Une nouvelle campagne de sensibilisation relative à la consommation d’alcool par les jeunes, vient de voir le jour sous le nom ‘Respect 16’ (1).
Le but annoncé de cette campagne est de donner aux distributeurs d’alcool et au secteur de l’Horeca des conseils et recommandations pour ne pas servir de la bière aux moins de 16 ans. L’idée est de faire passer le message de façon moins autoritaire, plus ‘cool’.
Il s’agit, a priori, d’une action très positive. L’alcool est un enjeu de santé publique important, et de nombreuses actions restent à mener dans ce domaine. Parmi celles-ci, il est en effet indispensable de sensibiliser et de former les acteurs de première ligne, dont notamment le personnel Horeca, quant à leurs responsabilités en la matière. Une information sur la législation en vigueur est tout autant nécessaire, l’interdiction de vente aux moins de 16 ans dans les débits de boissons étant encore trop souvent ignorée. Nous pouvons croire aussi que le secteur brassicole a intérêt à promouvoir une consommation plus responsable de ses produits afin de ne pas en détériorer l’image.
Dans les faits, InBev ne se contente pas de donner des conseils aux professionnels mais se permet également de donner des conseils aux parents dans leur manière d’agir avec leurs adolescents. Si, a priori, cette initiative peut sembler louable, la forme et le message de cette campagne suscitent à tout le moins questionnement.
En effet, baser cette campagne sur le respect, sans s’attarder – et telle est sa finalité – sur l’interdiction légale de servir de la bière aux moins de 16 ans, n’est pas judicieux. En agissant de la sorte, le jeune pourrait comprendre que le débat se situe dans un cadre éthique et non dans un cadre légal.
Or, la loi interdit la vente d’alcool aux mineurs, en raison des dangers évidents liés à une consommation régulière ou abusive d’alcool: conduites à risque, phénomènes de violence, relations sexuelles non protégées ou non désirées, dangers psychologiques, accoutumance… et non parce que boire de l’alcool quand on a 15 ans ce n’est pas ‘cool’.
L’opérateur (Inbev, et les brasseurs belges) n’adopte pas le bon ton, il stigmatise le jeune dans sa campagne, stimule l’intérêt du public au produit: le serveur excite le taureau (nous, les consommateurs) avec une bière qu’on essaie d’attraper mais qui nous échappe, et cela nous énerve. On peut dès lors s’interroger sur les effets réels attendus de la campagne: sera-t-elle contre-productive? D’un point de vue strictement commercial l’opérateur aurait tout à y gagner.
Dans cette action promotionnelle, ce qui saute surtout aux yeux c’est que l’opérateur n’a pas la crédibilité nécessaire pour mener ce type d’action. Il est juge et partie: confie-t-on la prévention du tabagisme aux cigarettiers (2)? Ou la prévention des maladies aux firmes pharmaceutiques (3)?
Autant l’opérateur est dans une certaine mesure légitime pour s’adresser directement aux professionnels du secteur Horeca, autant diffuser des messages de prévention n’est pas de son ressort. Le CRIOC, les Fedito’s wallonne et bruxelloise et le Groupe porteur «Jeunes et alcool» en Communauté française plaident pour que ce genre de campagnes de sensibilisation émane d’organismes totalement indépendants des intérêts marchands, et tout particulièrement, dans le cas de l’alcool, de ceux des alcooliers.
Autre paradoxe et pas des moindres: comment InBev peut-elle faire de la sensibilisation, tout en visant de plus en plus les jeunes dans ses campagnes marketing (4) et en affirmant comme le déclare le directeur des brasseurs belges: ‘ Nous sommes fiers des bières que nous brassons et de l’effet positif qu’elles peuvent avoir dans la vie quotidienne ‘ (5). On peut penser qu’Inbev cherche plus à déplacer le nécessaire débat sur la place de l’alcool dans notre société et notre économie et à occulter sa part de responsabilité dans les consommations nocives d’une partie de la population.
La grande visibilité médiatique de cette action ne semble dès lors pas s’adresser au public précis du personnel Horeca, mais bien aux médias et au monde politique afin de s’acheter une image d’entreprise responsable et éthique. La réalité est bien différente: cette entreprise finance des événements sportifs, utilise des techniques pointues pour fidéliser les jeunes consommateurs (actions spécifiques pour les mouvements de jeunesse par exemple, ou via des publicités associant alcool, virilité et performances sportives, sponsoring des cercles étudiants…) et mène dans les faits toutes actions pouvant augmenter son volume de vente, fidéliser et renouveler sa clientèle, et garder en l’état une législation permissive, particulièrement dans le domaine des stratégies marketing.
Sentant le vent qui tourne, Inbev cherche-t-il à se prémunir contre la fin de l’autorégulation du secteur des alcooliers que de nombreux acteurs en promotion de la santé et en santé publique souhaitent?
En attendant le Plan d’action national alcool (PANA), nous réitérons notre demande pour une législation univoque et mieux contrôlée et dénonçons cette action promotionnelle de diversion de la part des entreprises brassicoles réunies derrière cette campagne.
CRIOC , Fédito’s wallonne et bruxelloise , Groupe porteur ‘ Jeunes et alcool’
Politique belge en matière d’alcool
Le 17 juin dernier, les 7 ministres compétents en matière de santé ont fait une ‘Déclaration conjointe sur la politique future en matière d’alcool’.
Elle poursuivra trois objectifs :
-prévenir les dommages liés à l’alcool;
-combattre la consommation inadaptée, excessive, problématique et risquée d’alcool et non pas seulement la dépendance;
-viser des groupes et des situations à risque.
Ces objectifs seront traduits en une série de mesures concrètes, relatives à la disponibilité des boissons, à des adaptations de la législation concernant la vente aux jeunes, à la limitation des marges de manœuvre des producteurs en matière de marketing et de publicité, à la conduite de véhicules, à la politique des prix. Des mesures toucheront aussi des groupes cibles comme les jeunes et les femmes enceintes.
La faisabilité d’autres mesures (installation de systèmes ‘alcolocks’ dans les voitures, limitation du taux d’alcoolémie au volant pour les conducteurs inexpérimentés) sera étudiée.
Commentant cet accord, la Ministre fédérale de la Santé, Laurette Onkelinx , a déclaré qu’il est « primordial de conjuguer nos efforts à tous les niveaux de pouvoir afin de prévenir et réduire les dommages liés à l’alcool , avec une attention toute particulière pour les jeunes , particulièrement vulnérables face à ce fléau .»
La plupart de ces mesures sortent des compétences exclusives des ministres de la Santé, et leur concrétisation nécessitera un travail de collaboration au sein des gouvernements tant régionaux que communautaires et fédéral.
Laurette Onkelinx ajoute qu’« on peut déjà se réjouir du signal important que représente l’adoption de ces mesures communes à l’ensemble du pays ».
Un état des lieux de l’avancement de ces travaux et de la mise en œuvre effective de ces mesures sera réalisé à l’occasion de la prochaine Conférence interministérielle de la Santé prévue en décembre prochain.
L’image du verre à moitié vide ou à moitié plein est tout à fait indiquée pour commenter cette initiative.
Les autorités estiment avoir fait un pas en avant, le acteurs de la prévention trouveront ce catalogue de mesures très léger, voire insignifiant, les industriels de l’alcool y verront des motifs d’inquiétude. C’est précisément pour éviter d’être l’objets de réglementations plus sévères qu’ils développent des projets comme celui présenté et dénoncé ci-dessus…
Vous trouverez le texte complet de cet accord à l’adresse http://www.laurette-onkelinx.be/production/content.php?ArticleId=70&PressReleaseId;=243
(1) http://www.respect16.be
(2) C’est déjà arrivé (ndlr)…
(3) C’est encore plus fréquent (ndlr)!
(4) Les dossiers de l’éducation aux médias n°3, Media Animations, 2007: ‘ Les publicitaires savent pourquoi – Les jeunes , cibles des publicités pour l’alcool ‘ (téléchargeable: http://www.jeunesetalcool.be )
(5) ‘ Responsible brasseurs ‘, La Libre Belgique, 22/05/08