Il existe des personnes sans-abri qui vivent en rue durant de très longues périodes, sans doute parce qu’elles cumulent certaines problématiques qui vont freiner systématiquement leur intégration dans le circuit classique d’aide et pour lesquels aucune des solutions intermédiaires dans le circuit classique ne semblent fonctionner. Et si, pour ces personnes vivant en rue, il existait une solution ? C’est ce que nous démontrent les projets Housing First (HF). Depuis 2013, des projets inspirés de ce modèle ont vu le jour à Bruxelles et dans d’autres grandes villes flamandes et wallonnes.Education Santé est allé à la rencontre de deux opérateurs du projet en région bruxelloise ayant une spécificité dans le domaine de la santé : Muriel Allart, coordinatrice Housing First au sein de l’asbl Santé Mentale et Exclusion Sociale – Belgique (SMES-B), et Pierre Ryckmans, coordinateur chez Infirmiers de rue (IDR). Ils nous parlent du logement comme outil d’intégration sociale, de ce modèle qui fait écho à la promotion de la santé par sa finalité, ses méthodologies et son travail sur le logement. Un changement de paradigme est non seulement souhaitable, mais indispensable pour arriver à la fin du sans-abrisme.
Le modèle Housing First
Le logement est un droit fondamental pour tous. Cette notion est à la base des projets HF. C’est un psychologue new-yorkais, Sam Tsemberis, qui a développé ce projet dans les années ’90. L’idée et le modèle qui en découlent semblent, somme toute, assez simples : il s’agit de proposer un accès, directement depuis la rue, à un logement individuel et à bas prix à des personnes sans-abri qui cumulent précarité sociale, maladie mentale, assuétudes et affections physiques. Le modèle comprend deux volets (le logement et l’accompagnement) et s’articule autour de différents principes.Muriel Allart nous explique : « Finalement, le modèle du HF est très simple. Il repose sur l’offre de logement à ceux qui n’en ont pas. Cela peut paraître incroyable mais on le désigne comme l’une des principales innovations sociales. Le HF, c’est avant tout rétablir un droit fondamental. Les autres critères sont des moyens pour rendre ceci effectif : des logements à bas prix, individuels et dispersés. Le HF découle d’une série de questions évidentes : de quoi ont besoin des personnes sans-abri ? D’un logement. De quel type de logement ont-ils besoin ? D’un logement comme les autres. Pour combien de temps ? Le plus longtemps possible. Qui sait le mieux comment elle doit être accompagnée ? La personne elle-même. Etc. A mes yeux, l’ensemble du modèle HF répond à une série d’évidences. Et finalement, on constate que ça fonctionne. »
Un accès direct au logement
Dans le circuit classique d’aide aux sans-abri, accéder à ce type de logement est l’aboutissement d’un processus. Outre les centres d’hébergement d’urgence, les modèles de logements transitoires, semi-collectifs, avec ou sans accompagnement social constituent généralement la norme. Ces solutions sont soumises à certaines conditions, notamment l’obligation d’abstinence, le suivi d’un traitement… La personne doit « faire ses preuves » avant de pouvoir bénéficier d’un logement individuel et accessible. Et c’est souvent sur ses épaules que repose la responsabilité d’obtenir et parfois trouver ce logement. Pourtant, ces solutions rendent l’accès au logement difficile, voire impossible pour les personnes qui cumulent des problématiques multiples (maladies mentales, addictions…). Pour Muriel Allart, « il est fondamental de changer certaines idées préconçues comme « les personnes cumulant une série de problèmes ne peuvent pas se maintenir en logement » ou « il faut faire ses preuves pour obtenir un logement ». Le HF prend le problème dans l’autre sens : nous essayons de faire passer le message qu’une personne n’a pas à ‘être prête’ pour obtenir un logement. Elle rentre d’abord dans celui-ci, et ensuite elle apprend à vivre dans un logement.»
Un accompagnement sur-mesure
Le projet ne s’arrête pas là. Outre l’accès direct au logement, les équipes proposent un accompagnement mobile, pluridisciplinaire, sur-mesure en fonction des demandes et des besoins de la personne. Cet accompagnement n’a pas de limite dans le temps. Les équipes se composent de profils complémentaires qui varient selon les projets : médecins, assistants sociaux, infirmiers, psychologues… L’équipe du SMES-B comprend aussi par exemple une animatrice socio-culturelle, une experte en réduction des risques, une paire-aidante… « La présence d’une paire-aidante dans notre équipe est une réelle plus-value. Nous serions ravis de partager notre expérience auprès des acteurs qui souhaitent se lancer » ajoute Muriel Allart. Dans un premier temps, ces équipes amènent à la personne les domaines de compétence dont elle a besoin pour se rétablir. Mais l’idée à terme est de remettre progressivement la personne en lien avec les structures existantes, les professionnels, le tissu associatif…Dans la pratique, les deux volets (le logement et l’accompagnement) sont distincts et indépendants l’un de l’autre. En effet, une personne qui bénéficie d’un accès direct à un logement peut décider de ne pas poursuivre un accompagnement, sans entraîner la perte de ce logement. Pour la simple et bonne raison que la personne signe un contrat de bail et a les mêmes droits que tout autre locataire. Et cela fonctionne dans l’autre sens également : lorsqu’une personne perd son logement pour une raison spécifique, l’équipe d’accompagnement poursuivra son suivi si la personne le souhaite. Par exemple, les questions d’argent pour payer son loyer sont distinctes du volet accompagnement pour ne pas mettre celui-ci en péril . Pour cette raison, notamment, les équipes d’accompagnement essaient de ne pas interférer dans la relation entre le locataire et le propriétaire. Ce suivi est assuré par un autre intermédiaire au sein des projets.
Plusieurs tentatives sont possibles
Dans la même idée que l’accompagnement et le logement ne s’excluent pas l’un l’autre, il est fondamental de donner une seconde chance à la personne en cas de perte de logement. En effet, les équipes valorisent l’expérience en cherchant des solutions avec le locataire pour remédier aux problèmes rencontrés. « Par exemple, s’il y a trop d’amis de la rue qui sont passés dans le logement et que cela a mené à la perte du logement, nous établissons avec la personne une stratégie pour remédier à cette situation, comme ne plus donner son adresse. Si la personne oublie de payer son loyer, on peut mettre en place un système de payement automatique ou un administrateur de bien. » (Muriel Allart)
Une dispersion dans l’espace urbain
Il s’agit d’un autre principe du modèle : disperser les logements dans la ville afin de ne pas créer des « ghettos », mais prôner la mixité, et redonner un maximum de citoyenneté à la personne. « Pour commencer, nous ne parlons pas de ‘bénéficiaires’ mais de ‘locataires’. Lorsque nous croisons le voisinage lors de nos visites de suivi, nous ne nous présentons jamais comme ‘l’assistante sociale qui vient voir Mr X.’ mais comme des personnes qui viennent rendre visite. » souligne Muriel Allart.
Oser avec tous
Le projet s’adresse aux personnes qui cumulent des problématiques de santé mentale, d’addiction et/ou des affections physiques. C’est ce cumul qui, ajouté aux conséquences/impacts de la vie en rue, rend compliqué l’accès au logement et la réinsertion de ces personnes via le système tel qu’il fonctionne.Pierre Ryckmans : « Chez IDR, nous travaillons depuis toujours avec les personnes qu’on pense être ‘le plus en danger’, c’est-à-dire le plus à risque de mourir en rue. Et très éloignées de l’insertion sociale. Ces personnes n’ont pas leur place dans le système des maisons d’accueil tel qu’il fonctionne pour le moment, les barrières sont multiples. »Au SMES-B, les personnes arrivent dans le projet via les partenaires : Muriel Allart nous explique : « on demande à nos partenaires de nous envoyer les personnes pour lesquelles elles pensent que ça ne va pas marcher. Celles pour lesquelles rien n’a fonctionné et pour lesquelles plus personne ne croit à la possibilité de fonctionner en logement. Nous ne les connaissons pas au départ. Certaines ont l’air d’avoir un profil plus léger et on se dit qu’elles vont vite se rétablir et qu’il n’y aura pas besoin de trop d’accompagnement… mais ça demande parfois un accompagnement plus intense, il y a beaucoup de crises, etc. Et parfois on nous envoie des personnes qui ont un profil hyper lourd mais qui finalement se stabilisent très rapidement. En regardant la manière dont une personne a fonctionné en hôpital, en hébergement d’urgence, dans des logements communautaires, on ne peut pas prédire comment la personne fonctionnera en logement. Il faut faire le pari avec tous. »
… Et ça fonctionne !
Actuellement, une centaine de personnes ont été relogées grâce au HF à Bruxelles. La moyenne de maintien au logement tourne autour de 80%, le SMES-B par exemple obtient des résultats de 94%. Après une évaluation longitudinale (sur 2 ans) menée sur l’ensemble de la Belgique, il apparaît que les locataires HF présentent un meilleur état de santé que les personnes qui fréquentent ou ont fréquenté le système d’aide existant. Une stabilisation ou une amélioration est constatée, surtout concernant les problématiques de santé mentale.
« Ce qui est révolutionnaire et très important, c’est de pouvoir dire aujourd’hui « on peut remettre tout le monde en logement…et personne ne devrait se retrouver en rue ». Le HF a donné une légitimité et une crédibilité à cette revendication. Le programme n’est pas révolutionnaire en soi… mais ça amène la possibilité d’une révolution. » (Pierre Ryckmans)
« Il y a une dizaine d’années encore, c’était presque banal d’entendre : ‘on n’arrivera pas à remettre cette personne en logement, elle va mourir en rue, et c’est comme ça, c’est la vie’. A l’heure actuelle, plus aucune association n’oserait dire ça mais cette idée reste encore présente aux yeux du grand public. » (Pierre Ryckmans)
Les ponts avec la promotion de la santé
Le HF, par sa finalité d’intégration sociale et de mieux-être de la personne (…et de la société tout entière), est intrinsèquement lié à la promotion de la santé. La rue (entendons par là la vie en rue) est délétère pour la santé. Rappelons encore une fois que le logement est un droit fondamental qui répond à un besoin de base.
Le logement comme levier d’action
« Le secteur de la promotion de la santé fait le lien entre le logement et la santé. En cela, nous (les opérateurs du HF) rejoignons ce secteur » explique Pierre Ryckmans. Le logement est le levier d’action. Une fois acquis, cela offre la possibilité d’aborder d’autres facettes de la santé « qu’on ne peut pas, ou qu’on a pas l’occasion ou le temps d’aborder en rue ».
Le travail sur le « rétablissement »
Le rétablissement est la première étape lors d’une arrivée en logement. Ce terme nous vient tout droit du secteur de la santé mentale. Dans le sens commun, il renvoie à l’idée de se remettre d’une maladie. Pourtant, il s’agit d’une traduction du terme anglais ‘recovery’ qui a une signification plus large. « Nous allons travailler avec la personne sur ce qu’elle amène. La personne, avec sa/ses difficulté(s) ou sa/ses maladie(s), va trouver une manière de vivre qui lui convient le mieux possible. La démarche n’est pas d’éradiquer les symptômes mais d’essayer de ‘faire avec’, de vivre le mieux possible avec sa maladie. In fine, l’objectif est d’aller vers un bien-être. Mais ce bien-être est défini de manière individuelle et pas en fonction de la ‘norme’ » précise Muriel Allart.Comme l’expliquent nos deux interlocuteurs, travailler au rétablissement de la personne implique au départ de ne pas considérer les personnes qui vivent en rue comme étant différentes. « Par exemple, nous refusons de parler des ‘habitants de la rue’, par opposition aux ‘habitants des maisons’. Ce sont des gens qui assument à un moment donné des situations qui leurs sont imposées. On part du principe que la personne que nous rencontrons a toutes les capacités pour s’en sortir. Notre rôle est de l’aider à surmonter certaines difficultés qu’elle a pour le moment, mais on ne doit pas reconstruire quelque chose. C’est une vision de l’esprit mais cela nous aide à aborder les personnes de façon différente : il s’agit plus de retirer une partie de la charge des épaules d’une personne et lui permettre de reprendre sa vie en main plutôt que de ‘ reconstruire’ la personne. » (Pierre Ryckmans).
La réduction des risques
« Nous considérons que la vie en rue est en elle-même un risque majeur pour la santé et même la survie des personnes. Travailler sur la réduction des risques, nous le faisons depuis toujours chez IDR sans poser le nom dessus. C’est le travail de rue qui nous amène à ça. D’emblée, nous avons fait une croix sur l’abstinence des consommations. Une personne qui est en rue, même si elle n’est pas alcoolique, va boire pour des raisons qui sont liées au fait qu’elle vit en rue » nous explique Pierre Ryckmans.Au-delà, cette méthodologie est utilisée de manière globale dans les projets HF en réalisant un travail sur les risques de perdre son logement. Ceci permet d’aborder toute une série de facettes avec le locataire. « Par exemple, explique Muriel Allart, si la consommation de drogues de la personne lui coûte trop cher et qu’elle a du mal à payer son loyer, nous allons partir de son souhait de maintenir son logement pour travailler éventuellement ces questions de consommation, sans en faire une condition. »
Le logement, point de départ ou aboutissement ? Un changement de paradigme
Nous nous sommes posé la question de l’intersectorialité. Dans le modèle, les projets HF rassemblent des professionnels issus de secteurs divers : celui de la santé mentale, de la toxicomanie, du logement… qui collaborent ensemble au sein d’un même projet. Fantastique ! Mais est-ce aussi évident que cela ? Pour répondre à cette question, il nous faut revenir sur les politiques de lutte contre le sans-abrisme, y replacer les projets HF, et aborder la question centrale du logement.
Un changement de paradigme dans les politiques est nécessaire
Pour mettre fin au sans-abrisme, plusieurs éléments doivent entrer en jeu dans les politiques publiques :
- mettre en place des politiques ambitieuses de logement. Y compris le fait d’arriver à reloger cette population très fragile pour laquelle il n’y avait pas de solutions avant.
- Mettre en place une politique de prévention pour éviter que de nouvelles personnes se retrouvent sans logement.
Pourtant, « la politique bruxelloise des 20 dernières années visait à augmenter chaque année le nombre de places dans les hébergements d’urgence » souligne Muriel Allart. Cette année, ce sont 1000 places d’urgence qui ont été ouvertes dans le cadre du Plan Hiver « et ce nombre augmente chaque année » ajoute-t-elle. Nos deux interlocuteurs insistent sur le fait que les politiques se sont concentrées sur une gestion du sans-abrisme plutôt que sur la résolution du problème. Certains pays comme la Finlande ont choisi d’opérer ce changement il y a une dizaine d’années. D’une part, ils ont investi massivement dans la production de logements, mais également dans la reconversion des centres de logement communautaires en logements individuels. « A Helsinki, il y a 52 places d’urgence ! Si on fait le parallèle avec un service d’urgence hospitalière, un tel service fonctionne bien lorsqu’il est vide. En effet, les personnes qui entrent dans l’urgence n’ont rien à y faire, elles doivent être réorientées le plus rapidement possible vers des logements. L’urgence doit rester de l’urgence (un hébergement rapide et de courte durée). Bien sûr, il ne faut pas supprimer l’urgence sociale, mais on ne peut pas faire de l’urgence sociale le principal point d’aboutissement de la politique d’aide aux sans-abri. » nous dit Muriel Allart.Les résultats sont déjà au rendez-vous : la Finlande est le seul pays d’Europe à avoir vu diminuer son nombre de sans-abri ces dernières années, contrairement à tous les autres pays européens. Et Pierre Ryckmans d’ajouter : « ce que montre l’exemple de la Finlande, c’est que le HF n’est qu’une partie d’une politique plus globale et ambitieuse de logement et de prévention ».
S’atteler au problème du logement, le rôle des opérateurs du HF ?
A l’exception de la Belgique, tous les pays adeptes du HF ont mis des logements à disposition. Chez nous, la responsabilité de trouver ou créer des logements repose sur les équipes d’opérateurs. Dès lors, de nouveaux profils étaient nécessaires pour compléter les équipes HF. Au SMES-B, un responsable logement. Chez IDR, on parlera plutôt d’un créateur de logement. Pierre Ryckmans nous explique : « On s’est rapidement rendu compte qu’il fallait non seulement capter des logements existants mais également se mettre dans une dynamique de création de logements car il n’y en a pas assez en région bruxelloise qui compte environ 7% de logements sociaux alors qu’il en faudrait au moins 15%. Or, avec environ 4000 personnes sans logement dont environ 2000 en rue, il va falloir réagir très vite et très fort pour rattraper ce retard. (…) La difficulté que nous rencontrons avec le HF, c’est que la recherche et la création de logements sort un peu de nos compétences. La question de production suffisante de logement social, ce n’est pas notre domaine. Cela nous amène à être en contact avec tout un monde duquel nous sommes étrangers. Dès lors, on voit un peu ce décloisonnement comme une dérive car cela nous amène à faire des choses pour lesquelles nous ne sommes pas formés, qui sortent de notre champ de compétences et qui « diluent » quelque peu le travail de notre équipe. Ce n’est pas une solution à long terme.» Muriel Allart souligne également la charge de travail considérable que représente la recherche, la gestion et le suivi du volet logement.Travailler avec des secteurs tellement différents est une richesse. Nos deux interlocuteurs soulignent l’importance et la richesse du travail en réseau, le développement de nouveaux partenariats (avec des AIS, des hôpitaux, des services sociaux…), etc. Mais pour des opérateurs issus du secteur de la santé et de la santé mentale, la question du logement reste aussi une difficulté réelle si davantage de logements ou de partenariats effectifs avec ce secteur ne sont pas mis en place.
L’effet positif : une (re)mise en évidence
Les deux coordinateurs sont unanimes, un effet positif indéniable des projets HF est la remise en évidence de la question du logement : « Le lien entre le sans-abrisme et le manque de logement est devenu beaucoup plus évident et direct. Avant, on parlait plus de ‘mettre les gens à l’abri’ mais la suite restait floue : on supposait vaguement que les gens allaient eux-mêmes trouver un logement à long terme, mais on ne se posait pas plus concrètement la question. Maintenant que nous devons nous-mêmes trouver ces logements, nous sommes confrontés de façon beaucoup plus directe au problème. Et comme le politique soutient ces projets et que, pour obtenir des résultats, nous avons besoin de logements, il y a là un levier à faire jouer, une prise de conscience qui peut amener de réels changements » nous dit Pierre Ryckmans.Du côté des autres acteurs de terrain également, un changement se fait sentir, « de plus en plus d’acteurs se dirigent vers des approches orientées vers le logement. Par exemple, les maisons d’accueil développent des projets de post-hébergement mais également des projets en lien avec la santé mentale, comme le fait l’Autre Lieu par exemple. » note Muriel Allart. Cela amène de plus en plus d’associations à s’impliquer dans la remise en logement directe et définitive des personnes vivant en rue. Et d’ajouter : « Le HF a réussi à trouver sa place, pas dans une visée de révolutionner le secteur mais plutôt dans une visée de se positionner en complément de ce qui existait déjà et de ce qui se développe. C’est assez bien accepté, nous collaborons avec un maximum d’acteurs du secteur, les partenariats se passent très bien. »
Un regard critique au-delà du modèle
Le HF se positionne de manière complémentaire au système d’aide déjà existant. C’est une approche de niche. Mais selon Pierre Ryckmans, « le besoin de créer ce genre de projet – adressé à des personnes pour lesquelles on considérait que ‘plus rien n’était possible’ – reste révélateur d’un dysfonctionnement profond au sein de notre société : d’une part, il y a la précarisation des personnes en général ; et d’autre part, un déchargement de la responsabilité dans la prise en charge des personnes les plus vulnérables, et notamment les personnes avec un problème de santé mentale ».« Pour le moment, on copie le système nord-américain car, comme chez eux, l’un des travers de notre société est de jeter toute une série de gens à la rue. On aurait probablement pu faire les choses différemment lorsque le problème a commencé à se poser, dans les années ’80. C’est à ce moment-là qu’il aurait fallu réagir et travailler à la prévention. Le système des maisons d’accueil, apparu dans les années ’60, a fonctionné pendant des années, les hébergements d’urgence ne sont apparus que plus tard, par nécessité. Ce système intermédiaire des maisons d’accueil fonctionnait bien et reste encore maintenant une solution pour un grand nombre de personnes. Mettre moins l’accent sur l’accueil d’urgence implique toutefois que le nombre de gens en rue diminue drastiquement, or on a un arriéré énorme à rattraper. Certaines personnes passent plus de 10 ans en rue ! Ces gens ont dès lors besoin d’un accompagnement intensif et ont d’autant plus de difficultés à s’intégrer dans une communauté, etc. Mais lorsque la plupart des sans-abri ont moins d’un an de rue, comme c’est le cas dans une ville comme Gand par exemple, le système des maisons d’accueil, bien géré, avec des logements en suffisance, pourrait sans doute à terme prendre en charge la grande majorité des cas : ces personnes ont encore une mutuelle, un réseau sur lequel compter, des repères par rapport à la vie dans un logement… Et le Housing First ne prend alors en charge qu’une petite minorité de cas, présentant des problèmes de santé mentale. Pour le moment, on est obligé de mettre en place un système qui ne devrait être destiné qu’à rattraper le temps perdu. »Et de soulever un autre problème de société : l’organisation du système fait que certains acteurs « excluent de facto les cas ‘les plus difficiles’. Une fois que la personne a passé le pas de la porte (d’une consultation, d’un service d’urgence, d’un hôpital psychiatrique…), on ne se soucie plus de ce qu’elle devient, si elle prend son traitement, si elle vit en rue, si elle vit tout court. Nous, on le fait… car personne n’est là pour prendre cette responsabilité. Et ça, c’est profondément interpellant. »
Quel message voudriez-vous faire passer au secteur de la promotion de la santé?
Pour conclure nos entretiens, nous avons posé la question : « quel message souhaitez-vous adresser aux intervenants en promotion de la santé ? ».Pour Pierre Ryckmans, il faut faire ressortir « l’importance de travailler sur les représentations des personnes qui vivent en rue ! Ce sont des gens comme vous et moi, qui à un moment donné dans leur vie se retrouvent dans des situations complexes. Mais leur situation peut changer. Il est indispensable de faire disparaître les étiquettes du type ‘sans abri un jour, sans abri toujours’. ».Muriel Allart ajoute qu’il faut, « continuer à partager l’expertise en matière de participation du public. C’est auprès de la promotion de la santé que nous allons chercher cette expertise. Mais surtout continuer et renforcer les collaborations avec les différents opérateurs, le service support du Centre bruxellois de promotion de la santé (CBPS), etc. Notre message depuis toujours au SMES-B est de décloisonner. Pour les personnes les plus vulnérables, seule une approche globale arrive à donner des résultats. ».
Pour en savoir plus sur les projets Housing First : www.housingfirstbelgium.be et www.housingfirstbrussels.bePour en savoir plus sur Infirmiers de Rue : www.infirmiersderue.orgPour en savoir plus sur Santé Mentale et Exclusion Sociale – Belgique : http://smes.be/
Présentation des partenaires du SMES
La FEANTSA et la Fondation Abbé Pierre publient tous les 2 ans un rapport sur le mal-logement en Europe. Pour consulter le rapport 2018 : http://www.feantsa.org/fr/report/2018/03/21/la-deuxieme-regard-sur-le-mal-logement-en-europe