À l’occasion de la célébration de son 50e anniversaire, l’Union chrétienne des pensionnés (mouvement social des aînés) a souhaité donner la parole aux aînés lors de rencontres animées par deux chercheuses, au cours desquelles ses membres ont été interrogés sur leurs «représentations sociales» et la signification de leur affiliation à un mouvement d’éducation permanente.
Quatre groupes d’une dizaine de membres de l’UCP ont ainsi accepté de se rassembler autour d’une table, pour offrir leurs témoignages au cours d’un entretien collectif. Une fois ces premières rencontres analysées, les chercheuses ont offert à ces mêmes personnes la possibilité de réentendre, de rectifier ou de compléter leurs propos.
Il en résulte aujourd’hui une étude «Vieillir est un verbe actif» qui nous propose une analyse des témoignages des personnes rencontrées sur un ensemble de thématiques, et notamment, sur ce que signifie «être aîné». En voici les grandes lignes.
Contrairement à la méthodologie d’une enquête par questionnaire (de type quantitatif), la rencontre sociologique (sous forme de groupes focalisés) ne permet pas d’obtenir des résultats pouvant prétendre à l’exhaustivité, ainsi qu’à l’unanimité. Mais elle offre la possibilité d’aborder en détails un ensemble de thématiques et d’accéder à une richesse d’informations parfois très personnelles, qui contribue à donner à cette méthode toute sa profondeur.
La trentaine d’aînés rencontrés dans le cadre de cette enquête ne représente ainsi qu’un échantillon minime du groupe d’âge concerné. Mais la richesse de leurs témoignages est immense. Constituées par presque autant d’hommes que de femmes, les rencontres ont permis de dégager un ensemble d’éclairages pertinents et interpellants, sur la manière dont les aînés se définissent, se ressentent, se qualifient, ainsi que sur leur vision de la société actuelle, du rôle qu’ils pensent y jouer ou qu’ils imagineraient devoir jouer. Les interviewés ont également témoigné de l’apport positif d’un mouvement d’aînés comme l’UCP, ainsi que du bienfait résultant de leur participation aux activités proposées par le mouvement.
Participants volontaires et (très) patients, les interviewés ont su jongler avec brio entre le témoignage de leur ressenti personnel et la prise de parole au nom des aînés en général.
Définition de soi: ressenti individuel et définition collective
Se définir
La définition de soi est généralement plurielle et se négocie entre plusieurs types de statuts et d’activités. Si certains interviewés s’identifient directement à un statut ou à une identité plus concrète comme celle d’être grand-mère/grand-père, d’autres revendiquent par contre l’absence d’étiquette, par refus de «s’enfermer dans une formule». Ces derniers peuvent donc se définir comme des individus ou des personnes «à part entière», et donc dans un premier temps refuser leur catégorisation, quelle qu’elle soit, mais par la suite parler d’eux comme pensionnés, retraités actifs, grands-parents, etc.
On ne parle en tout cas pas de soi en tant que «personne âgée», même si on n’hésite pas à dire son âge. L’âge n’est pour beaucoup «qu’une caractéristique parmi d’autres» qui constitue la personne, mais qui ne la définit pas, en tout cas pas dans son ressenti.
C’est le fait «d’être actif», par contre, qui unifie toutes les définitions de soi exprimées par les interviewés. «C’est vrai que professionnellement, on est hors-circuit, mais je trouve qu’on est encore fort actif!» Outre le but de l’activité en elle-même, celle-ci permet de «rester actif» et par là, de «garder la santé» ainsi que de «rester dans le coup». Mais être actif c’est aussi «être utile». Et «se sentir utile» devient primordial pour beaucoup de participants rencontrés dont certains retrouveront ainsi un sens à leur vie.
Etre aîné
A entendre les témoignages d’une majorité de participants, le terme d’aîné serait moins une définition individuelle de soi (contrairement au fait d’être grand-mère/grand-père, individu, pensionné, etc.) qu’une définition collective de soi-même, en tant que membre d’un groupe. Loin de lui ôter de sa valeur, cette dimension collective conférerait à la notion d’aîné une force valorisante et bénéfique, chargée de représenter au mieux le groupe qu’elle constitue.
Etre aîné n’est pas une question d’âge , puisqu’«on est toujours l’aîné de quelqu’un», insistent les interviewés. Est mis en exergue ici le caractère relatif de l’âge et du fait d’être aîné. L’âge ne paraît donc pas être le critère essentiel pour définir l’aîné.
Etre aîné , pour la majorité des participants, c’est incarner une expérience de vie , un savoir acquis et un devoir de transmission, même si cette transmission ne va pas toujours de soi. En effet, l’aîné n’ose pas toujours donner son avis car il est conscient qu’il diffère du courant actuel, ou bien parce qu’il a l’impression de ne pas être entendu ou reconnu.
Etre aîné , c’est aussi la fin d’une étape de vie et le début d’une autre , marquée pour beaucoup par le passage symbolique de la pension. C’est la perte d’un état financier, professionnel, etc., mais c’est aussi l’entrée dans une période de découverte, de temps libre pour soi-même et pour les autres. Si la pension coïncide avec le début des difficultés financières pour certains, elle permet à tous de dégager du temps libre et d’envisager de nouvelles occupations.
Etre aîné , ça n’est pas « être vieux ». En opposition au fait que l’aîné reste actif, car «l’occupation ne fait pas vieillir… au contraire, elle préserve», le «vieux» est symbole d’inertie, d’immobilisme, de passivité et d’un manque d’envie ou de curiosité.
Mais tout est une question d’esprit, et de mentalité, car immobilisme n’est pas immobilité. C’est ainsi avant tout l’esprit, «l’état d’esprit», et non le physique, qui peut rendre compte du fait qu’une personne est aînée ou vieille, «parce qu’on peut vieillir en âge, mais pas en esprit.» Car il y a bien des «jeunes vieux», «des jeunes de 20 ans qui sont plus vieux que des gens de 80».
L’aîné actif semble se reconnaître par son désir de conserver la place qu’il mérite, de rester intégré à la société en rebondissant sur les opportunités que lui offre cette nouvelle étape de vie, et ce, quelle que soit la manière dont il décide de le faire. Car toutes les possibilités ne sont pas non plus offertes à chacun. Les difficultés de santé, de mobilité ou la précarité financière qui accompagnent le passage à la pension ne permettent pas de vivre pleinement le temps libre, comme on aurait pu le souhaiter. Les participants ont ainsi insisté pour témoigner aussi des difficultés que des «aînés plus malchanceux» qu’eux rencontrent au quotidien.
Certains aînés suscitent l’admiration, particulièrement ceux qui savent créer la surprise dans le regard de l’autre parce qu’ils ne semblent rien prendre pour acquis ou définitif, et surtout pas les limites ou les restrictions stéréotypées associées généralement au grand âge. Il peut s’agir de ces aînés de 90 ans, qui conservent leur autonomie et créent la surprise: en apprenant l’informatique, en prenant des cours de langue, en étant assidus à une émission télévisée très intellectuelle…
Car le regard de l’autre n’est pas sans conséquence. La société, les médias peuvent renvoyer à l’aîné une identité, une image de lui-même, qui ne lui correspond pas, et qui ne fait pas écho à son sentiment intérieur. «C’est là qu’on se sent vieux», alors même qu’on ne ressent pas la différence en soi-même. Le regard de l’autre, c’est également la crainte que l’image communément dépeinte des aînés en tant que «profiteurs», riches et «public cible de la société de loisirs» vienne alimenter un conflit intergénérationnel. Et ce, à l’heure où il n’existe plus pour les jeunes, ni sécurité professionnelle, ni sécurité financière sur le long terme.
Action individuelle et collective: dynamique d’intégration des aînés
Comment «rester bien ancré dans la société», prendre sa place en tant qu’aîné dans une société où les rôles ont changé, où les droits et devoirs liés à l’âge sont moins fixes et où les possibilités d’être et d’agir se sont multipliées?
Rôle et place de l’aîné
En ce qui concerne leur rôle en tant qu’aînés, les interviewés partagent l’idée traditionnelle d’être porteurs d’expériences et d’avoir un devoir de mémoire, aux niveaux familial et historique, même s’ils appellent au discernement, car tous les aînés ne sont pas forcément des exemples à suivre.
Mais en règle générale, les interviewés constatent que le rôle et la place de l’aîné dans la société et dans la famille ont changé. Ils pensent ainsi que l’aîné était souvent plus pris en charge par sa famille dans le passé que maintenant. De plus, les modes d’apprentissage se seraient parfois inversés et les petits-enfants ont aujourd’hui aussi un rôle de transmission de savoir envers leurs grands-parents (par exemple par rapport aux nouvelles technologies). Par ailleurs, les membres rencontrés évoquent la chance de vivre une période «charnière» où plusieurs générations d’ascendants et de descendants, parfois 5, se rencontrent pour faire un bout de chemin ensemble.
Mais l’aîné évoque aussi parfois la crainte d’entrer en conflit avec ses enfants ou ses petits-enfants et la peur de devenir un poids pour son entourage.
Quant à la place des aînés dans la société, elle ne serait, selon leurs propos, pas facile à prendre. Certains facteurs, que ce soit le handicap physique ou mental, la restriction de la mobilité ou des difficultés financières, contribuent à l’exclusion des aînés de la société. Il en va de même pour la solitude et la dépression, qu’on dit aussi très fortes chez les aînés. Et puis le fait qu’on «n’ose pas pleinement s’exprimer» par peur de se voir «taxés de vieux machin», d’être pris pour des ringards, car les propos exprimés sont parfois à contre-courant des mœurs actuelles.
Les aînés regrettent ainsi d’avoir parfois le sentiment «qu’on n’a pas forcément besoin de l’expérience des aînés aujourd’hui» et qu’elle n’est pas valorisée.
L’adaptation: nouveau rôle, nouvelles possibilités d’être
«S’adapter» semble être la clé de voûte de l’intégration de l’aîné dans la société actuelle. S’adapter, c’est savoir prendre en compte «le fait que la société évolue» et que ces changements sont rapides. Pour les aînés rencontrés, devoir s’adapter est une chance, la possibilité d’aller à l’encontre du déterminisme des frontières de l’âge, des catégories strictes fixées par l’extérieur et le regard de l’autre. Cette chance, c’est également la possibilité d’apprendre et de continuer à «être dans le coup». Mais pour d’autres aînés, cette nécessité de s’adapter est vécue comme une contrainte, une obligation, «qui ne passionne pas tout le monde». Par ailleurs, les inégalités entre les aînés liées à la santé, à l’âge, à la motivation, à l’argent, etc. constituent autant de facteurs d’exclusion dans la dynamique d’intégration des aînés.
Etre membre d’un mouvement d’aînés
Rester actif, s’intégrer, s’adapter, rechercher le contact et ne pas s’isoler… Toutes ces caractéristiques mises en valeur par les interviewés pour parler des aînés d’aujourd’hui semblent trouver un écho dans leur affiliation à un mouvement d’aînés, dans leur participation aux activités de loisirs ou au sein de leur engagement dans des actions plus militantes.
Si les dénominations reprises par l’UCP (aînés, chrétiens, mouvement social) ne représentent pas un critère d’adhésion prioritaire pour une grande partie des membres, ces derniers n’en sont pas moins sensibles au fait qu’elles correspondent aux valeurs qu’ils portent. Seuls certains membres rencontrés, souvent les plus engagés, disent avoir attaché une importance particulière au fait que ce soit un mouvement social.
L’apport positif de ce mouvement d’aînés dans leur vie est unanime car la participation aux activités permet de développer un réseau de sociabilité, de se créer des amitiés. Beaucoup parlent également du plaisir de se retrouver entre personnes du même âge ou de la même génération.
Cette association donne ou redonne également la possibilité aux aînés de prendre une place dans la société, de s’intégrer et de contrer différents facteurs d’exclusion (comme par exemple, l’accès aux nouvelles technologies). En permettant aux aînés d’être utiles et solidaires, elle les aide à reprendre confiance en eux. Pour certains même, le mouvement aide à ne pas devenir vieux (puisque l’activité préserverait) et pour certains qui le devenaient, «le contact à l’UCP a fait qu’ils ont retrouvé la vie». Il semblerait qu’elle en aide même certains à retrouver un nouveau sens à leur vie, sens parfois perdu lors de la mise à la retraite.
Plusieurs participants ont évoqué le fait que ce mouvement, en les confrontant à d’autres aînés, vivant parfois dans une grande insécurité financière, leur a permis de porter un regard rétrospectif sur leur vie et de se sentir chanceux et «bien lotis». Le mouvement aurait ainsi développé la gratitude chez eux, ainsi que le sentiment de devoir être solidaire pour aider les aînés en difficultés.
Enfin, certains des interviewés évoquent aussi le fait que l’UCP, devenu «Mouvement social des aînés» depuis 2001, permet de sensibiliser les aînés qui le souhaitent à un changement de société par le biais de l’éducation permanente. Et même si «tous ne mordent pas là-dedans», selon une expression de l’un d’eux, les jeunes générations d’aînés risquent de se sentir plus concernées. Pour les membres en tout cas, l’UCP permet d’offrir une écoute aux aînés qu’on ne retrouve pas toujours ailleurs.
Regards et constats
Au cours des rencontres, certaines thématiques ont été développées de manière transversale par les aînés qui offrent ainsi leurs regards sur la société actuelle et expriment leurs craintes et leurs espoirs en termes de condition des aînés, de mobilité, de dynamique intergénérationnelle, de regard sur le groupe des jeunes, etc.
Les aînés ont en tout cas insisté sur le fait qu’ils apportaient des constats, plus que des comparaisons, parce qu’ils se refusent à dire que «c’était mieux du temps de ma grand-mère». Cependant face à ces constats, certains aînés parlent tout de même d’une difficulté à comprendre ou à ne pas réagir, lorsqu’ils se retrouvent dans une situation en trop grand décalage par rapport à leurs propres valeurs ou conceptions.
En réponse à des questions qui leur ont été posées par écrit, lors de la seconde rencontre, les aînés rendent également compte de leurs difficultés personnelles, de leurs peurs plus intimes, ainsi que de «leurs plus grandes joies».
Pour conclure, citons les caractéristiques de ces «plus grandes joies». Elles sont diversifiées: quelques-unes concernent l’UCP, et d’autres le fait «d’être en bonne santé». Cependant, la grande majorité des réponses données par les aînés vient confirmer l’importance de la famille, du clan: la plus grande joie est procurée par le fait de «vivre à deux» ou par la présence des enfants et des petits-enfants, par «la solidarité et la connivence entre les grands-parents et les jeunes».
Charlotte Royen , UCP – Sports Seniors et Anne Gaudot , Fondation Travail Université
Pour de plus amples informations concernant cette étude, vous pouvez contacter Charlotte Royen, tél.: 02 246 46 78, courriel: charlotte.royen@mc.be.