Août 2007 Par Véronique JANZYK Lu pour vous

Il y a trente ans, Claude Seron entamait l’aventure de l’aide aux adolescents. Il témoigne aujourd’hui de son parcours (en IMP, en associations, dans l’enseignement spécial…) dans «Au secours… on veut m’aider!» (Editions Fabert). Claude Seron travaille aujourd’hui au sein du Centre liégeois d’intervention familiale (CLIF) et de l’association Parole d’enfants. Celle-ci recueille les témoignages d’enfants abusés et organise des formations.
«Au secours, on veut m’aider» aurait-il vu le jour si Claude Seron n’avait, dès ses débuts professionnels, en 1975, comme éducateur dans un Institut médico-pédagogique, pris la plume pour consigner dans un carnet son expérience naissante? Une habitude dont il ne se départira pas. « Elle s’est révélée », explique-t-il, « particulièrement utile au fil du temps pour mettre à plat le vécu , pour prendre de la distance par rapport aux situations . L’écriture est cathartique . Il y a en elle du concret , un côté physique qui me plaisent . Je viens d’un milieu agricole , où on aime bien voir le résultat de son labeur
Cette élaboration sera précieuse lorsque Claude Seron développera un versant formation dans sa pratique. Mais, en ce milieu des années 70, il apprend juste à gérer le quotidien avec des ados pas faciles: «Kevin, le négligé qui se négligeait», «Jérémie, le démon du réveil», «Bernard, pour qui ça plane»…
« Mon père est tombé un jour sur mes notes », se souvient Claude Seron. « Il m’a demandé si je n’arrêterais pas mon travail d’éducateur , tant il y a avait de violence dans ce qu’il lisait !» Le jeune homme préfère poursuivre. Une persévérance qui peut être mise sur le compte à la fois d’une once d’inconscience et d’une bonne dose de sérénité, héritées d’une enfance et d’une adolescence passées dans une famille «contenante» (pour utiliser un mot jargonnant, de ceux que Claude Seron utilise avec la plus grande parcimonie).

Balancier

Novice, Claude Seron ne le reste pas longtemps. Le grand adolescent qu’il était lui-même grandit d’un coup. La vie en IMP permet en effet à ceux qui y travaillent de cerner rapidement leurs peurs et d’être fixés sur leurs limites (même si c’est pour les repousser un peu). « On saisit vite aussi », explique-t-il, « que les jeunes se construisent des protections , des barrières parce qu’ils ont connu une grande insécurité de base , parce qu’ils ont l’impression que des adultes ou des institutions les ont laissé tomber . Leur système de protection prend la forme pour les uns d’une grande réserve et d’inhibitions , et pour les autres d’explosions d’agressivité
Après trois années passées en institution se fait sentir le besoin «comme par un retour de balancier» de collaborer davantage avec les familles. Une volonté sans doute avivée par le fait que l’institution où Claude Seron avait fait ses preuves semble en crise. « Elle ne parvenait plus vraiment à protéger les plus faibles , ce qui est le minimum que l’on peut demander », commente-t-il. L’ambition de compter désormais davantage sur les ressources des familles va cependant devoir composer avec la réalité: jeunes et familles ne sont pas toujours prêts à renouer. C’est le temps, pour Claude Seron, de la recherche d’un «juste milieu» entre exclusion de la famille et réhabilitation à tout prix. Il entame dans la foulée une réflexion sur la parentification, ou l’adultisme, de certains jeunes.

‘Parentification’

« La parentification s’identifie assez vite », explique Claude Seron. « On se trouve devant des jeunes qui paraissent solides , qui protègent leurs parents . Il n’est pas aisé de travailler avec eux , car ils ne collaborent pas aisément avec les professionnels . Ce faisant , ils auraient le sentiment de contribuer à leur disqualification
Si ces enfants adultistes traversent des épreuves, ils peuvent néanmoins en sortir grandis pour de bon. Même si leur autonomisation, leur droit de sortie, ils peuvent les «payer» via des blâmes et une solitude certaine. « L’impact d’une passe difficile va dépendre de ce qu’on en aura fait » nuance Claude Seron. « Des adolescents vont se reconstruire . D’autres feront plutôt preuve d’oblativité morbide , être toujours dans le don , dans le sacrifice , l’épuisement de leurs ressources .» Y aurait-il davantage d’adultes au passé d’enfants parentifiés, d’hommes et de femmes en quête de reconnaissance parmi les professionnels de la relation d’aide? Claude Seron admet la pertinence de la question, sans toutefois vouloir y répondre de manière univoque. L’homme redoute les généralisations. Il leur préfère les nuances du «sur-mesure». Une certitude cependant: « On ne donne pas le meilleur de soi dans l’épuisement

CLIF et Parole d’enfants

Aujourd’hui, Claude Seron se partage entre le Centre liégeois d’intervention familiale (CLIF) et l’asbl Parole d’enfants. Le CLIF a développé de multiples outils de manière à trouver l’approche la plus pertinente à des problèmes variés. « Le défi est de créer une rencontre qui soit profitable lorsque l’accompagnement se réalise sous contrainte », explique Claude Seron. Le CLIF est subsidié, Parole d’enfants pas. Différence notable qui n’empêche pas les deux structures de collaborer. Parole d’enfants organise formations, colloques, journées d’études pour s’autofinancer. Autre versant important de Parole d’enfants: le recueil de la parole des enfants présumés abusés. L’association est mandatée pour ce faire par la SAJ, le SPJ ou le Tribunal de la Jeunesse. « Il existe aujourd’hui dix neuf critères de validation , qui permettent de distinguer un témoignage vécu d’un autre , né d’une induction ou pour un autre motif », précise Claude Seron. La prise en charge de l’enfant abusé et de sa famille, en ce y compris de l’abuseur, fait partie des missions de l’asbl.
Le travail a forgé une conviction importante au sein de l’équipe: celle que l’attitude adoptée par la mère de l’enfant abusé constitue le meilleur des prédicteurs de la reconstruction de l’enfant.
Confronté depuis trente ans aux adolescents en difficulté, Claude Seron reste optimiste, et autocritique. « Nous ne sommes pas différents des personnes avec lesquelles nous travaillons », affirme-t-il. « Nous aussi pouvons nous raconter des histoires pour que la vie soit plus vivable . Mais notre ambition reste , envers et contre tout , de donner le meilleur de soi . Je suis persuadé que notre travail permet à ceux dont l’humanité a été mise à mal de se remettre debout
Véronique Janzyk
Claude SERON, Au secours on veut m’aider, venir en aide aux adolescents en révolte, en rupture, en détresse, Editions Fabert, Collection Penser le monde de l’enfant, 2006, 2 volumes, 25 euros chacun.

«Au secours… on veut m’aider!»: le retour

En même temps que «Au secours, on veut m’aider», sort, un autre volume, sobrement intitulé «Au secours…on veut m’aider! Tome 2». Il s’agit, sous la direction de Claude Seron, d’une compilation de textes de professionnels consacrés à l’aide aux adolescents en révolte, en difficulté et en détresse.
Cet ouvrage collectif , riche et dense, fait suite à un premier tome plutôt pragmatique où Claude Seron évoque son expérience de trente années dans des structures variées, mais toujours au service de jeunes en révolte, en rupture ou en détresse.
Ce deuxième tome propose aux lecteurs de penser l’adolescent en difficulté en reliant entre eux des modèles, des interventions, des réflexions, des recherches issus de milieux d’action relevant tantôt du monde judiciaire, du secteur hospitalier, de l’intervention psychosociale, des pratiques en foyer d’hébergement ou de contextes d’interventions en milieu ouvert…Une richesse d’approches par ailleurs déjà présente dans le tome 1.
Patrice Huerre (psychiatre, directeur de la clinique Heuyer à Paris) propose une compréhension de la violence juvénile au regard de l’entre-deux «enfance-âge adulte». Xavier Pommereau (psychiatre, directeur de l’Unité médico-pédagogique de l’adolescent et du jeune adulte au Centre Abadie, à Bordeaux) évoque la valeur métaphorique et les qualités de marquage et de remarquage des manifestations de violence.
Yves Stevens (psychologue belge) développe, pour échapper à la diabolisation des jeunes ou à la résignation, des leviers d’intervention fondés sur l’engagement et l’authenticité. Roland Coenen , pour l’institution Tamaris (Bruxelles) affirme la valeur d’une pratique socio-thérapeutique non punitive en milieu résidentiel.
Juliaan Van Acker (professeur émérite de sciences pédagogiques de l’Université de Nijmegen) aborde son parcours avec des délinquants récidivistes et avec leur famille. Avec le psychiatre infanto-juvénile Jean-Yves Hayez (UCL), les lecteurs sont amenés à questionner l’idée reçue selon laquelle les ados auraient une sexualité dangereuse, voire destructrice. Le thérapeute Siegi Hirsch trace, lui, l’évolution des familles néo-traditionnelles. Il décrit des tentatives pour inventer de nouvelles modalités relationnelles.
Denis Adam (Québec) développe le programme «Transfert des acquis» qui contribue à la requalification des parents. Gianni Cambiaso (formateur à l’école de thérapie familiale Maria Selvini, à Milan) propose de situer la consommation de drogues dans une dynamique familiale. Il invite à explorer des hypothèses trigénérationnelles.
Johanne Lemieux (travailleuse sociale au Québec) partage son expérience avec des enfants adoptés. Elle décrit les difficultés rencontrées avec une minorité (un quart environ) de ces enfants, qui mettront, à leur manière, à l’épreuve le nouvel attachement qui leur est offert. Enfin, la psychothérapeute Yvonne Dolan (USA) explique son recours à des «écrits thérapeutiques» avec des jeunes ayant subi des traumatismes. Le sociologue français Michel Fieze clôt le volume en évoquant les bienfaits de l’adolescence.
Les adolescents méritaient bien ça…
VJ