En Belgique, l’adhésion de la population et du corps médical à la vaccination est globalement bonne. Cependant, les signes ne manquent pas pour annoncer la fin du temps béni pour les vaccinateurs, celui de la simple adoption d’une vaccination sur base d’une «recommandation», sans réflexions et interrogations concomitantes.
Parmi les questions émergentes au sein de la population, on peut distinguer deux catégories principales.
Il y a une interpellation du sens même de la vaccination: est-ce vraiment utile (car les maladies ne sont pas si graves)? Est-ce encore nécessaire (puisque les maladies ont disparu)? Est-ce efficace (puisqu’on voit encore des épidémies malgré la vaccination)? Est-ce judicieux (puisque l’immunité après maladie est meilleure)?
La sécurité des vaccinations constitue le second questionnement, une interrogation récurrente parmi les personnes hésitant à recourir à cette méthode préventive.
Les réponses à ces doutes et inquiétudes se doivent d’être nuancées: la recherche du consentement éclairé des citoyens impose à la fois une information sérieuse et une démarche pédagogique.
La vaccination: trop performante ?
La vaccination est victime de ses succès. De nombreuses maladies infectieuses, dans le passé, étaient endémiques et/ou provoquaient des épidémies récurrentes, avec leurs corollaires de mortalité et de morbidité.
Ainsi, jusqu’aux années soixante, la diphtérie était endémique en Belgique, avec des épidémies ponctuelles. Après l’introduction de la vaccination généralisée des nouveau-nés en 1959, l’incidence a baissé rapidement: de 1.313 cas pour la seule année 1959, on est passé à 1.752 cas pour les 10 années suivantes, de 1960 à 1969 (dont 55 décès). Depuis le début des années 80, seul 1 cas de diphtérie a été déclaré. Les épidémies survenues dans les années 90 en Russie et en Ukraine ont démontré la réversibilité de cette sécurité, dès que l’organisation de la vaccination est perturbée et que les couvertures vaccinales s’effondrent.
La poliomyélite était également endémique dans le passé en Belgique et une majorité de la population était infectée dès l’enfance. Dans un premier temps, grâce à une amélioration importante de l’hygiène et une vaccination ponctuelle non organisée, on a observé dans les années 50 une évolution de la situation endémique, vers des poussées épidémiques, touchant des groupes d’âge plus avancés avec des cas plus symptomatiques. Avec les campagnes généralisées de vaccination à la fin des années 50 et l’obligation vaccinale introduite en 1967 dans notre pays, l’incidence de la maladie a spectaculairement et rapidement diminué. Actuellement , il n’y a plus de cas de transmission indigène de poliomyélite en Belgique. Cependant, des cas importés pourraient déclencher des épidémies locales dans des sous-groupes de population non immunisés en raison d’un refus de vaccination, comme cela s’est passé aux Pays-Bas en 1992-1993.
La rougeole nous offre un autre exemple éloquent en cette année 2011, avec l’éclosion de multiples épidémies dans les pays européens. Avant l’introduction de la vaccination, près de 95% des enfants faisaient la maladie avant l’âge de 15 ans. L’infection évoluait par poussées épidémiques, tous les 2-3 ans. L’incidence de la rougeole a très fortement diminué depuis la mise en place de la vaccination généralisée des nouveau-nés (passant de 823/100.000 habitants en 1982 à 73/100.000 en 1993 et à 1,8/100.000 en 2009). Toutefois, en raison d’une couverture vaccinale insuffisante et de la forte diminution de la circulation du virus sauvage, des poches de population non immunisée se forment. Elles sont le point de départ de petites épidémies récurrentes. En outre, l’âge moyen des personnes contractant la rougeole s’élève. Au 1er août 2011, selon l’Institut scientifique de santé publique, 485 cas de rougeole ont été déclarés en Belgique alors qu’on en dénombrait seulement 40 pour toute l’année 2010.
Rappelons que, pour obtenir l’élimination de la rougeole, nous devons atteindre l’objectif de 95% de couverture vaccinale pour deux doses de RRO (Rougeole-Rubéole-Oreillons).
Le souvenir de ces épidémies et de leurs conséquences parfois dramatiques s’est estompé: les jeunes parents actuels ne connaissent plus le tableau clinique et les conséquences potentielles des maladies infectieuses. Une information permanente est donc indispensable pour maintenir la mémoire collective et une motivation vaccinale.
Peser les avantages et inconvénients
Un préalable nécessaire pour pouvoir approcher la question de la sécurité des vaccins est de poser le cadre d’un raisonnement adéquat. Il ne s’agit ni de nier les incertitudes, ni de mener une propagande pour la vaccination, en miroir de celle menée par des groupes d’opposants inconditionnels à la vaccination.
Le choix de recommander une vaccination repose toujours sur un bilan d’avantages et d’inconvénients. Les éléments qui entrent en jeu dans cette évaluation sont multiples:
-la maladie justifie-t-elle une prévention vaccinale: morbidité, mortalité, fréquence, modes de transmission, conséquences socioéconomiques, etc.?
-le vaccin proposé a-t-il montré des preuves scientifiques (effets cliniques et épidémiologiques) d’efficacité, offre-t-il un profil de sécurité bien étayé, etc.?
-la vaccination est-elle faisable et pérenne: coût pour les finances publiques, organisation de l’administration des vaccins (services de santé), distribution des vaccins, accessibilité financière et culturelle, etc.?
La complexité et la rigueur de cette évaluation doivent être communiquées au public, afin que chacun puisse comprendre les enjeux, individuels et collectifs, impliqués dans l’acceptation ou le refus d’une vaccination.
Par ailleurs, il faut rappeler quelques facteurs qui déterminent la perception des risques par une population. Un article qui reste d’actualité les résumait ainsi en 1999:
-les risques volontaires, librement assumés, sont mieux acceptés que les risques imposés, non volontaires;
-les risques naturels sont plus facilement tolérés que les risques qui sont la conséquence d’une intervention humaine;
-de nombreux parents acceptent de recourir à des mesures préventives uniquement lorsque le risque de maladie grave peut être écarté à 100% par la vaccination;
-certains parents refusent la vaccination parce qu’ils préfèrent ne rien faire plutôt qu’agir. Beaucoup de parents se sentent plus coupables si leur enfant développe des lésions ou décède suite à une intervention choisie par eux-mêmes, plutôt que suite à la survenue spontanée d’une maladie;
-certains parents comptent sur le fait que la vaccination des autres enfants protègera leurs propres enfants, grâce à la barrière immunitaire obtenue;
-plutôt que sur des données statistiques, les parents basent leur décision en matière de vaccination sur des faits culturels, personnels et religieux. La couverture vaccinale est aussi influencée par l’éducation et le statut socio-économique.
Prendre conscience des enjeux collectifs
Trop longtemps, les enjeux de la vaccination ont été éclairés uniquement en terme de bienfaits et de protection individuels. Nous prenons cependant de plus en plus conscience des implications collectives et systémiques de la vaccination. Ainsi, nous constatons que la vaccination pèse sur l’écosystème de certains microbes et l’épidémiologie des maladies. La vaccination des enfants par le vaccin conjugué contre le pneumocoque, par exemple, induit un glissement des sérotypes impliqués dans les infections cliniques. Selon le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE), l’introduction d’une vaccination généralisée contre la varicelle soulève des questions quant à sa pertinence dans le contexte actuel des pratiques et connaissances.
Nous savons aussi que l’atteinte d’objectifs comme l’éradication ou l’élimination d’une maladie exige des couvertures vaccinales très élevées, et demande dès lors une adhésion collective massive. Face aux maladies infectieuses, se protéger, c’est protéger les autres… et protéger les autres, c’est se protéger!
Ce débat sur la responsabilité collective en matière de sécurité vis-à-vis des maladies infectieuses doit certainement être porté par les professionnels de santé.
L’information sur le net
En matière d’informations sur la santé, on trouve tout et n’importe quoi sur Internet. Plusieurs études européennes récentes chiffrent la proportion de la population surfant à la recherche d’informations sur la santé à 50 – 80% des gens, selon les pays. Et même pour les internautes considérant qu’Internet n’est pas une source importante d’information, des recherches et lectures fréquentes peuvent influencer les processus décisionnels.
Les recherches psychologiques et comportementales montrent que l’influence de l’information sur les perceptions et comportements n’est pas toujours consciente. Or que lit-on sur Internet à propos de la vaccination?
Une étude a été menée en 2009, sur base de la recherche sur google.com des termes anglais «vaccination», «vaccines» et «immunization OR immunisation». Pour les États-Unis, 21 des 30 premiers résultats étaient des sites consacrés à la vaccination, dont 5 étaient clairement anti-vaccination. La même recherche sur google.ca mettait en évidence 8 sites anti-vaccination sur les 30 premiers items. Moins la recherche est spécifique, plus la probabilité d’aboutir sur un site d’opposants à la vaccination est forte. Ceci signifie que les personnes les moins informées, qui sont donc les plus susceptibles de chercher des informations, utiliseront des termes très généraux qui les conduiront plus souvent vers des sites anti-vaccination. Une analyse de ces derniers montrent des contenus sur l’insécurité des vaccins, évoquant notamment des relations causales supposées entre vaccinations et maladies d’origine inconnue comme la sclérose en plaques, l’autisme, la mort subite du nourrisson, etc.
Des arguments continuellement répétés sont l’affaiblissement de l’immunité, l’immunité temporaire ou illusoire, la composition des vaccins qui rend malade, la surcharge du système immunitaire des enfants (surtout avec les vaccins combinés). Parallèlement, des traitements dits plus efficaces que la vaccination, comme l’homéopathie, sont évoqués. Les sites d’opposants à la vaccination sont très interconnectés, permettant ainsi un renforcement mutuel de l’information. La majorité de ces sites font aussi appel à l’émotion, via des histoires d’enfants (appuyées de photos parfois) atteints d’affections et de complications supposées liées à une vaccination. Les témoignages de parents et la mise en place de forums répercutant questions et réponses donnent une vitrine à ces récits de vie, émouvants et respectables certes, mais sans la distance et l’apport des nuances et mises au point scientifiques indispensables à une réelle information. Le recours aux médias sociaux comme Facebook et Twitter ouvre encore le champ des possibilités.
Mais quel est l’impact des visites sur ce type de site? Selon les auteurs d’une étude on line, une recherche et une visite sur des sites critiques vis-à-vis de la vaccination peut entraîner des changements considérables dans la perception: les risques liés à la vaccination sont majorés et ceux liés à l’absence de vaccination réduits. Ces changements persistent encore 5 mois après l’étude initiale.
Comment parler de vaccination à ses patients ?
Une enquête menée en France (Baromètre Santé 2005 -INPES) permet d’approcher les inquiétudes de la population vis-à-vis des vaccins. Dans un contexte de large acceptation de la vaccination (43% des répondants se disent «très favorables» et 47% «plutôt favorables», soit 90% des sondés au total), on note cependant que
-10% des répondants réfutent l’affirmation «les vaccins sont testés pour s’assurer qu’ils sont sans risque» et 17% l’affirmation «un vaccin dangereux serait identifié comme tel lors des essais cliniques»;
-55% se disent d’accord avec l’idée «il est très angoissant de se faire vacciner avec un nouveau vaccin, même s’il a été soigneusement testé»;
-38% pensent qu’«en se faisant vacciner, il est possible d’attraper une forme grave de la maladie contre laquelle le vaccin est censé protéger».
Dans un guide destiné aux médecins, les auteurs rappellent qu’il s’agit d’abord d’ouvrir un dialogue sur le sujet avec le patient. De manière générale, on peut commencer par explorer ce que sait le patient et son point de vue général sur la vaccination; on tente de repérer ce qu’il a compris, les réticences et les préoccupations dans ses propos.
Si le patient se montre indécis ou peu concerné, une information de type cognitif est utile (caractéristiques des maladies, pourquoi et comment se faire vacciner, avantages et effets indésirables, etc.). Si le patient semble réticent, il est utile de lui demander de préciser ses craintes ou ses doutes. On l’aide ainsi à réfléchir et on peut adapter l’information. Si le patient a peur des complications, il est nécessaire de lui donner des données concrètes qui lui permettent de comparer la fréquence et la nature des complications liées d’une part aux maladies, d’autre part aux vaccins. Nous sommes là dans le contexte de l’entretien motivationnel et de la consultation négociée.
À propos du «ton juste»
Des exemples récents (grippe aviaire, puis grippe pandémique H1N1) nous montrent combien les excès de médiatisation peuvent jeter le trouble et aboutir à des effets inverses de ceux recherchés! On retrouve à l’origine de ces phénomènes d’amplification et de dramatisation d’une situation, une conjonction de facteurs. De manière très schématique, voici quelques considérations assez spectaculaires.
Une surenchère des médias . À ce propos, Jean-Jacques Jespers relève que « Malheureusement, la logique fondamentale de fonctionnement de la plupart des grands médias aujourd’hui, ce n’est pas une logique de service. C’est une logique de profit. Or, les recettes pour faire du profit sont connues depuis un siècle et demi. Il n’est pas indispensable que la nouvelle soit vraie, mais il faut que la nouvelle soit sensationnelle, qu’elle suscite de l’émotion, qu’elle provoque un réflexe d’adhésion et de fidélité au média, que ce soit la télévision ou le journal. Ce qui est bon pour les médias, c’est ce qui suscite chez le public une envie d’en savoir plus, une envie de continuer à consommer le média. Ce n’est pas ce qui est vrai , ou ce qui est réellement important .»
Une surenchère des scientifiques . Voici ce qu’en disait Guy Meulemans , médecin vétérinaire expert en virologie aviaire: « (…) il y a des complices qui sont les scientifiques. Les scientifiques qui sont en charge du diagnostic, de la recherche sur ce genre de virus et qui ne sont pas subsidiés tant qu’il n’y a pas un gros relais médiatique. J’ai travaillé trente-six ans dans la recherche sur les virus aviaires et il était très difficile d’obtenir des crédits de recherche. Mais, regardez un peu la masse de crédits qui a été libérée – et qui continue à l’être – par l’Union européenne, les États-Unis, les gouvernements européens, en matière de recherche sur la grippe aviaire. Donc, les scientifiques n’ont pas du tout intérêt à diminuer la portée du problème, au contraire, ils vont ‘pousser sur le champignon’. Au mieux, ils vont dire qu’il existe un problème potentiel impossible à nier .»
Des intérêts commerciaux colossaux . Derrière chaque maladie évitable par vaccination, il y a un vaccin, un ou plusieurs producteurs, des bénéfices potentiels, des cours de bourse et des actionnaires. Ce contexte d’enjeux économiques et de guerre commerciale parfois induit des phénomènes de méfiance, des soupçons de corruption ou de manipulation de certains experts et responsables, etc.
Des maladresses des pouvoirs publics et l’application du principe de précaution. Jean-Jacques Jespers toujours: « Par exemple, on dit que le but des autorités publiques est de défendre la sécurité et la santé des gens. Oui, mais le but des élus est aussi d’être populaires et d’être vus dans les médias, dans l’espoir d’être réélus. Ainsi, il est très spectaculaire, et très rentable en termes de visibilité médiatique, d’aller isoler des zones entières, avec de grosses équipes de décontamination, avec des gens en combinaisons spéciales, munis de gants et de lunettes de protection qui vont recueillir les oiseaux morts… Ces motivations peuvent conduire les autorités publiques à avoir des attitudes contre-productives comme de vouloir écarter les véritables experts, de prendre la parole à leur place pour être sur le devant de la scène .»
In fine, le citoyen est perdant, car il doute de la crédibilité de tous et ne sait plus où s’appuyer pour construire un choix éclairé…
Toutes les citations sont reprises de «Grippe aviaire: un emballement médiatique», sur http://www.questionsante.be/outils/grippe_aviaire.html .
Le ton juste
Il est déconseillé d’exagérer les avantages et de minimiser les inconvénients pour convaincre le patient: outre une perte éventuelle de crédibilité si le patient s’informe (sur internet par exemple…), cette attitude peut même avoir un effet opposé en renforçant les résistances du patient. Ainsi, il apparaît d’analyses récentes que les intentions de vaccination sont moindres lorsqu’on fait appel à la peur des conséquences négatives d’une non-vaccination contre la rougeole, plutôt qu’à un message encourageant la protection.
Les nuances dans les énoncés des messages ont une influence réelle. Ainsi, le texte suivant «specific vaccines can indeed produce ilness-like symptoms; however, the complete illness» était proposé avec deux chutes finales «will never appear» (version tranchée) ou «will appear extremely rarely» (version nuancée). La comparaison des effets des deux messages a montré que la version tranchée de négation des risques conduisait paradoxalement à une perception du risque plus forte que la version nuancée.
Que conclure de tout ceci ? Les approches actuelles de la politique vaccinale doivent certainement évoluer pour répondre à la complexité croissante des questions posées dans la société. Les vaccinateurs, les éducateurs et responsables de santé publique seront contraints de s’adapter aux évolutions sensibles observées dans les perceptions collectives vis-à-vis de la vaccination et aux moyens d’informations actuels. Mais écouter les usagers, développer leurs aptitudes de poser eux-mêmes leurs choix, adapter les services de santé… Cela ne vous rappelle-t-il pas la démarche de promotion de la santé ?
Dr Patrick Trefois , Question Santé asbl, majeur et vacciné
Pour informer le public
Provac, une association interuniversitaire qui apporte, depuis 20 ans, ses compétences à l’organisation d’un programme structuré de vaccination en Communauté française, a réalisé divers documents de sensibilisation:
– Vacciner? Mieux comprendre pour décider. Programme de vaccination de la Communauté française. Édition 2010. http://www.sante.cfwb.be
– Les rendez-vous des vaccins.
– Quelles vaccinations pour les adolescents de 14-16 ans?
Le site http://www.vacc.info reprend des informations validées scientifiquement et des réponses à des questions souvent posées sur la vaccination.
Quelques références
Sanford R. Kimmel. Vaccine Adverse Events: Separeting Myth from Reality. Am Fam Physician 2002; 66:2113-20.
Vaccinations. Guide pratique pour le médecin. Version février 2009. INPES.
P. Gache et al. L’entretien motivationnel: quelques repères théoriques et quelques exercices pratiques. Revue Médicale Suisse n° 80. http://revue.medhyg.ch/article.php3?sid=31657
C. Betsch. Innovations in communication: the internet and the psychology of vaccination decisions. Eurosurveillance, vol 16, issue 17, 28 april 2011. http://www.eurosurveillance.org
C. Betsch et al. The Influence of vaccine-critical websites on perceiving vaccination risks. J Health Psychol 2010; 15: 446-55.