Avril 2023 Par Alain CHERBONNIER Outils

Les Rencontres Images Mentales, à l’Espace Delvaux, à Watermael-Boitsfort, en sont à leur quinzième édition. En 2020, c’était juste avant le premier confinement. En 2021, uniquement via Internet. En 2022, avec de sévères restrictions sanitaires (ce pourquoi je n’ai pu y faire écho dans ces pages : un masque et des lunettes, c’est pas pratique au cinéma). Cette année, ouf, on retrouve le plaisir du grand écran, des rencontres, des échanges. Coup d’oeil au programme 2023…

le monde en soi
crédit: Caïmans Productions/ Arte France

C’est Le Monde en soi (18′, France, 2020), de Sandrine Stoïanov et Jean-Charles Finck, qui ouvre le programme, et ce film d’animation est un premier coup de coeur… Une jeune peintre sort de chez elle. On la voit faire des croquis de passants à la terrasse d’un café. Quand le galeriste chez qui elle se présente découvre son travail, il est enthousiaste mais lui demande aussi « de grands dessins ». Elle se met à l’oeuvre et se donne à fond. Une scène onirique la montre dansant pour réaliser ses toiles, tout son corps peint, ses cheveux deviennent pinceaux. Quand il voit le résultat, le galeriste s’exclame : « C’est une mise à nu, dans tous les sens du terme ! » Une exposition est programmée. Mais l’artiste s’est littéralement tuée au travail, psychiquement parlant. Elle perd pied, comme le montrent des scènes qui peuvent rappeler les peintures et dessins psyché-pop de la seconde moitié des années 60, mais on pense aussi à certains romans graphiques contemporains.

Elle se retrouve à l’hôpital, en noir et blanc. Seul l’extérieur coloré dit la vie, la nature : le passage du temps se manifeste par les changements de la ramure de l’arbre qu’elle voit par la fenêtre de sa chambre. Mais voici qu’un écureuil lui laisse une noisette en présent, sur l’appui de la fenêtre. Il reviendra plusieurs fois avec une offrande, commençant à lui rendre des couleurs : elle rosit. Puis, à la cantine de l’hôpital, un inconnu lui donne, avec un clin d’oeil, une petite boîte d’aquarelle. Elle peint le portrait de l’homme avec le doigt, trempant celui-ci dans le verre d’eau avec lequel elle avale habituellement ses médocs. Plus tard, à l’occasion du vernissage, le galeriste lui enverra une boîte de couleurs plus complète et des pinceaux. Elle finira par couvrir de ses aquarelles les murs de sa chambre. Et par retrouver le dehors.

Un film chatoyant, poétique, qui a aussi été présenté au festival Anima et dans maints autres lieux. 

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crédit: Club 55 (2022) Dorian Riviere et Paul Vincent de Lestrade

Le point de départ de Club 55 (29′, Belgique, 2022) est le suivant : dans le contexte d’un confinement, des gens se réunissent dans une maison avec jardin et décident de faire un film de science-fiction. Dans la vie, les personnes qui participent à ce centre de loisirs de L’Equipe (réseau de psychiatrie sociale, Anderlecht) ont des parcours très différents : abus de drogues, harcèlement raciste au travail, bipolarité… Mais ici on ne les réduit pas à une étiquette, l’une d’entre elles dira : « Les plus belles personnes que j’ai rencontrées, c’est dans des centres. Ils sont passés par la souffrance et ils ne font pas semblant. » Et un autre : « S’extérioriser, communiquer, passer des moments avec des gens, c’est ça qui compte. »

Les feedbacks des participants sont à voir par toute personne doutant de l’intérêt de la démarche des ateliers créatifs – ici, la vidéo – ou, plus largement, par qui se fait une idée toute faite des troubles de santé mentale. Les effets bénéfiques sont ici manifestes. Sans occulter la souffrance psychique, le film veut donner une image positive, il y a de l’humour, des rires. Quelqu’un cite Cibely Ayres Silva, la coordinatrice du Club 55 : « On peut tomber malade, mais on peut guérir. » Ce qui entre en résonance avec le film précédent.

Discussion : est-ce un documentaire sur un film d’atelier (dont on ne verra que des extraits) ? Au départ, il y a le dixième anniversaire du Club 55 et un appel d’offres. L’offre retenue se veut plus originale qu’un film de promotion. Paul Vincent de Lestrade, un des réalisateurs (l’autre étant Dorian Rivière), dira : « On a fait un film dans le film, le tournage d’un tournage. »

Un quatuor de films d’ateliers

Ils sont peu nombreux cette année mais la qualité est au rendez-vous. Mosaïques de shortcoms (15′) déroule une succession de sketches drôlatiques, réjouissante mise en boîte d’idées reçues et satire des services d’aide téléphonique, le fil rouge étant un « service après-vente » auquel s’adresse un appelant littéralement intarissable !

Le Centre Alba (La Louvière) est un service de rééducation fonctionnelle, c’est-à-dire un centre ouvert doté de missions comme la remise à l’emploi. La prise en charge va d’un an et demi à deux ans. Divers ateliers sont proposés, dont un atelier vidéo. Pour ces « shortcoms » (un mot trouvé sur le Net), le groupe a commencé par un brainstorming, puis tout le monde a participé à toutes les étapes, mais chacun/e a pu choisir sa place, devant ou derrière la caméra, à l’écriture, etc.

L’Heure Atelier est un centre d’expression et de créativité situé au sein du SSM La Gerbe (Schaerbeek). Chaque année, un thème est choisi : en 2022, c’était la réclame publicitaire. Dans Poly le pro-pot (6′), de courtes saynètes vont vanter les avantages d’un objet polyvalent, tantôt aquarium ou tambour, tantôt siège ou cache-pot. Moralité : pas la peine d’acheter toute une diversité d’objets différents. Et le slogan : « POLY, tant de pot-en-ciel ! » … Simplicité et légèreté sont les atouts de cette anti-pub.

C’est le 21 juillet, et le JT propose une émission spéciale : le Roi va prendre la parole. Oui mais… tous les personnages sont « joués » par des figurines fixes d’animaux ! Et le discours royal est perturbé par une manif en faveur des phoques pilotée par Brigitte Bardot. Puis la Foire du Midi connaît un incendie surprise, peut-être causé par une cigarette mal éteinte de Jacques Brel ressuscité. Là-dessus survient la mort d’Elisabeth II, et enfin un vol belge dans l’espace réunit Marie Curie, Thomas Pesquet et Sandra (Kim?) en mélangeant images d’archives et figurines sur fond de décors crayonnés !

Circus TV (14′), réalisation du Code, centre thérapeutique de jour de L’Equipe, a un aspect bricolé, loufoque, irrévérencieux, surréaliste « à la belge ». Le processus de production s’est étalé sur un an, en collaboration avec les ateliers d’écriture et de dessin. Le côté purement ludique a de toute évidence été très important : « on s’est bien amusés ! » revient dans les échanges qui suivent la projection.

Making of : lors d’une discussion préparatoire, il est question d’un léopard. Lou, une des animatrices, en sort un de son sac, à la surprise des autres ! Elle collectionne ces figurines, et il apparaît ensuite que l’autre animatrice, Karien, en fait autant… Du rôle du hasard dans la création.

Avec La main de la morte (5′, SSM de Saint-Gilles), on change complètement de registre. C’est du noir et blanc et s’il y a de l’humour, il est très noir. La souffrance ne se combat pas que par le rire… Après que son amie est sortie, une jeune femme se met à la danse, mais elle est interrompue par des bruits bizarres venant on ne sait d’où, son magnétophone disjoncte à plusieurs reprises ; elle veut écrire mais, là encore, des sons inquiétants, des voix se font entendre. Elle prend la fuite et se réfugie dans la salle de douche, mais la paume d’une main se plaque sur la petite fenêtre. C’est Rebecca, son ex, qui n’accepte pas la séparation et veut la récupérer ! Puis on voit le cameraman et la réalisatrice, prêts à remballer, mais on entend des cris, effarés les deux se précipitent… The end.

Making of : les deux actrices-scénaristes sont très vite parties vers le cinéma d’horreur ; or Carole, la réalisatrice, faisait elle-même ce genre de films. Le tournage a été très dense, de l’ordre de 4 heures par jour pendant une semaine. Les deux actrices, qui ne se connaissaient pas, ont donc dû « se jeter à l’eau ». Et maintenant, elles sont amies… Du rôle du casting dans l’amitié.

Un trio de moyens métrages

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crédit: Laïdakfilms / Dandelooo

Ces trois films ont un point commun : une maman qui perd pied. Mais l’intensité et la gravité de la maladie ne sont pas les mêmes. Et la forme aussi varie considérablement, même si la situation est chaque fois appréhendée par le regard d’un/e enfant. Ça commence par Maman pleut des cordes (26′, France, 2021) un deuxième film d’animation et, pour moi, un deuxième coup de coeur. Jeanne, 8 ans, est envoyée à la campagne chez sa mémé parce que sa maman doit « se reposer ». Elle n’est pas contente, Jeanne, mais alors pas du tout. Il faut dire que, venant de la ville, elle atterrit au Hameau de l’Enfer, au milieu des frimas. En se promenant dans le bois, elle fait une chute sous la pluie et se retrouve nez à nez avec… un Géant, peut-être un Ogre ! Heureusement, il s’avère que Cloclo, s’il est gigantesque, est tout à fait inoffensif, et que c’est un copain de Mémé, la reine de la tarte à l’oignon. Jeanne rencontre d’autres enfants et se dégèle progressivement, se désurbanise aussi. Mais Mémé lui fait comprendre que sa mère est malade, pas juste fatiguée. Suite à l’écran. Sachez seulement que, pour arriver au happy end dans la maison de repos, une épingle à cheveux en forme de coeur jouera un rôle non négligeable et que Cloclo devra recourir aux bottes de sept lieues…

Un film délicieux, touchant, drôle, aux couleurs magnifiques, qui revisite des motifs du conte classique. Pour tous les âges ! Dossier pédagogique sur www.lesfilmsdupreau.com.

Réalisation : Hugo de Faucompret. Co-autrice : Lison d’Andréa. Compositeur : Pablo Pico. Avec les voix de Yolande Moreau, Céline Sallette et Arthur H.

Dans Un jour viendra (29′, France, 2020), de Nicolas Cazalé, le décor est tout différent : urbain, impersonnel, aux couleurs froides. Audrey retrouve son fils Luca, qui vit désormais avec son père. Le divorce des parents est en cours, et on comprend vite qu’Audrey a fait un séjour en hôpital psychiatrique. Elle est toujours sujette à des crises d’angoisse et Luca se rend compte, selon ses propres termes, qu’elle est « bizarre ». Inquiétante ambiguïté : Audrey l’encourage à « sauter » à trotinette d’une certaine hauteur, et on se demande ce que cela cache car il exprime sa peur… ouf, il ne s’agit que du départ d’une longue piste sinueuse conçue pour cela, et il crie sa joie !

Mais Luca a fait sortir la perruche qui se trouve dans une cage, sur la terrasse. La tension culmine lors d’une sortie en barque sur un lac : Audrey décide tout à coup qu’elle a besoin de fraîcheur et se jette à l’eau. Luca est effrayé mais, lorsqu’elle émerge, c’est elle qui panique, parce qu’elle ne le voit plus dans la barque. En fait, il est à moitié immergé et accroché au bordage. Quand elle le découvre, il s’engage entre eux une lutte violente. Elle veut le faire remonter dans la barque manu militari mais c’est à nouveau très ambigu.

Un film perturbant et qui m’a laissé perplexe. La perruche revient de temps en temps sur sa cage (et non plus dedans) : symbole ?…

Perturbant aussi, même s’il provoque le rire à certains moments et si j’ai mieux saisi le propos, Trois grains de gros sel (26′, France, 2022), signé Ingrid Chikhaoui, se situe en milieu rural. Deux soeurs, Elsa, 5 ans, et Judith, 8 ans, sont seules à la maison. Par curiosité, la cadette avale quelques grains de gros sel et sa soeur lui prédit qu’elle est dès lors condamnée à mourir par dessèchement ! Mi-dubitative, mi-inquiète, Elsa téléphone à la grand-mère, infirmière, mais celle-ci ne prend pas l’affaire au sérieux. Au bout d’un temps, les fillettes cherchent leur mère. Qui surgit tout à coup en brandissant le cadavre du coq du voisin, qui la réveillait trop tôt tous les matins ! Après l’avoir plumé, elle se met à le découper et le vider sous le regard intéressé des fillettes. Elle finit le travail torse nu, barbouillée du sang de l’animal. Cette atmosphère de jeu dangereux et de transgression trouve son point culminant quand Elsa, inquiète, essaie d’appeler à nouveau sa grand-mère. Dispute entre les deux soeurs autour du téléphone car on n’est pas censée « cafter ». La mère surgit à nouveau, cette fois armée d’un arc ! Elle menace sa fille : « qu’est-ce qu’on dit !? » Elsa n’a pas peur mais hésite, et il faut que sa soeur lui souffle la bonne réponse : « pardon »…

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crédit photo: Trois grains de gros sel (2023) Ingrid Chikaoui / Les Films Norfolk

Frédérique Van Leuven, psychiatre, loue l’intensité, la justesse et la force du film : « c’est une fiction qui dit la vérité ». Ingrid Chikhaoui : « L’idée du film est venue quand j’ai eu des enfants. Des souvenirs sont revenus à ce moment : les trois grains de gros sel, cela s’est joué entre ma soeur et moi. J’avais un père bipolaire, et je me souviens d’une crise maniaque très violente. Le personnage du père a été transformé en mère parce que je n’avais pas envie de filmer une violence masculine. » Les personnages ont été travaillés avec Manue Fleytoux, qui joue la mère : « Dès l’écriture, on a pris le parti de privilégier le regard des deux enfants. Elles n’ont pas peur de leur mère, pour elles c’est tuer le coq qui est la grosse bêtise ! Elles ne comprennent d’ailleurs pas pourquoi on emmène leur mère à la fin. » Manue : « Pour moi, il est beaucoup question d’amour dans ce scénario. Il y a de l’amour entre ces trois-là… Je suis allée chercher chez moi ce qui pouvait trembler. » À la question classique de la direction d’enfants, Ingrid répond : « Il faut que les enfants sentent que la parole est libre, il faut qu’ils puissent dire non, ce qui est d’ailleurs arrivé dès le casting : l’une d’elles a refusé de jouer la scène proposée, elle en préférait une autre. » Manue : « Elles étaient très conscientes que c’était un jeu. Et elles étaient préservées ; leurs mamans étaient sur le tournage, elles pouvaient aller les retrouver quand elles en avaient envie. »

A suivre…

Pour en savoir plus sur les Rencontres Images Mentales

https://www.psymages.be/images-mentales