Le programme «Vive Saludable» promeut une alimentation saine auprès d’adolescents mexicains, dans la petite localité rurale d’Ixtenco
35 % des ados en surpoids
Le Mexique est le pays qui enregistre le plus haut taux d’obésité dans la population adulte, devant les États-Unis. Selon la dernière étude nationale, 35% des adolescents entre 12 et 19 ans y souffrent d’excès pondéral (21,6% de surpoids contre 13,3% d’obésité).
Le diabète de type 2 touche quant à lui une proportion alarmante de jeunes adultes. Si la transition nutritionnelle – passage d’un mode de vie rural à un mode de vie occidental – est souvent invoquée comme un déclencheur d’obésité dans ce pays comme dans d’autres régions en voie de développement, les comportements lors des repas y sont peu étudiés et pris en compte. C’est donc sur ce facteur que s’est en particulier penché le Français Romain Pierlot, doctorant à l’université de Tlaxcala au Mexique et responsable d’un programme de promotion de la santé auprès d’une communauté d’adolescents du centre-est du pays, à Ixtenco, une localité rurale de quelque 6000 habitants.
Lors de son stage au sein de l’APES à l’ULg, Romain Pierlot a par ailleurs pu mettre ce programme en lien avec les différentes initiatives prises autour de la promotion d’une alimentation saine en Fédération Wallonie-Bruxelles ces dernières années. En dépit d’un contexte géographique, politique et culturel très différent, il identifie, çà et là, des pistes de réflexion communes, comme il l’a exposé l’été dernier au cours d’une journée de séminaire à l’ULg.
Le sens du surpoids
Romain Pierlot a élaboré son programme «Vive Saludable» sur le modèle Precede/Proceed de Green & Kreuter, un modèle de planification basé à la fois sur l’épidémiologie, les sciences sociales, les sciences comportementales et les sciences de l’éducation.
En prenant en compte la nature multifactorielle de la problématique, le modèle Precede/Proceed conduit logiquement à préconiser des mesures multidimensionnelles et multisectorielles. Une première enquête sur les associations sémantiques de 60 adolescents autour de mots-clefs comme ‘sain’, ‘soda’ ou ‘diabète’ a permis en particulier d’identifier les savoirs, croyances et lacunes afin d’élaborer les ateliers en fonction des besoins.
Dispensés en collaboration avec des diététiciennes et une étudiante en psychologie, à raison d’une à deux heures hebdomadaires, les ateliers se sont déroulés sur une période de 15 à 17 semaines. «Nous avons d’abord présenté le programme aux parents. Tous les jeunes ayant participé au programme sont des volontaires, avec un très bon taux de suivi du programme», explique Romain Pierlot. L’âge des volontaires – de 14 à 17 ans – est apparu d’autant plus pertinent que beaucoup de jeunes femmes tombent enceintes pour la première fois entre 16 et 20 ans dans cette région. «Ce sont aussi des jeunes qui vont devoir prendre en charge l’alimentation de leur propre famille», a expliqué Romain Pierlot sans toutefois vouloir s’avancer sur la répartition des rôles masculin et féminin dans la gestion des repas. «Il y a un peu plus de filles qui ont participé aux ateliers mais sans différence prononcée», a-t-il simplement observé.
Au cours de ces ateliers souvent ludiques et dispensés en dehors du temps scolaire, les adolescents ont ainsi appris, entre autres choses, à composer un petit déjeuner – «l’idée étant de montrer que c’est possible en 10 à 15 minutes, alors que le manque de temps est souvent invoqué pour expliquer l’absence de repas le matin» – ou encore à déchiffrer les étiquettes.
L’observation de leurs comportements – nourriture prise en position debout ou assise, seul ou en groupe – a permis de constater que les repas pris en solitaire et/ou en s’adonnant à une autre activité (télévision, téléphone, lecture…) incitaient à manger beaucoup plus vite, un facteur qui favorise en général la prise de poids.
Au terme du programme, le chercheur a par ailleurs constaté une évolution des champs sémantiques, avec un renforcement de l’association entre alimentation et santé. Alors qu’au début, les mots ‘obésité’ et ‘soda’ étaient associés au physique avec des mots comme ‘gros’ ou ‘gras’, ils sont, en fin de programme, plus facilement associés à des termes comme ‘maladie’, ‘surpoids’, ou ‘dégâts’.
S’alimenter dans et en dehors de l’école
Romain Pierlot a parallèlement analysé une série d’initiatives prises en Fédération Wallonie-Bruxelles autour de l’alimentation saine afin de ‘nourrir’ son travail, offrant par la même occasion un panorama des programmes en vigueur dans le sud du pays. Il a ainsi rappelé que le Plan de promotion des attitudes saines (PPAS), mis en place en 2005, se base sur un cahier de charges orienté sur l’alimentation saine, bio et durable et permet aux cantines des collectivités (écoles mais aussi centres de vacances, sportifs, d’accueil, de l’aide à la jeunesse…) de faire des appels d’offres. Certaines structures comme les hautes écoles de diététique ont ainsi pu aider les écoles à choisir leurs fournisseurs.
Lors du lancement du PPAS, le label ‘Manger Bouger’ a également été mis en place dans les écoles afin de valoriser la pratique physique, la distribution de fruits ou de potage et/ou de développer les pôles nécessaires à l’obtention du label. Or, si le succès est globalement au rendez-vous pour le maternel et le primaire, il en va autrement des écoles secondaires où l’alimentation apparaît comme une préoccupation mineure face aux problèmes d’absentéisme, de tabac, d’assuétudes ou de harcèlement.
«Dans une école, en Belgique, une année scolaire, ce sont 182 jours maximum, soit environ 140 repas. Dans une année, c’est moins d’un jour sur deux. Donc l’alimentation reste essentiellement un problème de la famille et de milieu socio-économique», a par ailleurs rappelé Romain Pierlot, pointant l’importance de sensibiliser les parents, responsables de l’organisation des repas, à ces thématiques.
Lors de son programme mexicain, le chercheur a ainsi privilégié les occasions – comme la fête municipale d’Ixtenco – de faire connaître «Vive Saludable» aux familles. Du reste, la prise en compte du degré d’autonomie des individus dans leurs choix alimentaires est également apparue comme un élément central. «Au Mexique, les adolescents sont relativement livrés à eux-mêmes en ce qui concerne le choix des repas, notamment à midi, car ils reçoivent en général de l’argent de poche», a-t-il expliqué. Pas de meilleure promotion de l’alimentation saine que celle qui permet à chacun de prendre des décisions en connaissance de causes… multiples (envie, santé, plaisir, budget, partage social, etc.).
Manger, une question de société
Romain Pierlot s’est également penché sur le programme Viasano, né à partir du programme français EPODE (Ensemble Prévenons l’Obésité des Enfants) et actuellement présent dans 20 villes et communes belges. En posant un diagnostic santé de la ville, Viasano permet de mobiliser l’ensemble de la communauté autour d’un projet commun: sécuriser un parc public, installer une fontaine à eau, une piste de skate, etc. Autant de mesures qui encouragent les activités physiques et en extérieur.
«Un article publié en février 2015 par Vinck et collègues suggère que Viasano est prometteur en termes de prévention du surpoids et de l’obésité chez les jeunes puisqu’on constate une légère baisse de ces critères dans les villes concernées», a expliqué le chercheur. Enfin, Romain Pierlot a rappelé l’importance d’un réseau comme IDée qui, en rassemblant les associations locales actives autour de l’environnement et de l’alimentation au sens large (‘Le début des haricots’, ‘Rencontre des continents’, ‘Jeudi Veggie’…), permet de coordonner les actions auprès des publics éducatifs, qui ne savent pas toujours où s’adresser.
À travers ce panel d’initiatives et ce réseau en particulier, on constate que ce sont aussi les enjeux environnementaux, sociaux, énergétiques et culturels associés à la question alimentaire qui refont aujourd’hui surface. Car si la promotion d’une alimentation saine vise la réduction des inégalités sociales, c’est aussi en mettant au jour ces liens complexes entre assiette, santé et société qu’elle doit le faire.
«Au Mexique, il y a clairement une mauvaise image de la nourriture traditionnelle comme le maïs par exemple, alors que c’est en réalité un aliment très sain et très intéressant sur plan nutritif», a ainsi pointé Romain Pierlot. Or, travailler ces croyances dépasse largement les questions d’IMC et de diabète pour mobiliser, à rebours, la question de la transition nutritionnelle.
Nul n’ignore plus que le retour vers des produits naturels, locaux, peu transformés est non seulement une clef pour mieux manger… mais aussi un choix de société. L’étude réalisée à Ixtenco va dans le sens de cette réflexion: s’il est intéressant que le champ sémantique de l’excès de poids et de la malbouffe soit, au terme d’un programme de ce type, associé à la santé plutôt qu’à l’apparence, il est tout aussi utile – et d’autant plus responsabilisant – d’en dévoiler les implications socio-culturelles, économiques, politiques, imaginaires, familiales… Autant de grains distincts dans un même épi d’excellent maïs.