Novembre 2009 Par E. PRATO Gaëtan ABSIL Réflexions

En France, les sages femmes devraient réaliser un entretien prénatal au 4e mois de grossesse avec les futurs parents. Afin d’envisager la transposition de cet entretien dans les consultations prénatales, le Comité scientifique de l’ONE a financé une recherche action, menée conjointement par les chercheurs de l’APES-ULg et de l’APALEM et les professionnels de trois consultations (deux hospitalières et une de quartier).
Dans le cours de cette recherche action, les professionnels et les chercheurs ont co-rédigé une proposition de référentiel dont voici quelques grandes lignes. L’offre de services aux futurs parents devrait prendre en compte les composantes psychologiques, psychosociales et sociales dans le parcours prénatal. Pour ce faire, l’offre s’articulerait autour de trois finalités (plus une): le soutien à la parentalité, le travail en réseau, la prévention des ‘risques psychosociaux’ (et la prévention des risques professionnels). Les démarches d’intervention seraient différenciées selon les caractéristiques des situations parentales. Enfin le maintien de plusieurs entretiens en contextes variés serait préféré à l’entretien unique inspiré du plan périnatalité français.
Un plan de formation émerge du référentiel; sa logique serait de favoriser la réflexion sur les modes d’apprentissages collectifs dans le cadre du travail d’équipe ou du travail en réseau. Concrètement, les professionnels ont identifié les pistes de formation suivantes: soutenir les pratiques d’entretiens, favoriser l’actualisation et l’harmonisation des référentiels professionnels, choisir des mots pour identifier et exprimer la vulnérabilité, etc.
Comment les stratégies de la promotion de la santé se sont-elles invitées dans cette recherche action? Tout d’abord, le processus de recherche action inscrit la participation des professionnels de terrain comme condition de la réalisation du projet.
Il s’agit bien d’inciter les professionnels à la définition de leur cadre de travail et non de leur imposer un outil. Les connaissances et les compétences mobilisées par les professionnels pour réaliser le référentiel initient un phénomène d’empowerment. Dans ce cas, l’empowerment des professionnels apparaît comme une condition d’un service de qualité ou comme condition de l’empowerment des futurs parents. La prise en compte des inégalités sociales dans le cadre de la parentalité relève à la fois d’une approche globale de la santé et d’un accompagnement sur le long terme par l’action sur les déterminants de la santé des enfants. Enfin, les professionnels ont formalisé le référentiel en tension éthique entre «une nouvelle police des familles» et la prévention de la négligence et de la maltraitance.

Que nous apprend cette recherche action sur le dialogue entre disciplines/professions ?

L’organisation du dialogue entre les différentes professions est cruciale pour optimiser les services offerts aux futurs parents. Ce dialogue s’organise dans un contexte où toutes les professions n’ont pas la même valeur sociale. Cette valeur sociale reproduit la hiérarchie des savoirs et des diplômes, et ne parvient que trop rarement à valoriser l’expertise et le savoir de chacun. Ceci est particulièrement vrai lorsque le dialogue devrait s’instaurer entre professions médicales (ce qui inclut les psychologues cliniciens) et sociales. Pourtant, la parentalité – que l’on ne peut limiter à la question de l’attachement – recouvre un large champ d’événements, dont aucun professionnel ne peut connaître l’étendue sans entrer en dialogue avec les parents et d’autres professionnels. Ce dialogue, qui ne doit pas être confondu avec le recoupement des enquêtes, devrait permettre la rencontre des points de vue de différentes disciplines autour de la parentalité. De part et d’autre, le franchissement ou l’estompement des frontières tracées par un imaginaire attaché aux valeurs sociales, relève de l’empowerment des professionnels.

Les différentes facettes des liens entre la recherche et l’action

La réalisation d’une telle recherche mène à la réalisation d’un projet, lui-même devant mener à certains changements. Or, le projet n’est pas en lui-même le changement. Pour que le changement se produise, le projet doit être reconnu et soutenu à tous les niveaux des institutions. La reconnaissance du projet consiste en la validation sociale de ce dernier. La difficulté consiste alors à jongler entre le temps nécessaire à la validation sociale – source réelle du changement – et l’urgence du changement. En particulier, le temps nécessaire aux changements de culture ou d’organisation insufflés par les stratégies de la promotion de la santé et aux changements liés aux processus de validation sociale du projet se heurte à l’urgence due aux pressions des médias et de l’opinion publique (abandons «sauvages», maltraitance d’enfant… ) relayées par les interpellations politiques.
Cette recherche s’appuie sur un processus de recherche-action ( Barbier ) issu du courant de l’analyse institutionnelle. Si cette recherche permet d’identifier des leviers pour l’action, elle permet aussi l’explicitation de procédures de travail développées sur le terrain par les professionnels. Parmi ces procédures, certaines relèvent de l’innovation face aux changements sociaux principalement liés à la pauvreté et à la précarité des populations.
Le processus de recherche-action devrait continuer, et les professionnels eux-mêmes devraient participer à la diffusion des innovations au sein des services. Considérer les résultats de cette recherche comme un savoir finalisé parce que fondu dans l’écrit, consisterait à briser le processus de participation et d’empowerment en lui substituant un processus ‘descendant’. A la construction en dialogue se substituerait l’imposition d’un savoir formalisé, dont la légitimité reposerait sur l’instrumentalisation du processus de recherche action et du savoir construit sur le terrain, comme garants de l’image de ce savoir (l’innovation ne vient pas de l’institution, mais du terrain).

Le soutien à la parentalité comme support des dynamiques interprofessionnelles et institutionnelles

La notion de soutien à la parentalité représente une occasion de réorienter les services d’aide et d’appui. A condition d’en discuter les tenants et les aboutissants, elle pourrait orienter les actions de professionnels travaillant dans différents secteurs. En effet, d’une part la référence à la parentalité offre la possibilité de construire un sens partagé de l’action, parce qu’elle est en partie indéfinie. D’autre part, elle pourrait s’inscrire dans un dialogue avec les personnes précarisées à condition de ne pas se référer à un modèle unique de «bons parents».
Toutefois, les enjeux qui existent entre les logiques des soignants et les logiques d’intervention psycho-médico-sociales, l’INAMI et les hôpitaux ne sauraient être systématiquement réglés par les professionnels de terrain. Ces derniers pourraient travailler de manière plus sereine et efficace si une part de ces enjeux trouvait des solutions entre les différentes institutions.
Gaëtan Absil (APES-ULg) et Elisabeth Prato (APALEM)