On se sent parfois bien démuni pour soutenir les enfants confrontés à la fin de vie ou au décès d’un proche. « Le temps qui reste » et « Depuis que tu n’es plus là » sont deux carnets d’expression, toujours fournis avec leurs guides pour adultes, qui sont mis à votre disposition par les plates-formes de soins palliatifs pour vous aider dans cette démarche.
L’Association des Soins Palliatifs en Province de Namur asbl a développé, avec le soutien de la Fondation contre le Cancer, deux carnets d’expression pour les enfants à partir de 5 ans.
Le premier carnet, Le temps qui reste, est destiné aux enfants dont un proche est en fin de vie. Le second carnet, Depuis que tu n’es plus là, concerne les enfants dont un proche est décédé.
Les deux carnets visent à ouvrir le dialogue, renforcer les liens familiaux et à permettre l’expression des émotions. Chaque carnet est accompagné d’un guide à destination des adultes afin de soutenir l’accompagnement au sein des familles.
Les carnets ainsi que les guides adultes sont transmis aux familles par un professionnel de l’accompagnement, qui intervient dans la situation et pourra en assurer le suivi. Ils sont disponibles gratuitement auprès des plates-formes de soins palliatifs.
Nous avons eu l’occasion de rencontrer Odile Bonamis et Caroline Coolen de l’Association des Soins Palliatifs en Province de Namur asbl qui sont à l’origine du projet. Elles ont accepté de répondre à nos questions.
ES : Ces carnets abordent des thématiques particulièrement difficiles, quels en sont les contenus ?
Les carnets proposent plusieurs types d’activités : des outils créatifs, des bricolages, des gommettes émotions, des temps d’échanges.
« Le temps qui reste » aborde la fin de vie : quand il reste du temps à vivre ensemble tout en sachant que le proche va mourir d’une maladie grave. Le proche peut être le papa, la maman, un grand parent, un frère ou une sœur, … Une petite partie est consacrée au cancer car cette maladie concerne la majorité de notre public. Il est important de pouvoir l’expliquer dans des mots simples.
« Depuis que tu n’es plus là » aborde donc la mort, les émotions liées, les ressources, la relation et les souvenirs.
Nous avons voulu les carnets le plus ouvert possible. Le carnet « deuil » peut donc être utilisé même si le décès n’a pas eu lieu suite à une maladie grave avec soins palliatifs.
ES : Ces carnets sont donc bien un support pour accompagner l’enfant ?
L’idée est d’aider l’adulte à se dégager d’un sentiment d’impuissance, de cette impression de ne pas savoir comment aborder certaines questions avec l’enfant. L’enfant va simplement pouvoir montrer le chemin en choisissant l’élément ou l’activité qui lui convient, au moment où il le souhaite. Ça peut-être autour de l’émotion, des cauchemars, des changements depuis la maladie ou la mort, …
L’idée est de sortir de ce moment figé où on a tellement peur de faire du tort, et ce, que l’on soit l’adulte ou l’enfant ! Par exemple, certains enfants ont peur de faire pleurer maman quand on parle de papa qui est mort ou bien, le parent pourrait retenir son émotion pour éviter qu’elle ne contamine sa famille… Nous souhaitons rendre possible le dialogue, et éviter de rester « coincé » dans le tabou, on ne sait plus penser. C’est possible d’exprimer ses émotions.
ES : Qui peut accompagner l’enfant à remplir le carnet ?
Un adulte de son entourage et/ou un professionnel de l’accompagnement.
Chaque histoire est unique, et dans chaque situation, l’enfant et son entourage déploieront les ressources nécessaires. L’essentiel est que l’enfant soit dans une relation de confiance avec l’adulte qui l’accompagnera, et que l’adulte qui s’engage dans ce projet soit conscient de son rôle, et ouvre la parole plutôt que de l’imposer
Au dos du carnet, le professionnel qui le transmet laisse ses coordonnées et s’engage donc à rester disponible si nécessaire. L’adulte qui accompagne directement l’enfant s’engage avec lui en signant la première page du carnet.
Les enfants peuvent dire des choses confrontantes, et donc, accepter d’être cet adulte de référence n’est pas un engagement à la légère, il est nécessaire de se sentir prêt à être parfois bousculé…
ES : Que contient le guide adulte présent avec chaque carnet ?
On y retrouve la description de chaque page mais aussi des informations sur le vécu de l’enfant, une foire aux questions, … On y trouvera aussi des références bibliographiques, empruntables via les plates-formes de soins palliatifs notamment.
On n’a pas voulu donner de « kit » de réponses standards mais nous avons voulu ouvrir la réflexion et rendre les parents acteurs de la situation. Il est important de leur donner confiance.
Chaque famille va trouver comment elle peut se servir de ce carnet, mais le guide adulte donne des balises.
ES : Ce sont des carnets complémentaires ?
Les deux carnets sont indépendants l’un de l’autre mais s’articulent entre eux. Il est donc possible de n’utiliser qu’un seul des carnets, mais aussi de les utiliser l’un à la suite de l’autre.
Oui, on peut faire les 2, mais on peut aussi remplir le carnet « deuil » directement. C’est souvent seulement lorsque la personne décède que le processus se met en route.
ES : N’est-ce pas une solution de facilité pour les professionnels de la santé ?
Nous voulons à tout prix éviter que ces carnets servent de bouclier pour les professionnels de la santé, qu’ils se protègent en se disant « Si je rencontre un enfant endeuillé, je lui donne ce carnet et ça ira ». On ne peut pas se cacher derrière le média pour se dire que le problème est résolu. L’objectif est de remettre du dialogue dans un moment où le silence est pesant… Il est donc essentiel que le professionnel soit au clair avec le fait que les carnets n’évitent pas le chagrin. L’enfant sera triste, mais pourra développer une certaine résilience au fil du temps. Ce serait une erreur de croire qu’un outil va cadenasser le deuil et rendre cette épreuve moins terrible. Rappelons-nous que ces carnets sont un support pour aborder une question délicate : on ne fera pas l’économie du temps passé ensemble, ni de la parole ou des émotions…
ES : L’enfant doit-il compléter tout le carnet ?
Evidemment non : il s’agit d’un carnet d’expression, pas d’un carnet de devoir ! Rien ici ne doit être entendu sous forme d’obligation ! Le carnet appartient à l’enfant, il peut le compléter partiellement et dans l’ordre qu’il souhaite.
Parfois, certains carnets ne seront pas du tout complétés, mais auront peut-être juste permis d’ouvrir un échange au sein de la famille, et ceci rencontre pleinement notre objectif.
Les carnets sont divisés en plusieurs thématiques (présentation, maladie, mort, émotions, relation, souvenirs, ressources), et l’enfant reste évidemment libre de choisir les activités qui lui conviennent.
ES : D’où vient l’idée de la création de cet outil ?
A notre connaissance, il n’existait pas de carnet pour accompagner la fin de vie, et les carnets abordant le deuil étaient soit épuisés, soit trop couteux. Il nous manquait donc un outil accessible à tous.
Par ailleurs, le fait que des enfants soient atteint par la perte d’un proche bouleverse l’entourage de l’enfant, mais aussi certains professionnels de la santé. Nous souhaitions compiler dans un outil les différentes pratiques glanées çà et là, pour donner des pistes aux adultes qui ne savent pas trop comment amener les choses quand un proche entre en phase de soins palliatifs, ou lorsqu’il décède.
A la fois, les proches ont envie de préparer les enfants, mais ils ne savent pas comment expliquer que la personne va bientôt mourir. Utiliser un média (une image, un dessin, une histoire) facilite parfois l’échange avec l’enfant…
Comment vous êtes-vous organisés pour mener ce projet à bien (réunion, encadrement, timing) ?
Pratiquement, nous avons commencé à concevoir ce projet en 2015, alors que la Fondation contre le Cancer a initié l’appel à projet des Grants Sociaux. Une fois notre projet sélectionné, nous avons pu travailler avec une grande liberté d’initiative, et avons intensifié notre investissement. Entre janvier et septembre 2016, une cellule d’expert composée de professionnels de l’accompagnement (médecins, infirmier, psychologue, enseignant) s’est réunie. Chacun y a partagé son expérience, nous avons réalisé des recherches sur les pratiques en cours, nous avons collecté un maximum d’informations, pour finalement, à l’automne 2016, sélectionner les plus pertinentes, affiner nos propos, adapter notre écriture, … Des dizaines de réunion ont été nécessaires pour réaliser les nombreuses versions des outils (17 au total), et avant d’arriver au résultat final. Les professionnels de l’accompagnement ont été conviés à des séances d’information en mars 2017, et les outils sont diffusés depuis mai 2017.
ES : Quelle évaluation est prévue pour l’outil ?
Une évaluation clinique subjective est prévue en 2018 en reprenant contact avec les familles qui ont reçu le carnet via notre équipe de psychologues. Et puis une évaluation plus chiffrée au niveau des professionnels : combien en ont-ils distribué ? en ont-ils assez ? quel type de problématique ont-ils rencontrés ? qu’ont-ils observé ?
La meilleure façon d’évaluer l’outil sera sans doute de voir dans quelques années les enfants qui reviendront vers nous en nous disant que le carnet les a aidés.
ES : Comment les professionnels de la santé peuvent-ils se procurer l’outil ?
Les carnets sont disponibles gratuitement dans les plateformes de soins palliatifs locales. Vous trouverez toutes les adresses sur http://www.letempsquireste.be/