Le volontariat est largement répandu dans notre pays. D’après la Fondation Roi Baudouin, près de 1,2 million de Belges font du volontariat au sein d’organisations. Et c’est loin d’être une activité marginale : un volontaire preste « en moyenne près de 190 heures au cours de l’année écoulée, soit près de 4 heures par semaine. ». La vie associative couvre un large éventail de domaines d’activité : sport, culture, jeunesse, santé et bien-être, féminisme, environnement, vie de quartier… Il y en a pour tous les goûts.
Y a-t-il un lien entre engagement volontaire dans la vie associative et la santé tant subjective qu’objective ? C’est la question de recherche à l’origine d’une étude à grande échelle, menée par la Mutualité chrétienne, ses mouvements partenaires et la Faculté de psychologie de l’UCLouvain.
Notions clés et méthode de départ
Pour ce qui est du volontariat, nous suivons la définition de Borgonovi (2008) : il s’agit d’une « activité dans laquelle l’individu donne de son temps à des groupes et organisations, sans compensation financière en retour. » Et par participation à la vie associative, on entend la participation à une activité sociale organisée au sein d’une structure (club, organisation, mouvement). Il s’agit, par exemple, d’une randonnée organisée par un club de marche, mais pas d’une balade avec quelques amis. Cette participation à la vie associative peut être passive ou active. Il est question de participation passive si l’on participe ou bénéficie simplement des activités organisées (ex. : aller marcher avec un club de randonnée). En cas de participation active, la personne organise les activités (ex. : elle organise la randonnée ou l’effectue en tant que volontaire).
Afin de permettre une comparaison entre répondants ayant un niveau variable d’engagement social, une participation suffisamment forte des volontaires était importante (ce sont des répondants avec un engagement social élevé). C’est pourquoi l’étude a été menée en collaboration étroite avec les mouvements francophones et néerlandophones partenaires de la MC : Altéo et Samana (mouvements de personnes malades, valides et handicapées), Énéo, énéoSport et Okra (mouvements des aînés), Ocarina – anciennement Jeunesse & Santé – et Kazou (organisations de jeunesse) ainsi qu’Intersoc (service vacances de la MC). 2.033 volontaires engagés dans ces associations ont répondu à un questionnaire en ligne et donné leur accord pour coupler leurs réponses à l’analyse de leurs données de santé sur les années 2017 et 2018. 4.988 membres MC ont complété le panel selon les mêmes modalités.
Parmi les 7.021 participants à l’étude, il y a une majorité de femmes (55%) L’âge moyen est de 57 ans, mais la distribution des âges est très étendue, des jeunes (18 ans, du fait de la présence des organisations de jeunesse comme Kazou et Ocarina) aux plus âgés (jusqu’à 90 ans). On dispose également d’une diversité sociale : toutes les catégories sociales et niveaux de formation sont représentés.
Les participants à la recherche ont été répartis en quatre groupes : (1) les volontaires actifs dans un ou plusieurs mouvements partenaires de la MC (2.053), (2) les membres MC actifs dans une association ou organisation (2.028), (3) les membres MC qui prennent part à la vie associative de manière passive (1.108) et (4) les membres MC qui n’y participent pas du tout (1.852).
Dans les résultats présentés ci-après, les effets de quatre variables ont été pris en compte : l’âge, le genre, le fait de bénéficier de l’intervention majorée (BIM) et le fait de vivre seul. Concrètement, au niveau des indicateurs présentés, les différences observées entre les quatre groupes de répondants ne sont pas dues à des effets provenant de ces quatre variables de contrôle (âge, genre, BIM, fait de vivre seul). Par exemple, s’il y a davantage de contacts avec les médecins dans tel groupe de répondants, on ne pourra pas dire que c’est dû au fait qu’ils seraient plus âgés que les autres répondants. Les effets de ces quatre variables de contrôle ayant été neutralisés, les différences mises en lumière reflètent davantage l’influence de la participation à la vie associative sur l’indicateur en cause.
Processus psychosociaux
Est-ce que la participation à la vie associative a une influence significative sur le bien-être ? Le questionnaire comportait de nombreuses questions permettant de mesurer divers processus psychosociaux participant au bien-être (sentiment de fusion avec la société, d’intégration sociale, de solitude, soutien social perçu, épanouissement, estime de soi, sentiment de sens, individualisme / collectivisme, souci empathique / prise de perspective). Les résultats sont sans appel : les liens sont significatifs pour toutes les variables psychosociales mesurées et auto-rapportées par les participants.
Par exemple, le ‘sentiment de fusion avec la société’ a été mesuré à l’aide des schémas ci-après. Le score se déduit du schéma sélectionné par le répondant : de A (score 1) = ‘Je me sens à côté de la société’ à E (score 5) = ‘Je me sens en fusion avec la société’. Pour les quatre groupes de répondants, le score moyen est donné à la Figure 1.
Parmi les schémas au-dessous, lequel correspond le mieux à la manière dont vous vous situez par rapport à la société ?Qu’observe-t-on ? Les personnes qui ne participent pas à la vie associative obtiennent un score significativement plus faible que les personnes qui y participent. Le score du ‘sentiment de fusion avec la société’ augmente avec la participation : les participants actifs ont un score significativement plus élevé que les participants passifs. Les personnes qui participent à la vie associative ont donc le sentiment d’être davantage un élément de la société. Et plus la participation est active, plus ce sentiment se renforce.
Autre exemple : le ‘sentiment de solitude’. Ici, le score est calculé (Likert à 5 points) sur la base de réponses aux questions suivantes : ‘Je sens que je manque de compagnie’, ‘Je me sens abandonné’, ’Je me sens isolé des autres’. Les réponses vont de : ‘pas du tout d’accord’ (score 1) à ‘tout à fait d’accord’ (score 5). Donc, plus le score est élevé, plus on se sent seul. Pour les quatre groupes de répondants, le score moyen est donné à la Figure 2. On observe que plus l’engagement dans la vie sociale structurée est actif, moins on se sent seul. La simple participation permet déjà de se sentir moins seul que la non-participation. Si l’on s’engage activement dans un rôle de volontaire, ce sentiment de solitude est encore plus faible.
Figure 1 : Sentiment de fusion avec la société
Figure 2 : Sentiment de solitude
Santé subjective
Au-delà des processus psychosociaux, le questionnaire a permis de mettre en lumière la manière dont les répondants évaluent leur état de santé. Sur base de quelques questions, un score factoriel a été calculé, qui reflète ce niveau de santé ‘subjective’ (car auto-rapportée). L’interprétation de ce score est la suivante. Le score 0 représente le degré moyen de la santé perçue pour l’ensemble des répondants. Un score positif dénote alors une meilleure santé perçue que la moyenne des répondants. Un score négatif signifie que le répondant estime être en moins bonne santé que la moyenne.
Aussi bien les participants actifs que les participants passifs se sentent dans un état de santé moyen (score proche de 0). Le groupe des « volontaires » se sent clairement en meilleure santé (score positif de 0,21), en revanche les non-participants rapportent une moins bonne santé perçue (score négatif de -0,27). Comme on peut le voir à la Figure 3, ne pas participer à la vie sociale organisée influence négativement la manière dont on évalue sa propre santé. Par rapport à ce dernier groupe, le fait de participer (passivement ou activement) améliore déjà la perception de son état de santé.
Figure 3 : Santé perçue
Santé objective
Lorsqu’on se sent en meilleure santé, on recourt moins souvent aux soins de santé. Nous avons des résultats qui vont dans ce sens. En effet, les personnes qui ne participent pas du tout à la vie associative – et se sentent en moins bonne santé – entrent davantage en contact (9 à 10% de plus) avec les médecins que celles qui ont une participation active ou passive. Il en va de même pour le volume des hospitalisations de jour (40% de plus).
L’engagement volontaire a également des effets significatifs en ce qui concerne les médicaments remboursés. La très grande majorité de nos répondants recourent à l’un ou l’autre médicament. Mais on constate que la proportion de non-consommateurs a tendance à diminuer – cela signifie que la proportion de consommateurs de médicaments augmente – au fur et à mesure que la participation à la vie sociale diminue. De plus, les personnes qui ne participent pas à la vie associative présentent, en volume, une consommation de médicaments significativement plus élevée (de l’ordre de 17%) que les trois groupes qui y participent. Ces tendances générales s’observent également pour certaines classes thérapeutiques de médicaments, comme la classe thérapeutique N, soit celle des médicaments agissant sur le système nerveux (antiépileptiques, antidépresseurs, antipsychotiques…). La consommation de médicaments de la classe N est donnée à la Figure 4.
Figure 4 : Volume de médicaments de la classe N
Conclusion
La présente étude se veut exploratoire. Ses premiers résultats viennent confirmer bien des intuitions et témoignages – voir ci-dessous – relatifs aux bienfaits du volontariat. Donner son temps aux autres fait du bien ! S’engager dans le volontariat donne du sens, crée des liens sociaux, apporte du bien-être et participe au sentiment d’être en bonne santé. Même si l’on ne peut affirmer avec certitude qu’il y a un lien de cause à effet, la corrélation entre volontariat et santé ressort clairement des résultats. Ceux-ci entrent en cohérence avec un courant scientifique qui montre combien la participation à la vie sociale va de pair avec le bien-être.
D’où l’importance d’encourager et de valoriser le volontariat. La nouvelle loi fédérale qui encadre le volontariat apporte des éclaircissements sur certains points (cadeaux, défraiements…). Mais des freins à l’engagement volontaire subsistent, en particulier pour les prépensionnés et les chômeurs. Pointons aussi le risque de marchandisation d’activités effectuées aujourd’hui de manière gratuite et volontaire. On peut s’inquiéter de voir des plateformes collaboratives proposer de telles activités contre rémunération.
En guise de conclusion, on pourrait dire ceci : autant il faut éviter que le volontariat soit rendu obligatoire ou instrumentalisé, autant il est nécessaire de le promouvoir et de le valoriser. Le volontariat n’est pas seulement une source d’enrichissement pour la vie en société, il l’est aussi pour la santé et le bien-être de ceux qui s’y engagent. Investir dans le volontariat, c’est aussi investir dans la santé.
Jean, volontaire à Altéo
‘Je m’investis pour rompre l’isolement des personnes en invalidité et leur offrir un univers accueillant’.
L’invalidité et l’isolement, Jean, 73 ans, les a vécus. ‘Je travaillais comme ingénieur pour une grande multinationale lorsqu’on m’a proposé un poste envié de tous. J’avais 51 ans et j’ai accepté cette nouvelle fonction… mais, en fait, elle ne servait à rien ! Un an et demi plus tard, je suis tombé en ‘bore out’ (épuisement professionnel lié à un manque de travail ou à l’ennui suscité par les tâches qui sont confiées), puis en dépression profonde’, confie Jean.C’est à la suite d’un voyage proposé aux personnes en invalidité par Altéo que Jean s’est initié au volontariat. ‘Lors de ce séjour, j’ai fait la connaissance de personnes rencontrant les mêmes difficultés que moi. Un an plus tard, des vacanciers ont créé un comité d’invalides. Ils m’ont proposé de les rejoindre. C’est alors que j’ai expérimenté le bénévolat pour la première fois, explique Jean qui voit à sa maladie, un côté positif : J’ai découvert un monde où règnent le respect, la solidarité et la convivialité. Notre comité tente de briser l’isolement des personnes en invalidité. On organise des conférences, des excursions, des balades, des diners… Assez vite, j’ai retiré du plaisir de cet engagement et j’ai pris conscience que je servais à quelque chose. J’ai longtemps été suivi par mon médecin, par un psychothérapeute et je prenais des médicaments mais tout cela est désormais derrière moi. Ce qui m’a aidé, c’est la chaleur humaine qui, selon moi, est indissociable de la guérison physique et morale.Aujourd’hui, Jean s’active toujours au sein du comité dont il est devenu le secrétaire. Il s’implique aussi à d’autres niveaux dans le mouvement auquel il consacre deux à trois jours par semaine. ‘Cela me permet de rester en forme’, lance-t-il.
Louis, actif à Ocarina
‘J’ai envie de transmettre tout ce que l’on m’a transmis. Surtout, cette bienveillance !’
Louis, 20 ans, consacre cinq à six soirées par mois comme volontaire au sein d’Ocarina, organisation de jeunesse. ‘Après avoir co-animé des stages pour enfants dans mon village, j’ai voulu me former pour pouvoir encadrer seul un groupe. J’ai opté pour la formation d’animateur organisée par Ocarina’.Être animateur lui a tout de suite plu : ‘J’ai découvert les ‘obligations positives’. Rien ne nous oblige à nous investir mais dès qu’on fait ce choix, on l’assume à fond et on honore ses engagements avec plaisir. J’aime voir qu’on est tous rassemblés autour d’une même cause’. Louis apprécie tant son volontariat qu’il a décidé de découvrir les coulisses de l’animation et d’intégrer le comité Ocarina de sa région. ‘Le volontariat nous force à bouger, à découvrir nos limites aussi. Mais il m’a surtout permis de développer des relations, de gagner en confiance en moi, en prenant la parole en public, par exemple. Et j’ai découvert le sentiment de bienveillance que je compte bien transmettre à mon tour’.
Marée M, Hustinx L, Xhauflair V, De Keyser L & Verhaeghe L. 2015. Le volontariat en Belgique : Chiffres-clés. Bruxelles. Rapport de la Fondation Roi Baudouin
https://www.kbs-frb.be/~/media/Files/Bib/Publications/PUB_3367_Volontariat.pdf (p. 25)
Borgonovi F. 2008. Doing well by doing good. The relationship between formal volunteering and self-reported health and happiness. Social Science & Medicine, 66(11):2321-34.
Estimé en DDD – Defined Daily Doses. C’est la dose d’entretien moyenne présumée par jour pour un médicament utilisé dans son indication principale chez l’adulte.
Van Haesebrouck S. 2019. Être volontaire à la MC, le choix du lien et du sens. En Marche. édition du 5 décembre 2019. www.enmarche.be