Novembre 2005 Par V. LITT J. VAN BRUSSEL Martine BANTUELLE Initiatives

En 1989, l’OMS rédige un manifeste qui reconnaît les résultats des actions communautaires en terme de réduction du nombre et de la gravité des traumatismes et crée le label de ‘communauté sûre’ (‘Safe Community’ en anglais). Cette décision est motivée par la nécessité d’ajouter aux campagnes générales des actions locales fondées sur une analyse de situation et la participation de la population au choix des priorités d’intervention.
Actuellement, plus de soixante communautés dans le monde se sont engagées dans cette démarche. En Communauté française de Belgique, la ville hennuyère de Fontaine-L’Evêque a entamé ce processus dès 2000, avec l’appui de l’asbl Educa-Santé et de l’Ecole de santé publique de l’ULB.

Qu’est-ce qu’une ‘communauté sûre’?

Ce concept labellisé par l’OMS répond aux critères qui ont été développés par l’équipe du Département de santé publique du Karolinska Institute de Stockholm sur base d’actions menées dans plusieurs villes.
Existence d’un groupe multidisciplinaire responsable du programme de prévention .
Le partenariat s’établit entre les décideurs, les professionnels et les habitants et entre différents champs professionnels. Le partenariat suppose le consensus autour d’un objectif commun, permet la mise en commun des ressources, la complémentarité des actions et l’augmentation des compétences par les échanges. De plus, dans le domaine des accidents, certaines solutions efficaces impliquent la participation de compétences extérieures qu’il faut pouvoir rassembler.
Sensibilisation de la communauté tout entière .
Une sensibilisation étendue a pour but de renforcer les capacités de chaque individu à identifier des situations à risque et les moyens nécessaires à la maîtrise des risques, et intégrer les préoccupations de sécurité dans les décisions qui concernent les milieux de vie et l’environnement.
Action privilégiée sur les groupes et les environnements à risque, en particulier sur les populations les plus fragiles, dans un souci d’équité sociale .
La priorité doit être donnée à la prévention des accidents les plus graves ou ceux touchant les populations les plus à risque et bien souvent les moins accessibles ou les moins réceptrices aux messages habituels de prévention. Des priorités doivent être définies par exemple selon les conséquences de certains accidents ou leur lieu de survenue.
Existence d’une base de données permettant de connaître la fréquence, les causes et les circonstances de survenue des traumatismes rencontrés au sein de la communauté .
La connaissance préalable de la situation locale est une condition nécessaire au choix de la meilleure stratégie d’intervention et des cibles (populations ou types d’accidents) à privilégier. Constamment remise à jour, la base de données devient un système de surveillance, et permet l’évaluation ultérieure des actions.
Engagement de la communauté pour un projet à long terme .
Une telle démarche demande une organisation lente dont les résultats ne sont observables qu’à moyen et long terme. Un tel effort et de tels moyens doivent s’envisager dans une perspective de 5 à 10 ans.
La communauté entreprend les démarches suivantes:
– utiliser des indicateurs appropriés pour l’évaluation régulière du programme;
– collaborer avec les principales organisations et associations de la communauté;
-persuader les structures de soins de recueillir des données complètes et de participer au programme de prévention;
– faire partager l’expérience locale à d’autres villes ou régions;
– s’intégrer au réseau international des villes ayant mis en place un programme global de santé communautaire.
Pour être reconnue comme ‘communauté sûre’, ces conditions doivent être remplies et validées par le Karolinska Institute (Stokholm) qui est centre collaborateur de l’OMS pour la promotion de la sécurité.

Fontaine-L’Evêque, ville pilote pour une ‘Safe community’

Fontaine-l’Evêque est une petite ville hennuyère comptant 17000 habitants et dont l’entité s’étend sur près de 3000 hectares. La population est essentiellement rurale et l’entité compte encore cinquante fermes. Les entreprises qui subsistent sont essentiellement dans le secteur métallurgique.
Ancien haut lieu du bassin minier, la population de Fontaine-L’Evêque reste cosmopolite et compte une forte communauté italienne. 3000 élèves fréquentent les écoles locales et le revenu moyen des habitants est peu élevé.
La ville de Fontaine-L’Evêque a toujours été active en promotion de la santé. Un «service santé» a été créé au sein de l’administration communale en 1999, employant deux membres du personnel communal et centralisant les actions menées depuis de nombreuses années déjà. Ce service organise diverses activités de sensibilisation dans les écoles et auprès de la population.
C’est dans le cadre des collaborations établies avec l’asbl Educa-Santé que le projet ‘communauté sûre’ est né. Grâce au soutien financier du Ministère de la santé de la Communauté française, un programme pluriannuel consacré à la promotion de la sécurité a été lancé et a permis de faire aboutir cette initiative.
Lors de contacts avec la ville de Boulogne-Billancourt (Ile de France), qui s’est engagée dans la démarche depuis 1997, la ville de Fontaine-L’Evêque a été convaincue de la pertinence du programme ‘communauté sûre’ et s’est donné les moyens d’expérimenter le programme. Par décision du Conseil communal du 8 juin 2000, le projet ‘communauté sûre’ a été doté d’un budget annuel de 5000 euros.
La volonté de la ville était dès le départ de pourvoir à une meilleure connaissance du phénomène «traumatismes», d’en informer la population, de créer une commission de pilotage intersectorielle conforme aux recommandations de l’OMS.
Cette commission réunit des élus locaux, les pompiers, la police locale, des médecins généralistes, des représentants du CPAS, de l’enseignement, des services de santé, des logements sociaux, des associations du troisième âge, des associations de quartiers, ainsi que des institutions telles que l’ONE, le Centre local de promotion de la santé, etc. L’objectif est clair: évaluer de manière précise le phénomène des traumatismes et la possibilité de réduire les risques en travaillant de manière intersectorielle.
Pour toucher la population, la commission a décidé de mettre en oeuvre des activités susceptibles d’attirer largement le public.
Le déroulement du projet a été prévu en une première phase de quatre ans avec l’encadrement méthodologique et scientifique de l’asbl Educa-Santé et de l’Ecole de santé publique de l’ULB (centre collaborateur de l’OMS). Les mêmes partenaires entament maintenant une seconde phase de cinq ans.

Un premier recueil de données et les premières priorités d’action

Ce volet, essentiel au pilotage du programme, a été abordé en première étape par la recherche de la sécurité perçue par les responsables communaux, les institutions, les relais auprès des habitants… Cet outil a permis d’identifier les risques perçus par la population au travers des représentations des personnes interrogées. Il est apparu que les enfants et les personnes âgées étaient considérées comme deux groupes de population à haut risque de traumatismes et les abords des écoles et le domicile, comme lieux prioritaires d’intervention.
Dans un premier temps, le projet a visé des actions de prévention des traumatismes chez les jeunes enfants. C’est avec la collaboration de différents services consacrés à la petite enfance qu’une recherche concernant l’implantation de trousses de sécurité contenant des accessoires de base destinés à équiper les maisons a été réalisée. Ce matériel comprenait par exemple un détecteur de fumée, des protections pour coins de meubles, des loquets pour armoire, des cache-prise munis de clefs ou des protections pour becs de robinets, ainsi que des brochures spécifiques aux accidents chez les enfants (1).
En 2004, la commune de Fontaine-L’Evêque a organisé une vaste campagne de sensibilisation à la prévention des incendies. Des dépliants ont été distribués à toute la population, des panneaux d’affichage relayaient les consignes de sécurité et des exercices ont été organisés dans les écoles.
Les pompiers ont participé aux actions de sensibilisation et à une opération qui s’est soldée par un énorme succès populaire au début de l’été 2004: sur un terrain communal aménagé pour l’occasion, ils ont procédé à des démonstrations de différentes extinctions de feux. Ce type d’action spectaculaire s’est révélé une tribune particulièrement efficace en matière d’information et de sensibilisation.

Recueil de données dans les hôpitaux et auprès des médecins généralistes

Dans le but d’améliorer la connaissance du problème dans la commune, en 2002 et 2003, une étude des systèmes d’information hospitaliers a été entamée. Grâce aux informations recueillies auprès des médecins généralistes de la commune, les services d’urgence qui reçoivent les habitants de Fontaine-L’Evêque ont été identifiés et des contacts ont été établis avec chacun d’entre eux. Le but était de voir dans quelle mesure les systèmes existants reprenaient les informations sur les circonstances des accidents, précisions essentielles à recueillir pour la planification et l’évaluation des actions de prévention des traumatismes.
Par ailleurs, une recherche opérationnelle sur ce type de recueil d’information a également été menée avec les médecins généralistes de la commune de Fontaine-L’Evêque. Ce travail a permis de mettre au point des outils de recueil de données performants et participatifs. Malheureusement, aussi bien dans les hôpitaux qu’auprès des médecins généralistes, un recueil exhaustif, fiable et continu de données spécifiques n’a pu être réalisé à ce jour. Il faut dire que la pratique du recueil de données pour l’épidémiologie décisionnelle et concrète existe très peu en Belgique et que les systèmes de collecte de données ne sont quasi pas orientés vers de tels objectifs.

Résultats et retombées pour la ‘communauté sûre’ à long terme

Les actions menées dans la ville de Fontaine-L’Evêque ont suscité bon nombre d’innovations dans la commune. A commencer par l’évolution perçue au sein de la population.
Déjà sollicitée par les actions du service de santé communal, la population de la petite ville a pu mesurer à quel point les autorités se souciaient du bien-être de chacun et de la sécurité de leur environnement. Désormais, les actions ponctuelles et spectaculaires sont reliées dans une dynamique globale et soutenues par des parutions régulières dans le journal communal où une rubrique sécurité s’est créée, un forum ouvert sur le site internet de la ville animé par l’échevin de la santé, la distribution récurrente de brochures et dépliants sensibilisant à diverses problématiques. Les partenariats sont permanents avec les institutions et les professionnels de différents secteurs d’intervention et soutenus par la commission.
Ce qui ajoute au succès du projet est sans doute l’autonomie acquise par la ville pour mener à bien ses propres actions portant sur la sécurité et la santé. Des efforts sont déployés afin de trouver des moyens qui alimentent le développement des projets. Le concept de ‘communauté sûre’ existe par lui-même à Fontaine-L’Evêque et la problématique fait partie d’un ensemble: celui de la gestion quotidienne de la ville dans une optique de développement durable.

La poursuite de l’approche ‘communauté sûre’

Sur base de ces résultats, la ville de Fontaine-L’Evêque poursuit donc sa route et continue à étendre la démarche.
Tandis que la recherche d’un système de recueil de données léger et performant se poursuit, deux actions sont en cours d’élaboration: la première concerne la prévention des chutes chez les personnes âgées et la deuxième la sécurité aux abords des écoles.
Les chutes chez les personnes âgées constituent un grave problème de santé publique entraînant de nombreuses fractures et parfois, le décès (2). Ce problème doit s’envisager dans une démarche globale de promotion de la santé et de la sécurité des personnes. A Fontaine-L’Evêque, c’est une dynamique communautaire qui soutiendra la démarche et un partenariat s’établira avec la municipalité de Gentilly (France) qui est active depuis plusieurs années dans ce domaine.
Le second projet, qui devrait permettre d’établir de nouvelles stratégies pour assurer la sécurité aux abords des écoles, en est à ses prémices, une école pilote ayant été désignée. On tentera d’y sensibiliser les enfants de cinquième et sixième primaire à la survenue d’accidents sur le chemin de l’école.
Toujours en accord avec les critères suggérés par l’OMS, les objectifs poursuivis tendent à mettre l’accent sur la promotion de la santé des deux populations les plus «fragiles» (jeunes enfants et personnes âgées).
Par ailleurs, l’appellation de ‘ville pilote’ implique le souhait que le même chemin soit suivi par d’autres villes. Souhait qui pourrait se voir réalisé à Charleroi dans le cadre du «contrat de sécurité» de la métropole carolo.
Ce nouveau défi ouvre bon nombre de perspectives au vu de l’ampleur et des réalités de l’entité carolorégienne: un système efficace de récolte de données à construire avec les médecins généralistes et des hôpitaux, le choix de priorités d’actions et de lieux d’intervention, l’extension à la prévention des traumatismes intentionnels, l’articulation avec des dynamiques de concertation déjà existantes, une planification qui tienne dans la durée…
Martine Bantuelle, Vincent Litt, Jérémie Van Brussel , Asbl Educa-Santé
Adresse des auteurs: Educa-Santé, av. Gl-Michel 1 B, 6000 Charleroi. Internet: http://www.educasante.org
(1) Voir l’article «Prévention des traumatismes survenant chez les jeunes enfants» de Martine Bantuelle, Marc Sznajder, Marie-Christine Van Bastelaere paru dans Education Santé n°191, juin 2004
(2) Voir l’article «Promotion de la santé chez les personnes âgées: les chutes» de Martine Bantuelle et Marie-Christine Van Bastelaere paru dans Education Santé n°199, mars 2005.