partenaires tels que les cultivateurs, maraîchers (pour l’achat des matières premières), l’administration communale… Ensuite, une multitude d’autres ont servi de relais d’information (CPAS, antenne sociale…).
E.S.: Quels enseignements avez-vous tirés de cette expérience? Qu’en est-il des résultats de l’évaluation que vous avez menée? Pouvez-vous dire que votre projet a amélioré la qualité de vie des bénéficiaires?
P . L .: Oui! Les évaluations réalisées avec le groupe porteur et les échanges avec les personnes fréquentant le bar à salades montrent que celui-ci leur permet de:
– s’investir dans un projet, d’y prendre des responsabilités: un groupe d’adultes s’est investi dans le bar à salades. Chacun s’est vu attribuer des taches personnalisées, a endossé des responsabilités reconnues par «l’extérieur» comme valorisantes. Ce regard neuf et positif les aide à reprendre confiance et à aller de l’avant. « Au départ , j’ai hésité à m’investir dans le bar à salades . La bouffe , c’est pas trop mon truc Maintenant , je suis devenu le dessinateur attitré du bar à salades !»;
– faire des rencontres: depuis l’ouverture, une soixantaine de personnes habitant la commune et représentant toutes les couches sociales de la population viennent déguster des salades. « J’ai rencontré une chouette dame , elle m’a aidé à voir les choses autrement !»;
– rompre l’isolement: les personnes souffrant de solitude sont «sorties de leurs quatre murs» et se sont ainsi ouvertes à de nouvelles rencontres. « Pour nous , le bar à salades est une des seules sorties du mois à ne pas manquer »;
– s’intégrer dans un groupe: les participants ont expérimenté la vie en groupe et ont appris à respecter les ressources de chacun. Une fois la dynamique de groupe installée, chacun a trouvé son rôle et, petit à petit, des gestes de solidarité et d’amitié sont apparus… Les personnes se sont unies autour d’un objectif commun;
– se sentir écouté et écouter l’autre: en évoluant au sein du groupe, les participants ont dû apprendre à écouter les autres et à partager des idées. « Ce n’était pas évident au début tous ces conflits , j’ai failli partir plusieurs fois , puis on en a discuté en groupe Ca s’est arrangé ! J’ai le sentiment qu’on devait passer par là pour que ça aille mieux »;
– partager des savoirs: le groupe a échangé sur le mode de fonctionnement du bar et les recettes. Chacun a pu s’exprimer. « C’est chouette comme vous préparez la salade , je n’aurais jamais pensé à préparer mes carottes de cette façon , la prochaine fois , j’essayerai »;
– rompre avec certains tabous et accepter les différences: l’une des préoccupations du groupe était d’ouvrir le bar à salades à tous;
– (re)découvrir la nourriture et ses bienfaits et prendre conscience qu’elle est accessible à tous les budgets: le groupe s’est attelé à préparer des salades qui restent accessibles pour tous les portefeuilles et donc le leur. « J’aime refaire les salades que j’ai découvert ici chez moi , pour mes enfants
E.S: Avez-vous des projets pour l’avenir? Voyez-vous des obstacles à la poursuite du bar à salades?
P . L .: Notre public désirerait que l’on attache d’autres activités au bar à salades mais ce n’est pas encore à l’ordre du jour pour des raisons pratiques (local, manque de temps…).
De notre côté, nous désirons assurer un roulement dans notre public par le biais de la publicité, du bouche à oreille…
Cependant, nous sommes confrontés à des obstacles financiers et organisationnels. D’abord, la vente de salades nous permet aujourd’hui d’acheter les légumes pour le mois suivant, mais les autres frais (loyer, entretien…) sont pris en charge par le subside qui nous a été accordé par la Fondation Roi Baudouin. Lorsque cette ressource sera épuisée, il faudra assurer un auto-financement du projet car nous n’avons pas d’autres subsides…
Ensuite, la gestion de la dynamique de groupe (conflits, intégration de nouvelles personnes…) est un travail de tous les jours pour que le projet perdure. Les intervenantes engagées à cet effet devront sans cesse veiller à ce que la dynamique reste en adéquation avec les objectifs déterminés initialement.
E.S.: Enfin, avez-vous une astuce à donner à ceux qui voudraient tenter une expérience similaire?
P . L .: Je leur conseillerais de laisser le temps au groupe de s’approprier le projet. Ne pas agir à la place du groupe est essentiel. L’intervenant ne doit pas se positionner comme «détenteur du savoir à inculquer» mais plutôt comme «outil au service du groupe». Partir des ressources et compétences de chacun est primordial. La dynamique s’équilibre alors naturellement et chacun trouve sa place.
Pour en savoir plus sur le projet ou pour tout autre renseignement : SRP La Teignouse , Sart 2 , 4171 Poulseur 04 380 08 64 – srp@lateignouse.be – http://www.lateignouse.be .

La Teignouse

Le Service régional de prévention La Teignouse est une asbl créée en 1989, reconnue comme service d’insertion sociale par la Région wallonne. Ses missions principales sont l’accueil, l’accompagnement et l’insertion de personnes précarisées.
L’asbl est mandatée pour mener des concertations avec les personnes résidant en permanence dans les domaines et campings de 11 communes de la région Ourthe-Amblève-Condroz. Les actions qu’elle mène sont diverses, en fonction de la diversité de ses publics cibles: mise en place de groupes de parole, d’ateliers de socialisation, aménagement d’un bus en lieu mobile d’animation, mise en place d’un bar à soupe…
Parallèlement à ces actions collectives ou communautaires, l’asbl développe un accompagnement plus personnalisé.
Ses grands principes:
– s’engager à ce que toute personne soit rencontrée humainement, accueillie et écoutée confidentiellement et respectée dans ses différences;
– valoriser les potentialités de chacun ;
– favoriser la création de liens de solidarité;
– reconnaître et renforcer l’autonomie de la personne;
– favoriser le bien-être à travers la ( re ) construction du lien social ;
– veiller, à travers ses actions, à ce que chaque personne puisse prendre sa place et s’épanouir ;
– rester ouverte aux changements .

(1) «Une alimentation favorable à la santé pour les personnes précarisées», Guide pratique à l’usage des professionnels de l’action sociale, de la santé et de l’alimentation en Communauté française, Fondation Roi Baudouin, septembre 2008. Voir sur http://www.kbs-frb.be/publication.aspx?id=236104&LangType;=2060
(2) Projet ayant pour finalité de «donner le goût au séjour dans l’habitat».
(3) Projet initié dans la commune de Comblain-au-Pont, grâce auquel les publics précarisés se réunissent toutes les semaines pour préparer des potages, décorer le bar, et ensuite, y accueillir les convives.