Novembre 2003 Par I. LEJEUNE Initiatives

Un nouveau projet visant l’amélioration de la santé et de la qualité de vie de personnes adultes trisomiques 21

Créé par l’APEM (Association de parents et de personnes trisomiques 21) en 1982 dans la région verviétoise, le service d’accueil de jour La fermette ouvre quotidiennement ses portes à une cinquantaine de personnes adultes trisomiques 21 des deux sexes, atteints de déficience mentale modérée et sévère.
En septembre 2000, à la suite d’une étude et d’une analyse détaillée, il apparaît que la moitié de ces personnes souffrent d’obésité et plus d’une dizaine de surcharge pondérale.
Ces problèmes entraînent une série de conséquences extrêmement négatives pour leur santé. Du point de vue strictement physique, il existe une relation entre l’obésité et certaines maladies ou affections, certains de ces troubles étant déjà présents très précocement chez la personne trisomique 21 et associés au handicap.
Désireux de lutter efficacement et avec énergie contre l’excès de poids, nous avons mis en place au sein de La fermette un nouveau programme alimentaire.

Développement du programme alimentaire

Période 2000-2001

Devant les échecs soldant nos différentes tentatives isolées réalisées depuis plus de 10 ans quant à la limitation de la prise de poids chez nos adultes, nous avons décidé de modifier radicalement dès novembre 2000 la politique en matière d’alimentation et de développer un programme ancré sur 4 axes:
-celui du suivi médical et alimentaire des adultes et particulièrement de ceux appartenant à un groupe pilote constitué à l’intérieur de l’institution et composé au départ de 10 adultes, 5 hommes et 5 femmes, souffrant tous d’une importante surcharge pondérale, voire d’obésité, et vivant des réalités différentes au niveau de leur contexte de vie en ‘après-journée’, retour en famille pour 4 de ces personnes, retour dans une institution privée pour 4 autres, retour dans notre Service résidentiel pour les deux dernières). Les garants de cet axe sont le médecin de l’institution et la cuisinière;
-celui des activités physiques adaptées et organisées plus spécialement pour les adultes du groupe-pilote. La garante de cet axe est la kinésithérapeute de La fermette ;
-celui du suivi du milieu de vie en ‘après-journée’ de ces adultes (famille ou institution). Les garants de cet axe sont la psychologue de l’institution avec les responsables de la vie en ‘après-journée’;
-celui enfin du suivi psychopédagogique et du soutien de ce même petit groupe. La garante de cet axe est la psychologue de l’institution.
En septembre 2001, les deux premiers axes ont déjà pris un bel essor.
Concernant le suivi médical et alimentaire:
-anamnèse alimentaire en début de programme pour chaque personne;
-récolte de données objectives (courbe de poids des 10 personnes du groupe-pilote remise à jour par quinzaine);
-contacts individuels entre le médecin généraliste de l’institution, la famille de la personne et un médecin nutritionniste extérieur (avis, conseils…);
-contacts entre le médecin généraliste, la cuisinière de l’institution et le médecin nutritionniste débouchant sur d’importantes modifications des repas de midi et des collations dans l’institution (composition des menus, modes de cuisson…), au bénéfice de tous les adultes fréquentant La fermette .
Concernant les activités physiques adaptées:
-intégration dans le planning individuel des 10 personnes du groupe-pilote d’activités sportives adaptées (aquagym ou natation une fois par semaine et fitness 2 fois par semaine pour chacun);
-récolte de données objectives (mensurations corporelles comme tour de thorax, taille, cuisse…).
A l’époque, les deux autres axes, c’est-à-dire celui du suivi du milieu de vie en ‘après-journée’ des membres du groupe-pilote et du soutien psychopédagogique de ceux-ci, sont nettement à la traîne, faute de moyens en personnel pour consacrer du temps au développement de ces aspects.

Période 2001-2002

En novembre 2001 le Ministère de la Communauté Française octroie à notre institution une subvention portant sur les aspects pilotes du projet, à savoir la coordination des garants (médecin, kinésithérapeute, cuisinière, psychologue, responsables de vie en ‘après-journée’), la mise en place d’outils didactiques et donc du suivi psychopédagogique du groupe-pilote et d’un partenariat avec d’autres institutions et enfin l’évaluation du programme (aspects novateurs et perte de poids).
D’emblée, afin de développer ces différents points, la psychologue bénéficie d’un quart temps supplémentaire.
En octobre 2001, deux nouvelles personnes rejoignent le groupe-pilote de départ, deux autres ont déjà atteint un «poids de croisière» et sont maintenues dans le programme afin de stabiliser ce poids, et une autre personne a quitté le groupe.
C’est pourquoi il est question de 11 adultes dans la suite de cet article.

La coordination des garants du programme
Les réunions et contacts entre la cuisinière, le médecin, la kinésithérapeute et la psychologue de l’institution ont constitué des moments privilégiés et indispensables de dialogue et de collaborations entre ces différents «spécialistes».
Ils ont permis le développement harmonieux et concerté des 4 axes du programme et mis en lumière l’importance et la complémentarité des rôles joués par chacun non seulement dans un projet comme celui-ci mais dans la vie de l’institution en général.
La coordination entre les garants institutionnels et les partenaires de vie en ‘après-journée’ par le biais de réunions (en moyenne tous les 2 mois) et de contacts écrits rapportant l’évolution bi-mensuelle du poids des adultes via les carnets de communication s’est bien orchestrée.
Les réunions ont connu un taux élevé de participation des familles et des éducateurs des services résidentiels.
Tous ont trouvé enrichissants et encourageants les moments de rencontre et apprécié d’être tenus régulièrement au courant de l’évolution des courbes de poids des adultes, ce qui leur permettait d’évaluer leur action et leurs attitudes vis-à-vis des intéressés et éventuellement de les réajuster. La mise au point d’outils didactiques et le suivi psychopédagogique du groupe-pilote
Dès le mois d’octobre 2001, la psychologue va rencontrer les 11 adultes à raison d’une fois par semaine, par demi-groupe, durant 1h30 environ.
Les objectifs poursuivis lors de ces rencontres sont multiples.
Le premier est de permettre à chaque personne de s’approprier personnellement le programme, qu’elle l’investisse en tant qu’acteur, qu’elle en comprenne l’utilité et l’intérêt, autrement dit qu’elle soit motivée à perdre du poids ou à le stabiliser et que cette motivation soit entretenue.
Les autres objectifs, qui découlent directement du premier, sont de valoriser les efforts de chacun réalisés dans le sens d’un amaigrissement ou d’une stabilisation de son poids, et de donner des connaissances en matière de choix et de bons comportements alimentaires qui, dans la mesure du possible, seront transférées dans les autres milieux de vie des adultes concernés.
Pour tendre à la réalisation de ces objectifs, différentes stratégies ont été utilisées, des outils didactiques adaptés ont été construits:
-grille de courbe de poids gérée par les adultes eux-mêmes;
-contrat d’engagement de l’adulte dans le programme alimentaire;
-jeux divers sur base d’images de nourriture découpées dans des publicités, de photos d’aliments à identifier, à classer…
-syllabus de synthèse reprenant sous forme de dessins, de photos et de textes simples les grands thèmes abordés pendant les rencontres.
Les stratégies didactiques mises en place lors des cours reposent sur l’alternance de temps d’apprentissage sous forme de jeux, de travail sur la courbe de poids personnelle, de discussions et de mises en situation.
Celles contribuant à entretenir la motivation des intéressés et à valoriser leurs efforts passent par la création d’un système de renforçateurs primaires et secondaires (gratifications «matérielles», sociales… comme remise de médaille ou de certificat en présence des familles…). La mise en place de partenariats avec d’autres institutions
Les collaborations créées avec 2 institutions partenaires, accueillant elles aussi des personnes handicapées mentales et amenées à réagir par rapport à des problèmes d’obésité vécus au sein de leur population ont été utiles et nous ont mutuellement enrichis:
-échange d’informations générales et d’outils didactiques et contacts entre les cuisinières des différentes institutions,
-rencontre de nos adultes du groupe-pilote avec les résidentes d’une des deux autres institution (valorisation des personnes, renforcement de l’intérêt des participants pour le « bien-manger »…).
Ces partenariats vont se prolonger en 2003.

Evaluation des résultats du programme

Le tableau ci-dessous reprend les principaux enseignements de ce projet.

Tableau de synthèse de différentes données se rapportant aux personnes du groupe-pilote

Sujet modéré-sévère

Sexe Niveau de déficience mentale Milieu de vie Date entrée Poids nov. 2000 Poids nov. 2001 Poids sept. 2002 Perte de poids depuis nov. 2001 Résultat moyen à l’épreuve de classement des aliments max =10) Soutien apporté par le milieu familial (de 1 à 5) Motivation de la personne à maigrir (de 1 à 3)
1 M Modéré F Nov. 2000 83,800 80,500 79,500 4,300 8,6 3 1
2 F Sévère F Nov. 2000 91,500 Personne sortie du groupe-pilote en octobre 2001.
3 F Limite modéré-sévère IM Nov. 2000 63,150 60,850 61,450 1,700 7,3 4 1
4 F Modéré F Nov. 2000 64,750 55,700 51,300 13,450 9,6 5 3
5 H Modéré IM Nov. 2000 73,750 67,600 68,800 4,950 9,6 3 2
6 F Limite
F Nov. 2000 85,950 83,500 75,550 10,400 6,6 5 3
7 M Limite léger-modéré IG Nov. 2000 76,550 63,600 62,950 13,600 9,3 5 3
8 F Modéré IM Nov. 2000 60,650 52,500 51,200 9,450 9,6 5 3
9 M Limite modéré-sévère IG Nov. 2000 86,250 78,000 75,850 10,400 7,3 5 3
10 M Modéré IM Nov. 2000 70,300 68,200 66,700 3,600 10 1 2
11 M Modéré F Oct. 2001 85,450 77,900 7,550 8,6 5 1
12 F Sévère IG Oct. 2001 60,350 60,450 Gain de 0,100 6,6 4 1

Explication de certaines cotations.
Niveau intellectuel :
– importance de la déficience intellectuelle établie d’après la valeur du QI (donnée conservée dans le dossier psychopédagogique de la personne).
Type de milieu de vie en après journée :
– F:retour en famille.
– IM: retour en institution (home privé).
– IG: retour en institution (glanée).
Résultat moyen à l’épreuve de classement des aliments :
– moyenne des 3 épreuves de classement d’aliments proposées aux membres du groupe en décembre 2001, mars 2002 et septembre 2002.
Soutien apporté par le milieu familial :
5 . existence dans l’entourage de la personne d’au moins 1 membre de sa famille (père, mère, frère, sœur…) qui participe aux réunions et encadre activement et régulièrement la personne au cours du programme (encouragements verbaux, valorisation des efforts, intérêt manifesté pour le programme par de nombreuses questions posées en cours de réunions, témoignages verbaux d’initiatives et suivi de la personne dans le sens d’une meilleure diététique et d’une perte de poids quand l’occasion se présente…).
4 . même définition que 5 avec toutefois une intensité moindre dans l’encadrement de la personne (parce que les contacts avec elle sont moins nombreux et/ou que l’entourage dispose de moins de ressources de différentes origines pour assurer ce suivi…).
3 . participation d’au moins un membre de la famille de la personne aux réunions mais peu d’encadrement régulier réalisé par lui au niveau de la personne dans le sens d’une meilleure diététique ou d’une perte de poids ( peu de contacts et/ou peu de moyens à disposition pour réaliser un encadrement actif et/ou difficultés à mobiliser ces moyens vu la situation familiale…
2 . participation occasionnelle d’un membre de la famille aux réunions mais pas d’encadrement de la personne réalisé par ce membre de la famille dans le sens d’une meilleure diététique ou d’une perte de poids.
1 . pas de participation aux réunions ni de suivi réalisé par au moins un membre de la famille de la personne.
Motivation de la personne à maigrir :
3 . existence chez la personne dès le 2e mois de fonctionnement du soutien psychopédagogique d’une motivation spontanément déclarée, stable et personnelle à perdre du poids.
2 . existence chez la personne d’un intérêt pour le programme diététique portant sur d’autres aspects que l’amaigrissement sans qu’une motivation personnelle et stable à perdre du poids ne soit spontanément déclarée et explicitée.
1 . pas de motivation spontanée et personnelle déclarée par rapport à l’amaigrissement, peu d’intérêt manifesté pour le programme diététique.

Discussion

Si l’on considère l’évolution des poids des adultes du groupe-pilote sur les deux dernières années, c’est-à-dire depuis le démarrage du programme, tous, à part une personne entrée plus récemment dans le groupe et connaissant des problèmes de santé particuliers (12), ont perdu du poids.
Sur les dix adultes qui ont maigri, cinq ont perdu entre 9,450 et 13,600 kg, un autre plus nouvellement intégré dans le groupe en a perdu 7,500; les quatre autres ont perdu sur deux ans entre 1,700 et 5 kg.
Si l’on envisage maintenant les six adultes pour lesquels on peut parler de «réussite», on constate qu’ils sont de niveaux intellectuels très divers mais par contre que cinq d’entre eux ont identifié rapidement une motivation claire et personnelle à perdre du poids et qu’ils ont tous les six bénéficié d’un intérêt et d’un soutien accru au niveau de leur famille qui a relayé les informations reçues et accompagné véritablement dans les mots et dans les actes les efforts de leur enfant, de leur frère ou sœur, et cela indépendamment de leur éventuel hébergement durant la semaine.
En conclusion, on peut avancer l’hypothèse que le soutien apporté par le milieu familial couplé à une motivation personnelle et bien ancrée de la personne à perdre du poids sont des facteurs de réussite dans le domaine de l’amaigrissement de nos adultes bien plus déterminants qu’un facteur comme le bon niveau cognitif. Ce dernier est sûrement «facilitant» mais en l’absence des 2 autres facteurs précédemment cités, il semble n’avoir que peu d’influence sur le résultat espéré.
Ceci nous encourage à maintenir notre coordination avec les milieux de vie en ‘après-journée’ et notre soutien psychopédagogique dans le sens d’une plus grande compréhension du programme et de son utilité par chacun, de la recherche et/ou de l’entretien de la motivation profonde de la personne.
L’analyse des données spécifiques récoltées par la kinésithérapeute, notamment celle du tableau des mesures des plis cutanés pendant une période de 3 mois, met en évidence une diminution du pourcentage de graisse corporelle chez tous les adultes du groupe , y compris ceux n’ayant perdu que peu de poids.
Cet aspect souligne une nouvelle fois l’importance de coupler l’exercice physique à une bonne hygiène alimentaire, et aussi de tenir compte d’autres données que la simple diminution de poids si l’on veut évaluer l’impact d’un programme comme celui que nous développons sur la santé des personnes (dans ce cas, amélioration de celle-ci par la diminution de la masse graisseuse et le « tonus » insufflé aux membres du groupe par leur participation plus intensive à des activités physiques et observé quotidiennement par la kinésithérapeute).

La suite du programme en 2003

Il est évident que le programme se poursuit en 2003!
Les personnes ont toujours dans toute la mesure du possible au minimum deux activités physiques adaptées programmées dans leur semaine.
Le soutien psychopédagogique des adultes du groupe continue également, à un rythme moins soutenu (une fois par quinzaine), avec le maintien de la gestion par les adultes de leur courbe de poids personnelle, l’entretien des connaissances et bons réflexes en matière d’alimentation sur base du mini-syllabus qui formalise par des photos, des dessins et des textes simples toutes les notions abordées pendant l’année 2002, et surtout la recherche et/ou l’entretien de la motivation personnelle de chaque adulte à maigrir en mangeant mieux et en bougeant.
Quatre autres adultes ont en outre intégré le programme début février 2003.
Le contact écrit avec les intervenants de vie en ‘après-journée’ est maintenu et des réunions sont organisées avec eux trimestriellement (réunions d’échange et à thème).
Les partenariats avec les 2 institutions de départ vont certainement se prolonger et d’autres institutions ou écoles sont déjà venues dans le courant de cette année frapper à notre porte afin de pouvoir échanger sur les thèmes de l’alimentation adaptée, de la diététique en institution, du développement d’un programme tel que le nôtre etc.
On peut dire qu’aujourd’hui le programme alimentaire fait partie intégrante du projet d’accompagnement de l’institution.

Isabelle Lejeune , Psychologue au S.A.J.A. La fermette Adresse de l’auteur:
La fermette, rue Victor Close 41, 4800 Verviers (Polleur).
Tél.: 087-22 33 55.
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