Survivre, revivre après un attentat ou un traumatisme, et avec l’aide des autres…
À l’occasion du premier « anniversaire » des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles, le service d’éducation permanente de Question Santé publie « J’ai un peu décidé que je serai heureuse ». La brochure évoque le parcours des victimes et retrace également les réponses individuelles et collectives qui permettent de se reconstruire après un événement traumatique.
La reconnaissance des victimes
Comme le rappelle le Dr Laurence Ayache : « La reconnaissance juridique et sociétale du préjudice reste un préalable à la reconstruction psychique de tout trauma ». Selon Guillaume Denoix de Saint-Marc, de l’Association française des victimes du terrorisme : « Dans un acte terroriste, c’est la société qui est visée. Elle a donc une dette morale envers les victimes. Plus on s’en occupe, moins elles se referment ».
Les autorités aux abonnés absents
En pratique, le vécu des victimes des attentats de Bruxelles montre que nos dispositions législatives, tout comme l’attitude des assureurs, ont été loin de répondre aux besoins et aux attentes des victimes ou de leurs proches. Et ce, autant dans les jours post-attentats que lors des longs mois suivants.
Kristin Verellen, compagne de Johan Van Steen, décédé dans l’attentat du métro, confirme : « Ce dont nous avons eu cruellement besoin durant la première semaine de chaos et de désespoir, et dans les mois qui suivirent (…), ce sont trois choses. La première, c’est un soutien psychologique de professionnels, pour aider les victimes à gérer le traumatisme et son effet émotionnel. La deuxième, c’est de permettre aux victimes de se réunir et de se soutenir. La reconnexion sociale est essentielle pour soigner ceux qui sont affectés, bouleversés ou effrayés. Enfin, il a manqué une coordination et une communication centrale sur ce qui se passait, qui faisait quoi et où trouver l’info. »
Se reconstruire au travers d’un groupe
Face à ces freins, les victimes des attentats de Bruxelles ont constitué deux associations destinées à défendre leurs droits. Outre cette solidarité, la mise en place de ces groupes rappelle aussi une autre évidence : pour certaines victimes, se retrouver entre personnes ayant connu ou traversant les mêmes épreuves peut devenir un soutien et une force. Le psychologue Laurent Licata souligne « Les attentats induisent des réactions collectives, elles-mêmes susceptibles d’interagir avec les relations entre groupes ».
En Belgique, les autorités n’ont pas suffisamment relayé de message intégratif ou de rassemblement. Pourtant, face aux voix qui incitent à la peur de l’autre, « notre terreau culturel comprend aussi des racines favorables à l’accueil de ceux qui fuient», rappelle-t-il, «ainsi, depuis les attentats, de multiples actions et initiatives, associatives ou citoyennes, se multiplient sur le terrain à l’égard de migrants comme vers les diverses communautés présentes».
Il ajoute : «À défaut de tels mouvements vers l’écoute et le dialogue, le sentiment de menace peut former durablement une identité, s’intégrer à la vie d’un groupe. Nous n’en sommes pas là. Pourtant, si d’autres attentats survenaient, peut-être serait-il utile de se rappeler que les émotions peuvent être atténuées par les réflexions et les échanges, servir de lien social et donner du sens…»
Un témoignage – Des proches, si seuls…
La mère de Jessica Van Calster, Fabienne Vansteenkiste, travaillait à Zaventem, le matin de l’attentat. Elle y est morte. En janvier dernier, sa fille a raconté ce qu’elle traverse depuis lors.« Ce matin-là, je m’apprêtais à faire du repassage. Mon mari m’a téléphoné : ‘Ne t’inquiète pas, une bombe vient d’exploser’. Je ne savais pas si Maman travaillait à Zaventem, où elle avait des horaires très changeants. Malgré mes appels, impossible de le savoir. Mon père ne parvenait pas davantage à avoir des nouvelles. Pendant quatre jours, on n’a rien su. Grands-parents, fils, oncle… nous avons tous fait la tournée des hôpitaux. Il n’y avait aucune liste, aucune réponse. C’était le chaos total. On a appelé partout. On nous disait qu’il y avait encore 50 personnes dans le coma, on avait encore de l’espoir.Et puis, un proche nous a présenté ses condoléances. Le nom de maman avait été publié par des journaux : elle faisait partie de victimes. Officiellement, nous n’avions eu aucune information préalable. Pourtant, mon père, qui est dentiste, avait envoyé ses empreintes dentaires pour une éventuelle identification… Elle était donc très facilement identifiable parmi les 32 morts. En ce quatrième jour, mon parrain, qui est aussi son frère, a finalement été contacté pour ‘les démarches à suivre concernant le décès‘. Je pense que les autorités ont été pour le moins nonchalantes… On ne savait même pas s’il y aurait une cérémonie nationale : personne ne nous a tenus au courant.Les premières semaines, j’étais tellement dans l’administration, les réponses aux médias… J’étais perdue, mais occupée. Je n’ai pas pris le temps de faire mon deuil. J’ai repris ma vie quotidienne, travail compris. En fait, j’avais peur d’arrêter et de ne plus pouvoir reprendre. Et puis, en septembre dernier, j’ai eu un gros coup de mou : impossible de me lever. Mon corps a lâché, je me sentais mal. J’ai réalisé le manque et que je ne la reverrai plus. Pour toujours. J’ai dû arrêter de travailler. J’ai fini par reprendre (sauf quand je craque) : j’ai deux jeunes enfants, je ne veux pas arrêter et, financièrement parlant, j’ai besoin de ce revenu. Alors, j’essaie d’être forte. Pourtant, je ne suis pas sûre qu’un temps plein m’est encore possible.Nous n’avons eu aucune nouvelle des autorités avant Noël dernier, où nous avons reçu une lettre (qui ne disait rien) de Charles Michel, le Premier ministre. En revanche, l’invitation du Roi et de la Reine nous a fait du bien. Ils ont été très gentils, et on a apprécié. Même s’ils semblaient aussi perdus que nous…Question aide financière, je n’avais pas été considérée comme une victime. Par exemple, le ton d’une lettre reçue par l’assurance de Brussels Airport nous a heurtés. On y a appris que seuls les blessés seraient remboursés de leurs frais. Cela ne nous concernait donc pas. On nous disait aussi qu’il ne fallait pas compter sur un dommage moral. Sur ce point, on se bat pour faire changer d’avis l’employeur, et on attend une nouvelle réponse de sa part. En pratique, mon père a arrêté de travailler, mon parrain aussi, mon conjoint prend énormément de congés pour me soutenir…Pour remplir les premiers papiers administratifs reçus (et dans lesquels on nous demandait les circonstances du décès ou s’il y avait des témoins ! ) nous avons pris un avocat, tant les questions étaient complexes. Ensuite, on a appris que ces documents n’étaient plus valables : nous en avons reçu d’autres, et il a fallu à nouveau l’aide de l’avocat… »
Pas tous égaux face au traumatisme
Au-delà de ce que la société fait pour aider les victimes ou, peut-être, de ce qu’elle ne fait pas, il est évident que les personnes confrontées à des événements comme un attentat ou un génocide ne se reconstruisent pas de la même manière, ni au même rythme. Les blessures, psychiques ou physiques, tout comme les personnalités, élément souvent déterminant, ne sont pas les mêmes. Quant aux entourages, ils ne sont pas identiques non plus, ce qui joue aussi un rôle majeur. Les trajets pour se reconstruire empruntent donc des pistes variées.Des actes ou des soutiens venus de l’extérieur contribuent-ils à changer le vécu des victimes ? Les réponses recueillies dans cette brochure montrent à quel point la société, les proches, tout comme un retour vers des valeurs positives et/ou un engagement, interviennent dans les parcours de vie des victimes pour leur redonner du sens.
Pour prendre connaissance de cette nouvelle brochure, vous pouvez consulter le site www.questionsante.org/educationpermanente. Elle est disponible gratuitement auprès de l’asbl Question Santé et peut être commandée par courrier adressé rue du Viaduc, 72, 1050 Bruxelles, par téléphone au +32 (0)2 512 41 74 ou par email à info@questionsante.org.