En Wallonie, le secteur de la Promotion de la Santé demande des moyens supplémentaires, la reconnaissance de l’aspect transversal et intersectoriel de ses actions et un véritable effort de simplification administrative. La Déclaration de Politique Régionale 2024-2029, publiée le 11 juillet dernier, semble s’engager sur plusieurs de ces points.
Le secteur de la promotion de la santé ne ménage pas sa peine. En avril dernier, la Fédération Wallonne de Promotion de la Santé organisait un grand colloque sur le thème « Osons décloisonner la santé, une promotion de la santé transversale et intersectorielle, c’est possible ! ». Celui-ci a réuni à Namur près de 200 professionnel.les des secteurs de la promotion de la santé, des maisons médicales, de l’action sociale et de l’aide et des soins à domicile.
L’occasion de défendre une vision à long terme, globale, positive et transversale de la santé devant les représentant·es des partis en lice pour les élections régionales du 9 juin. « Aujourd’hui, on est dans un temps d’inégalité, dans un temps du « quick win », éminemment politique, sauf que nous et notre secteur, nous ne sommes pas bien placés là-dedans … Nous ne faisons pas du « quick win », mais plutôt du « win for life ». L’idée est d’aller en amont des difficultés. Cela nécessite du temps et le temps c’est de l’argent… Nous demandons donc des financements pour dédicacer ce temps afin que les gens restent en santé.», constate Sophie Crapez la présidente de la FWPS, en introduction du colloque. « La personne est à l’intersection de toutes les politiques. Il n’y a pas d’autre possibilité que de mettre en place un travail en transversalité ».
Attirer l’attention des politiques
La FWPS avait ainsi choisi à dessein de mettre en avant lors d’une première table ronde trois projets de promotion de la santé « qui se sont co-construits sur base de partenariats intersectoriels » et dont les bénéfices portent sur les déterminants communs à plusieurs problématiques de santé :
• « La Plateforme intersectorielle du Sud de l’Entre Sambre et Meuse », présenté par le CLPS de Namur, le CLPS de Charleroi et l’asbl Carrefour (lire notre article)
• « Comment promouvoir au sein du réseau d’accueil la santé, les droits sexuels et reproductifs des filles et femmes déjà excisées ou à risque de l’être », présenté par le GAMS Belgique et Fedasil.
• « A Liège, une Maison de l’alimentation construite en partenariat », présenté par La MAdiL et ESPRIst-ULiège.
« L’approche transversale en santé fait partie intégrante de la promotion de la santé. Nous avons donc cherché à attirer l’attention des politiques afin d’intégrer cette dimension dans la prochaine programmation 2028-2032 ainsi que dans ses outils d’évaluation » précise Dounia Ouhadid, coordinatrice de la FWPS.
Quand le reporting invisibilise les actions transversales
La seconde table ronde était, quant à elle, axée sur l’intersectorialité. Elle accueillait des représentants du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, de Canopea, du CRéSaM et du Haut Conseil stratégique wallon. Ces intervenants ont mentionné, au cours du débat, la fragmentation des plans de santé publiques par problématiques, et ont fait part de leur volonté et de la nécessité de travailler en intersectorialité au niveau régional et fédéral. Une revendication qui figurait déjà dans le Plaidoyer de la FWPS en 2023.
Ce débat a également mis en évidence le fait que le secteur de la promotion de la santé n’est pas le seul à être impacté par la complexité et la lourdeur administrative. « Je dois le dire, il y a un vrai ras le bol – le reporting, les PAC, les fiches-action. Aujourd’hui, lorsqu’on veut travailler en transversalité, on a l’impression d’aller contre l’autorité publique – il faut que l’administration fasse davantage confiance aux acteurs », lançait Christine Mahy, secrétaire générale et politique du RWLP. Ce cri du cœur a déclenché une salve d’applaudissements dans la salle.
Dans le cadre du Plan Wallon de Promotion de la santé et de Prévention 2023-2027 (WAPPS) il est, en effet, demandé aux opérateurs de travailler sur cinq axes thématiques prioritaires. Or ce découpage de l’action et les critères de reporting afférents ont eu pour conséquence entre autres d’invisibiliser les actions transversales.
Des revendications reprises dans une note stratégique
La publication du Plaidoyer Wallon en Promotion de la Santé et l’organisation de ce colloque semblent avoir porté leurs fruits car, au lendemain des élections régionales, la FWPS a été invitée lors des « Consultations santé » organisées le 20 juin dernier à l’initiative des Engagés et du MR dans le cadre de la formation du nouveau Gouvernement de la Wallonie et de la Fédération Wallonie Bruxelles.
La FWPS a saisi l’occasion d’enfoncer le clou sur plusieurs points dans une note stratégique de cinq pages transmise à cette occasion. Elle y met en avant la nécessité :
- de renforcer le financement en promotion de la santé,
- de maintenir les mesures qui ont fait leurs preuves et génèrent de la stabilité comme les agréments,
- de construire un futur Plan Wallon de Promotion de la Santé et Prévention transversal,
- d’opérationnaliser une vision globale et non stigmatisante de la santé basée sur des dynamiques collectives et non seulement individuelles,
- de mettre en place une collaboration permanente entre les acteurs politiques et ceux de terrain,
- simplifier les procédures administratives afin de pouvoir consacrer l’essentiel du temps de travail au terrain.
« Les obligations administratives se sont multipliées ces dernières années. S’il est normal de devoir justifier l’argent public dépensé, il l’est moins de passer, parfois, plus de 50 % de son temps dans la rédaction de documents administratifs », explique la note.
La FWPS rappelle également que la population a peu de prise sur une grande partie des facteurs qui influencent sa santé (environnement, éducation, emploi, logement, etc.), ou encore que les stratégies de prévention devraient se déployer au-delà de l’approche purement médicalisée et prendre en compte les inégalités sociales de santé.
Des annonces encourageantes
La mobilisation semble avoir porté ses fruits, car la Déclaration de Politique Régionale (DPR) parue le 11 juillet annonce en p.45 vouloir placer « la promotion de la santé et du bien-être au cœur des politiques ». Certaines intentions sont « encourageantes », estime la FWPS, notamment au sujet de l’approche de la santé dans toutes les politiques et de la pérennisation des moyens. La DPR indique en effet que le « gouvernement pérennisera les moyens octroyés aux différents secteurs, en sortant des financements one shot, au bénéfice de différentes formes de contractualisation (décret, convention pluriannuelle, etc.) qui s’inscrivent dans le long terme afin de rencontrer les objectifs préalablement concertés et définis ».
Dans la DPR, le MR et les Engagés annoncent vouloir « dresser un état des lieux des missions et des moyens dévolus à la promotion de la santé ». Sur le papier, le budget du WAPPS a doublé entre le début et la fin de la législature précédente. « C’est très bien mais il y a encore tellement à faire », lançait Sophie Crapez, lors du colloque. « Investir massivement dans les stratégies de promotion de la santé, c’est réaliser à long terme d’importantes économies dans le budget de la sécurité sociale et favoriser le maintien en santé de la population », rappelle-t-elle.
L’augmentation du budget wallon en promotion de la santé depuis 2023 a permis l’agrément de nouveaux acteurs . Le nombre d’acteurs financés par l’AViQ a effectivement augmenté d’un tiers. Cette augmentation n’a, par contre, pas permis de refinancer massivement les actions déjà en place.
Le budget actuellement consacré à la Promotion de la santé représente 7,56 € par wallon·ne par an, ce qui représente bien moins que le coût d’une seule consultation médicale.
Et des incertitudes
La DPR 2024-2029 annonce bien que le budget de la « prévention » sera doublé « en cohérence avec les différents niveaux de pouvoir » et « en vue d’améliorer la santé de nos concitoyens et d’une meilleure maîtrise de l’augmentation des dépenses de santé ». Le texte cite à titre d’exemple : les dépistages, la lutte contre les assuétudes, la prévention des maladies liées à l’alcool, au tabac et à l’obésité comme priorités de santé pour les cinq prochaines années. Ce qui laisse planer l’incertitude sur le financement des autres champs d’action de la promotion de la santé.
Par ailleurs, la DPR 2024-2029 reconnait que « les besoins de santé de la population ne se limitent plus aux seuls soins de santé. Il est aujourd’hui reconnu que l’emploi, le logement, l’environnement, la mobilité ou l’aménagement du territoire ont une incidence significative sur la santé de chacun. Demain, les décisions prises dans ces matières régionales intégreront des critères d’impact sur la santé ». Ce qui laisse entendre que des études impact santé pourraient être menées de manière systématique. Si cela se concrétise, ce serait une petite révolution.
Dans sa note stratégique, la FWPS indique que « si le WAPPS devait faire partie d’un vaste plan interfédéral de santé, la promotion de la santé devrait y occuper une place forte et claire. Ce plan interfédéral devra éviter d’être fragmenté selon des problématiques de santé publique ».
Durant la prochaine législature, la FWPS précise qu’elle aspire, entre autre, à collaborer à une meilleure intégration de la promotion de la santé dans la pratique des professionnels du soin en Wallonie, notamment dans le cadre de ProxiSanté. Elle ajoute qu’elle souhaite également être impliquée dans la co-construction des politiques de promotion de la santé et de prévention (ONE pour l’Enfance, la médecine préventive et la Promotion Santé à l’Ecole, l’enseignement obligatoire, les sports, la jeunesse,…) relevant de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Le secteur reste plus mobilisé que jamais. La FWPS précise enfin qu’elle « sera attentive à défendre une approche de promotion de la santé qui inclut la prévention médicalisée (vaccination, dépistage, etc.) sans pour autant s’y limiter, et reconnait le rôle et les champs d’interventions des acteurs non-médicalisés dans une approche globale et intégrée de la promotion de la santé ».
Pour aller plus loin :
Les actes du colloque, le podcast de la table ronde, la Note stratégique sur la politique wallonne de promotion de la santé et prévention 18.06.2024 sont disponibles sur fwps.be
La DPR 2024-2029 est disponible sur : wallonie.be/sites/default/files/2024-07/DPR2024-2029.pdf
La chronologie :
- 30 juin 2023 : publication du Plaidoyer Wallon en Promotion de la Santé.
- 10 avril : colloque de la FWPS : « Osons décloisonner la santé, une promotion de la santé transversale et intersectorielle, c’est possible ! » à Namur.
- 8 juin : les élections régionales placent le MR puis les Engagés en tête.
- 20 juin : consultation des acteurs de la santé et remise de la note stratégique de la FWPS.
- 11 juillet : publication de la DPR du MR et des Engagés.
- 14 juillet : Yves Coppieters devient le nouveau ministre wallon de la Santé, de l’environnement, du handicap, de l’action sociale et de l’économie sociale, de la lutte contre la pauvreté, des Familles, de l’Égalité des chances et du Droit des femmes.
Recommandations en synthèse
Issues de la note stratégique sur la politique wallonne de promotion de la santé et prévention18 juin 2024
1. Renforcer les moyens actuels en prévention et promotion de la santé pour atteindre ce qui avait été annoncé au cours de la législature précédente et en intégrant les appels à projets dans la politique fonctionnelle (agréments). Ce faisant, l’investissement passe de 7,56 € à 13,58 € par Wallon·ne.
2. Prendre des mesures qui garantissent la pérennité des emplois et des financements, notamment des financements APE-Maribel actuels dont dépendent fortement une grande partie des asbl agréées en promotion de la santé en Wallonie.
3. Garantir un positionnement clair et fort du WAPPS, éventuellement dans le cadre d’un éventuel master plan national santé, en évitant la fragmentation des principaux programmes de santé publique. Pour viser plus d’efficience en prévention primaire, il s’agit d’accorder une place aux actions transversales dont les bénéfices portent sur les déterminants communs à plusieurs problématiques de santé.
4. Soutenir les Wallons et les Wallonnes en les entrainant dans des dynamiques collectives qui facilitent les adaptations de leur environnement et de leurs modes de vie.
5. Réformer les procédures en vue d’une simplification administrative concrète et forte pour permettre aux professionnel·les de consacrer leur temps, en priorité, à répondre aux besoins croissants de leurs publics et favoriser l’émergence de pratiques innovantes.
6. Collaborer avec le secteur wallon de promotion de la santé, dont la Fédération Wallonne de Promotion de la Santé (FWPS) est un acteur-clé, pour coconstruire la nouvelle organisation de la première ligne de soins en Wallonie (ProxiSanté), les politiques de prévention et promotion de la santé développées en Fédération Wallonie-Bruxelles (ONE pour l’Enfance, la médecine préventive et la PSE, l’enseignement obligatoire, les sports, la jeunesse).