Mai 2001 Par M. PETTIAUX Initiatives

L’augmentation spectaculaire de la consommation de tabac et la propagation du tabagisme dans le monde entier constituent pour l’Organisation mondiale de la santé à la fois un défi à relever et une occasion à saisir.
Le défi consiste à rechercher des solutions globales pour un problème qui ignore les frontières nationales et touche toutes les cultures, les sociétés et les couches socio-économiques. Mais l’impact massif et sans précédent du tabac sur la santé publique offre aussi à l’OMS l’occasion de proposer au monde une première réponse globale à une menace qu’on a souvent qualifiée d’épidémie silencieuse.
L’initiative Pour un monde sans tabac a jeté les premières bases d’une action dans ce sens. Le 24 mai 1999, l’Assemblée mondiale de la santé, organe directeur de l’Organisation mondiale de la santé, a ouvert la voie à des négociations multilatérales qui doivent déboucher sur un ensemble de règles pour lutter contre l’augmentation mondiale de la consommation et la propagation du tabac et des produits du tabac au cours du siècle à venir.
Les 191 Etats Membres de l’OMS ont adopté à l’unanimité une résolution de l’Assemblée de la santé prévoyant l’élaboration d’une convention-cadre pour la lutte antitabac, un nouvel instrument portant sur des questions aussi différentes que la publicité en faveur du tabac et les activités promotionnelles, la diversification agricole, la contrebande, les taxes et les subventions.
Les avantages d’une telle convention sont multiples. Le plus important est qu’avec un tel guide et outil de coordination, les politiques nationales de santé publique adaptées aux besoins nationaux pourront progresser sans risquer d’être sapées par des phénomènes transnationaux, comme par exemple la contrebande, qui prend une ampleur considérable.

Qu’est-ce que la CCLAT?

La convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT) sera un instrument juridique international qui permettra de circonscrire la progression mondiale du tabac et des produits du tabac. Pour la première fois, l’OMS mettra en oeuvre l’article 19 de sa Constitution qui l’autorise à élaborer et à adopter une telle convention. En fait, les négociations sur la CCLAT et l’adoption de la convention doivent être considérées comme un processus et un produit au service de la santé publique.
Cet instrument sera élaboré par les 191 Etats Membres de l’OMS de manière à ce que leurs préoccupations soient reflétées adéquatement tout au long du processus. L’approche convention-cadre complétée par des protocoles permettra aux Etats Membres de forger cet instrument juridique international par étapes successives:
– la convention-cadre établira les bases juridiques et les structures de l’instrument de santé publique. Ce sera un peu comme poser les fondations d’un bâtiment;
– les protocoles constitueront des accords séparés qui viendront étoffer l’instrument en bâtissant sur les fondations.

Quand sera-t-elle prête?

Dans la Résolution WHA52.18, l’Assemblée mondiale de la santé a esquissé un processus pour l’élaboration de la convention-cadre et d’éventuels protocoles s’y rapportant. La résolution, adoptée à l’unanimité en mai 1999, prévoit l’adoption de la convention-cadre et d’éventuels protocoles par l’Assemblée mondiale de la santé en mai 2003 au plus tard. Mais, chaque processus de négociation est unique et progresse à son propre rythme. La convention-cadre pourra donc être achevée plus tôt si les Etats Membres de l’OMS en décident ainsi. Cela dépendra beaucoup de leur volonté politique et de la constance de leur engagement en faveur de la cause de la santé publique.

Comment la Convention contribuera-t-elle à la lutte internationale anti-tabac?

Si l’on ne s’attaque pas conjointement aux dimensions nationales et transnationales de la lutte antitabac, même les programmes nationaux de lutte les plus complets risquent d’être annihilés. Les axes nationaux et internationaux de la convention sont interdépendants.
La CCLAT et ses protocoles permettront d’améliorer la lutte transnationale antitabac et la coopération dans ce domaine par les moyens suivants:
* Les principes directeurs de la convention pourraient comprendre à la fois des mesures nationales et des mesures transnationales qui viseraient à faire apparaître clairement que le tabac contribue de manière importante à créer des iniquités sur le plan de la santé dans toutes les sociétés; que, par suite de l’accoutumance qu’il crée et des dommages que sa consommation entraîne pour la santé, le tabac doit être considéré comme une substance nocive; que le public a le droit d’être pleinement informé des conséquences de l’usage des produits du tabac sur la santé; et que le secteur de la santé a une responsabilité majeure dans la lutte contre cette épidémie, mais que le succès de cette entreprise ne pourra être assuré qu’avec la pleine participation de tous les secteurs de la société.
* En vertu de la convention, les Etats parties prendront les mesures appropriées pour atteindre, par des actions coordonnées, les objectifs généraux sur lesquels ils se seront mis d’accord. A cet égard, la CCLAT pourrait comprendre les objectifs généraux suivants: protéger les enfants et adolescents contre l’exposition aux produits du tabac et leur usage et contre leur promotion; prévenir et traiter la dépendance à l’égard du tabac; promouvoir des environnements sans tabac et le développement d’économies saines et sans tabac, en mettant fin notamment à la contrebande; renforcer le rôle prépondérant des femmes dans la lutte antitabac; affermir la capacité de lutte antitabac de tous les Etats Membres et améliorer les connaissances et l’échange d’informations aux niveaux national et international; protéger les communautés vulnérables, y compris les populations indigènes.
* Les protocoles pourraient prévoir des obligations spécifiques consistant par exemple à s’attaquer aux problèmes des prix, de la contrebande, des produits du tabac détaxés, de la publicité et du parrainage, de la publicité et du commerce sur Internet, des méthodes d’essai, de la présentation et de l’étiquetage des emballages, de la circulation de l’information et de la diversification agricole.
Le processus d’élaboration et d’adoption de la CCLAT et des protocoles aidera aussi à mobiliser un soutien technique et financier, national et mondial pour la lutte antitabac; à accroître la prise de conscience dans les divers ministères susceptibles d’être concernés par la lutte internationale antitabac, ainsi que dans les secteurs de la société directement intéressés par les aspects du tabagisme qui touchent à la santé publique; à renforcer la législation et l’action nationale; et à mobiliser les ONG et d’autres membres de la société civile en faveur de la lutte antitabac.
En vue de l’adoption de la CCLAT, l’OMS et ses bureaux régionaux travailleront avec les ONG, les médias et la société civile dans les pays pour attirer l’attention sur le tabac sous tous ses aspects.
La convention-cadre concerne la lutte antitabac à long terme. Le principal avantage de cette convention est qu’elle permettra à l’OMS et à sa ‘famille élargie’, c’est-à-dire les pays à titre individuel et les individus au sein de ces pays de recueillir les bienfaits qui résulteront, sur le plan de la santé publique, de la lutte contre le tabac et contre son extension dans toute la société. Il s’agit d’un instrument juridique au service de la santé.

Qui supportera les frais occasionnés par la convention?

Le budget de la CCLAT devra, dans un premier temps, être financé par des fonds extrabudgétaires. Les coûts comprendront les dépenses d’appui technique de l’OMS, le coût des réunions intergouvernementales techniques et de négociation, et les dépenses d’appui pour l’établissement des commissions nationales de la CCLAT chargées de faciliter le processus dans les pays. A moyen et long terme, il faudra prévoir un budget ordinaire pour assurer l’application continue de la convention.
En particulier, les pays en développement auront besoin d’une assistance financière et technique pour participer au processus de formulation de la CCLAT.
Des ressources seront aussi nécessaires pour la phase d’application. Il faudra trouver des fonds pour aider les pays à se doter des moyens de participer aux activités de lutte antitabac à l’échelle nationale et mondiale.
De nouveaux fonds extrabudgétaires devront être trouvés pour financer le processus d’élaboration de la convention, mais les fonds alloués jusqu’ici à la lutte antitabac ne seront pas détournés au profit de ce processus. L’appui à la CCLAT doit être considéré comme faisant partie intégrante de l’effort national et mondial en faveur de la lutte antitabac.

Qu’adviendra-t-il des économies qui dépendent du tabac?

L’idée largement répandue selon laquelle la lutte antitabac se traduira par une perte de recettes est en réalité un mythe. Les chiffres penchent fortement en faveur de l’abandon de la culture du tabac. Certaines analyses économiques récentes, par exemple les données de la Banque mondiale dans ‘The Economics of Tobacco Control: Towards an optimal Policy mix ‘, montrent que les coûts sociaux et sanitaires du tabac l’emportent largement sur les bénéfices économiques directs pouvant être dérivés de sa culture.
L’industrie du tabac argue qu’il n’existe aucune véritable culture de substitution ou autre option de remplacement. Pourtant, on peut raisonnablement supposer que les consommateurs qui cesseront de fumer reporteront leurs dépenses consacrées au tabac sur d’autres biens et services. Il s’ensuit que le recul de l’emploi dans l’industrie du tabac sera compensé par une augmentation de l’emploi dans d’autres secteurs. Toutefois, à court terme, pour les pays qui dépendent fortement des exportations de tabac (c’est-à-dire les exportateurs nets), la diversification économique et agricole risque d’entraîner des pertes d’emplois.

Quels sont les ministères qui participeront aux négociations?

En dehors des ministères de la santé dont le rôle est prépondérant, les ministères des affaires étrangères jouent généralement un rôle majeur dans la négociation des conventions et des traités. Les ministères des finances, de l’environnement, du travail, de la justice, du commerce extérieur de l’éducation et de l’agriculture devraient également intervenir dans les négociations à un stade ou à un autre.

Les conventions/traités internationaux juridiquement contraignants débouchent-ils sur des actions et des résultats tangibles?

L’adoption d’un accord international peut faire une grande différence. Ainsi, par exemple:
– la production et la consommation de substances qui appauvrissent la couche d’ozone stratosphérique ont fortement diminué au cours de la dernière décennie, à la suite de l’adoption du Protocole de Montréal sur la couche d’ozone;
– l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce a fait baisser les obstacles au commerce et favorisé l’expansion du commerce international;
– les accords sur la limitation des armements ont mis un frein à la prolifération des armes nucléaires et conduit à une réduction substantielle des arsenaux des puissances nucléaires.

Les accords internationaux peuvent-ils influer sur le comportement des Etats?

Dans certains cas, les accords internationaux prévoient des mécanismes efficaces de mise en œuvre, tels que le système de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce. Mais, même en l’absence de tels mécanismes, un accord international peut:
– établir des mécanismes d’examen qui font pression sur les Etats en les exposant à la vigilance du public;
– édicter des règles juridiques dont l’application peut être demandée devant les tribunaux;
– fournir des moyens de pression supplémentaires aux partisans de la lutte antitabac dans les gouvernements nationaux pour les aider à atteindre les objectifs du traité.
Ainsi, si les traités amènent rarement un Etat à changer immédiatement d’attitude, ils peuvent l’inciter à modifier sensiblement son comportement dans certains domaines, parce qu’ils modifient son calcul des coûts et avantages, parce que la plupart des Etats estiment qu’ils doivent respecter leurs engagements.
On oublie parfois ces chiffres accablants: alors que le sida coûte 18.000 vies par an en Europe, le suicide 34.000 et les accidents de la route 42.000, le tabagisme y tue 550.000 personnes.
On comprend mieux qu’il conviendra dans un tout proche avenir, de consacrer enfin les moyens proportionnés à la lutte contre le tabagisme!
Michel Pettiaux , FARES
Source:O.M.S., Genève