Juin 2008 Par E. ROBERT B. SWENNEN M.-C. MIERMANS K. LEVIE Initiatives

La vaccination est l’un des atouts majeurs de la santé publique et son utilisation rationnelle nécessite la mise en place de programmes cohérents. Au fil du temps, de nombreux vaccins ont été développés, ils constituent tout un arsenal contre les maladies infectieuses. Les patients et les professionnels de santé sont donc confrontés à des calendriers vaccinaux de plus en plus complexes.
L’augmentation des vaccinations recommandées, la multiplicité des vaccinateurs et le libre choix du vaccinateur font que les données vaccinales d’une personne se trouvent souvent dispersées dans de nombreux dossiers médicaux en de nombreux sites. La personne ou le vaccinateur disposent rarement d’une vue complète sur l’état vaccinal.
Le programme de vaccination a pour mission de mettre en oeuvre les recommandations auprès des populations concernées. Pour ce faire il met à disposition des vaccinateurs, dans le circuit de distribution de la Communauté française, les vaccins utiles aux différents âges de la vie, actuellement de la naissance à l’âge de 18 ans.

Un forum pour avancer

Le 24 avril dernier, un forum s’est tenu au Ministère de la Communauté française à l’invitation de Provac, pour un échange entre parties prenantes du programme de vaccination: ONE, PSE – PMS, médecins généralistes, ISSP, mutualités…
Ce forum se tenait dans le cadre de la Semaine européenne de la vaccination. Il a permis de peser les avantages et inconvénients du passage à un système de commande en ligne des vaccins couplé à la réalisation d’une base de données vaccinales (1). Un vote de tendance a clairement indiqué que les premiers l’emportent sur les seconds, tout en comportant à l’heure actuelle un obstacle majeur: l’ONE n’est pas en mesure d’assurer à court terme l’informatisation de ses consultations, jugée évidemment indispensable vu que l’ONE vaccine environ 50% des enfants de moins de 6 ans.
Bref, ce ‘passage au XXIe siècle’, comme le disait un des participants, ne se fera pas du jour au lendemain, mais une dynamique encourageante est lancée.

Pour cibler les populations concernées et leur laisser le libre choix du vaccinateur, la Communauté française distribue depuis 1999 des vignettes aux nourrissons via le carnet de santé de l’enfant et aux élèves de 3e maternelle et de 6e primaire via les services PSE. Grâce à celles-ci, les vaccinateurs peuvent obtenir les vaccins utiles à leurs patients.
Par ailleurs, le programme dispose d’un système informatisé de commandes de vaccins vers les différents producteurs (Comvax), d’enquêtes de couverture vaccinale, triennales chez les nourrissons et annuelles en médecine scolaire, et de données via le rapport des structures préventives (ONE et PSE) ainsi que via l’Enquête nationale de santé. L’ensemble de ces données permet de suivre l’évolution du programme au niveau populationnel.
L’évolution de la technologie informatique et la mise en oeuvre de celle-ci chez les différents vaccinateurs permettent aujourd’hui d’envisager, à moyen terme, l’organisation d’un système plus performant de commandes des vaccins via internet ainsi que sa liaison à une banque de données vaccinales. Cette banque de données permettrait un stockage des données individuelles de vaccination qui pourront être accessibles à tous les vaccinateurs pour vérifier l’état vaccinal d’un patient. Cette banque ne répondra pas directement aux exigences d’un Registre de vaccination mais doit plutôt être considérée comme une aide mise à disposition pour améliorer la vaccination de la population.
L’expérience et le développement de Vaccinnet en Flandre peuvent servir de point d’appui pour notre réflexion et être à l’origine d’un projet de collaboration entre les programmes communautaires de vaccination.
Avec le Comité de concertation interinstitutionnel sur la vaccination (CCIV), Provac souhaite mettre en place le processus de réflexion nécessaire pour mener à bien une telle évolution du programme: lier les commandes de vaccins à la constitution d’une banque de données vaccinales multi-utilisateurs.
Cette démarche vise les objectifs suivants:
– lancer un processus de sensibilisation et de mobilisation des structures représentées au CCIV en faveur de l’organisation d’un nouveau système de commande de vaccins lié à la constitution d’une banque de données vaccinales individualisées;
– réaliser, avec tous les partenaires (leurs décideurs), un état des lieux des bénéfices attendus et des verrous à lever pour mettre en oeuvre une centralisation des données vaccinales;
– étudier en quoi la proposition Vaccinnet de la Communauté flamande (couplage de la commande de vaccins avec la centralisation des données) apporte des solutions aux problèmes soulevés;
– établir un calendrier de travail pour adapter, le cas échéant, Vaccinnet à la réalité de la Communauté française (y compris Bruxelles et la Communauté germanophone).

Arguments en faveur de la constitution d’une banque de données liée à un système de commande de vaccins par internet

L’outil que nous voulons développer est avant tout orienté vers l’organisation d’un système de commandes de vaccins plus performant alliant facilité d’emploi et respect des populations ciblées par le programme de vaccination. La constitution d’une banque de données vaccinales n’en est que le produit dérivé. Cependant au fil du temps cette banque de données concernera de plus en plus de sujets et pourra être considérée comme un registre. C’est pourquoi, il nous semble nécessaire de mener dès à présent une réflexion de fond sur le sujet.
Un outil tel un registre sanitaire nécessite de nombreuses réflexions préalables ainsi qu’un investissement important tant au niveau administratif, économique que politique ou encore éthique. Les questionnements menés devront être réalisés à la fois au niveau de l’administration publique et au niveau du terrain des professionnels de santé. Les éventuels inconvénients d’un registre rencontrés tant par les professionnels de santé que par les patients devront être compensés par des avantages évidents. Chaque acteur quel qu’il soit devrait donc pouvoir tirer profit du nouveau système envisagé.
La création d’une banque de données vaccinales doit répondre à trois conditions: l’utilité, la faisabilité et l’acceptabilité.
Ces trois critères devront être rencontrés tant par les professionnels de santé que par les bénéficiaires. Les différents types d’acteurs doivent par conséquent avoir intérêt à participer à cet enregistrement.

Utilité (avantages à tirer d’une banque centralisée de données vaccinales)

La perception de l’utilité varie bien évidemment selon que l’on se situe du point de vue de l’individu, des professionnels de santé, du responsable de programme ou du chercheur, ou encore des experts politiques. Néanmoins, la banque centralisée de données vaccinales doit être à terme utile pour ces différents types d’acteurs.
L’utilité apparaît ci-dessous comme une liste descriptive d’avantages objectivables. Quels sont-ils?
Du point de vue des patients
Cette banque centralisée de données vaccinales permet de fournir à tout individu l’information sur son état vaccinal depuis sa naissance et cela jusqu’à un certain âge (qui devrait être réfléchi au préalable). En cas de perte du carnet vaccinal, la banque permet de retracer le parcours vaccinal de la personne et de fournir un duplicata. Elle permettra de prévenir les vaccinations inutiles dans le cas de personnes déjà immunisées qui auraient perdu la preuve de vaccination. En effet, sans preuve de vaccination, il y a (re)vaccination, qu’on soit enfant ou adulte, surtout lors d’admission aux services d’urgence.
La banque permettrait, dans des cas plus exceptionnels, et pour autant que le type de vaccin et le numéro du lot y soient inscrits de retracer les personnes vaccinées avec un vaccin d’un lot identifié comme suspect ou inefficace afin de les revacciner si nécessaire.
L’individu aurait accès aux vaccins fournis gratuitement par la Communauté directement auprès de son médecin, sans report de consultation comme cela peut être le cas avec le système actuel des vignettes. Ces avantages individuels qui sont nombreux et importants ne sont bien évidemment pas isolables de ceux que la communauté peut en tirer.
Du point de vue de la population (santé publique)
Un système d’enregistrement des données permet de vérifier la bonne utilisation des vaccins mis à disposition et de mieux cibler les campagnes d’information sur l’application des calendriers proposés. Il donnerait également la possibilité de mesurer rapidement l’impact de la presse dénonçant à tort ou à raison les effets indésirables d’un vaccin.
En termes de pharmacovigilance, le système d’enregistrement permettra de retrouver les vaccins utilisés en cas d’effets indésirables déclarés pour autant que le lot et le type de vaccin y soient mentionnés.
Ce système offrirait également la possibilité de réagir en cas de rupture de stock de vaccin et d’adapter la distribution de vaccins.
La commande de vaccins étant directement liée au renouvellement progressif du stock de vaccins en fonction des dates de vaccination fournies, le coût de la distribution des vaccins serait moins arbitraire et mieux contrôlé.
Théoriquement, et pour autant qu’elle soit exhaustive, cette banque pourrait servir pour établir des couvertures vaccinales brutes. Elle ne pourra néanmoins pas fournir d’analyse en fonction de variables sociodémographiques.
Du point de vue du praticien
La facilité d’accès au système de commandes de doses de vaccin (en ligne ou en différé) ainsi que l’obtention d’un stock renouvelé au fur et à mesure des vaccinations rapportées par le praticien constitueront certainement un attrait pour ce dernier. Néanmoins, associer la commande de vaccins à l’enregistrement des données vaccinales signifie avoir suffisamment de gage de qualité et de fiabilité quant aux données qui y seront enregistrées. Les dates encodées devront être les dates réelles de vaccination et non des données fictives. En effet, afin que le vaccinateur puisse recevoir les doses de vaccins, il sera obligé par le système de commandes de fournir des dates de vaccination. Dès lors que commandes de vaccins et banque de données vaccinales sont reliées, il est impératif d’un point de vue médico-légal que la qualité de ces données soit maximale. Ceci n’est pas seulement vrai pour la santé publique, mais aussi pour le praticien qui doit, afin de vacciner correctement, être sûr que les dates de vaccination encodées, éventuellement par d’autres confrères, sont exactes.

Faisabilité [enjeux organisationnels)

Les avantages évidents d’un système centralisé d’enregistrement des vaccinations ne doivent pas occulter toutes les difficultés et les inconvénients sous-jacents. Les problèmes qui pourraient se poser au niveau individuel sont principalement d’ordre éthique. Cependant, l’éthique et les questions qu’elle pose dans ce domaine apparaissent aussi au niveau collectif.
En plus des questions éthiques, les enjeux au niveau collectif seront d’ordre tant juridique, financier, politique que technologique. L’étude de la Commission européenne (2) montre d’ailleurs que les éléments qui limitent le plus la mise en place d’un registre sont d’ordre organisationnel (système de santé complexe avec division des responsabilités, coûts, complexité de la mise en place d’un tel système, exigence de sa pérennité…).
Enjeux éthiques
Les questions éthiques qui découlent de l’utilisation d’un registre sanitaire sont nombreuses. L’enjeu éthique majeur est le conflit entre d’une part, la possibilité d’atteinte à la vie privée par l’accès abusif à des données centralisées informatisées et d’autre part, l’avancement des connaissances en santé publique ainsi que l’amélioration de la protection sanitaire de la population.
Le fait que la Commission de la vie privée ait donné son accord en Flandre montre que le système lui semble acceptable.
La question du consentement du patient à figurer dans un tel système d’encodage doit cependant être posée et les modalités pratiques du refus éventuel de figurer dans la banque de données précisées. La conséquence éventuelle que ce refus entraînerait sur l’accès aux vaccins doit également être discutée.
Enjeux législatifs et légaux
Pour les systèmes centralisés de données, utilisés dans le secteur sanitaire et qui concernent l’intégrité physique et la vie privée des patients, un cadre légal défini de façon précise devrait préexister au développement de ces méthodes surtout à l’heure de l’informatisation généralisée. Le cadre légal devrait tenir compte à la fois des droits des citoyens par rapport au système, des droits et devoirs des praticiens médicaux mais aussi des droits et devoirs de l’administration tant par rapport aux citoyens, que par rapport à la recherche scientifique ou encore au monde médical. Les questions concernant la responsabilité, la sécurité, l’autorité du système devraient être discutées mais aussi celles concernant l’usage abusif des données y figurant.
Enjeux techniques et technologiques
Au niveau individuel, la question de l’équipement et du matériel tourne principalement autour du type d’ordinateur, des logiciels et de la connexion Internet dont chaque vaccinateur devra être équipé.
Au niveau institutionnel, auquel il appartient de créer le logiciel adéquat, ce sont des questions concernant à la fois l’alimentation de la base de données, la gestion de cette base de données, le stockage de ces données, l’accès à l’information et le respect de la vie privée qui devront trouver des réponses.
La construction d’un tel site nécessite la mise en place d’un système sécurisé d’identification des médecins vaccinateurs, la désignation d’un responsable de fichier et des accords avec la Banque Carrefour pour obtenir, sur une base hebdomadaire, le fichier des données de population.
Une conception modulaire de l’outil permettra le phasage de l’extension grâce à l’ajout des modules d’interface avec les logiciels des différents fournisseurs de données. Il permet d’envisager dans le futur l’extension à d’autres missions comme par exemple l’enregistrement des effets secondaires ou du numéro du lot du vaccin (cf. par exemple les besoins à long terme d’info sur la vaccination HPV).
Enjeux économiques
Un système d’enregistrement centralisé de données vaccinales nécessite un support financier et humain non négligeable.
Même si certains postes de dépenses sont liés à la mise en place du système, d’autres dépenses seront récurrentes et intrinsèques à son bon fonctionnement. Le financement d’un tel projet doit donc comporter les frais de mise en oeuvre mais aussi les frais de fonctionnement. Les dépenses vont concerner le niveau institutionnel, mais pas seulement puisque les professionnels de santé, dont les structures préventives (PSE, ONE), devront s’équiper du matériel informatique et de l’accès à Internet pour pouvoir utiliser le système de commandes et de transmission de données vaccinales.

Acceptabilité

Pour qu’un outil soit accepté tant par les bénéficiaires du système que par les professionnels de santé, il ne suffit pas seulement que l’instrument soit utile et qu’il ait dépassé toutes les difficultés de mise en oeuvre. Un système peut effectivement s’avérer utile et fonctionner correctement et néanmoins ne pas être facilement accepté.
Le système d’enregistrement étant conçu sur une base volontaire, il est fondamental que la population, en plus d’en comprendre l’utilité, soit fondamentalement d’accord avec l’usage du système et soit prête à y prendre part. Le concept d’acceptabilité, contrairement à celui d’utilité n’est pas basé sur des critères ou des arguments de type objectif. Il fait aussi intervenir la notion d’intérêt. Les intérêts, quant à eux, peuvent à la fois être d’ordre subjectif et objectif. Ils pourraient fortement varier d’un groupe d’acteurs à un autre ou au contraire se superposer partiellement.
Le système de commande lié à la banque de données devra donc être un outil utile avec un intérêt évident pour les différents acteurs et intervenants aux différents niveaux de réalisation. Cet outil sera d’autant plus efficace que chacun y trouve un intérêt particulier c’est à dire tant l’individu pris isolément en tant que personne vaccinée ou susceptible de l’être que le vaccinateur qui complètera la base de données ou qui l’utilisera. La Communauté en tant qu’initiateur d’un tel système devra aussi bien évidemment trouver plus d’intérêt que d’inconvénients dans son implémentation.
Niveau de la population
Plusieurs méthodes peuvent se concevoir pour évaluer le degré d’approbation dans la population.
Afin d’avoir une première estimation de l’acceptation, la littérature internationale peut être utile. Mais, il est évident que les réactions des populations peuvent s’avérer fort différentes d’un pays à l’autre. En effet, nous savons par exemple, que la Suède a une tradition de registre dans de nombreux domaines. Par contre, d’autres nations peuvent être plus réticentes à l’enregistrement systématique des données relatives à la vie privée.
Dans notre pays, l’acceptabilité peut être différente au Nord et au Sud du pays.
Un travail avec la population en amont de la mise en oeuvre d’un tel système sera sans doute à prévoir dans notre communauté.
Niveau des professionnels
Là aussi il peut s’avérer utile de connaître le degré d’acceptabilité de cet outil selon les différents types de professionnels qui devront y avoir recours. Il se peut en effet que l’acceptabilité ne soit pas pareille pour les acteurs de la médecine générale (pratique solo ou de groupe), pour la pédiatrie hospitalière et de ville ainsi que pour les structures de médecine préventive. Il pourrait par conséquent être utile de sonder les différents secteurs par rapport à l’accueil éventuel d’un registre. L’acceptabilité sera liée à l’utilité personnelle variant selon chaque professionnel, mais aussi à la quantité de travail que celui-ci devra fournir, notamment en matière d’encodage pour remplir la base de données (par exemple les difficultés soulevées par le double encodage éventuel).
Niveau des autorités
Les autorités administratives et politiques peuvent marquer un grand intérêt à disposer d’un système de commandes de vaccins qui externalise le travail quotidien d’encodage des commandes.
Il faut néanmoins qu’elles s’accordent pour identifier et accepter qui seront les responsables de la gestion des banques de données (commandes, stocks de vaccins attribués, back-up de données vaccinales…) et de l’adaptation éventuelle des programmes de gestion d’un tel système.
L’assurance de la qualité des données dans le système et de la couverture de la population ainsi que l’analyse des coûts récurrents d’un tel système définiront le seuil d’acceptabilité pour les autorités.
Béatrice Swennen , Emmanuelle Robert , Marie-Christine Miermans , Karin Levie , Provac
Adresse de l’auteur: Provac, Ministère de la Communauté française, Bd Léopold II 44, 1080 Bruxelles. Education Santé a déjà traité cette problématique (84 articles correspondant au mot-clé ‘vaccination’). Voir en particulier Swennen B., Miermans M.-C., Levie K., Plan communautaire opérationnel – la vaccination , n° 224.
Vous pouvez consulter ces articles sur notre site www.educationsante.be(1) Voir le site http://www.vaccinnet.be de la Communauté flamande, développé et hébergé par le pendant flamand de l’ONE, Kind & Gezin.
(2) European Commission, Directorate-General Health and Consumer Protection, Development of Vaccination Registers (2000/SID/017), Final report, may 2003.