Janvier 2005 Par Chantal VANDOORNE et al. S. GRIGNARD Patrick TREFOIS Stratégies

Une évaluation portant sur plusieurs axes

Le décret relatif à la promotion de la santé à l’école du 20/12/2001 réforme les missions et pratiques des services de santé scolaire, appelés dorénavant ‘Services de promotion de la santé à l’école’ (PSE). La visée de cette législation est notamment d’inscrire la promotion de la santé au sein des écoles et d’amener les services PSE à développer ou renforcer des prestations conformes à cette approche de la santé.
L’institution de ces changements a été notamment réalisée via des formations et des conférences-débats à destination du personnel des équipes PSE et des centres psycho-médico-sociaux (PMS) de l’enseignement organisé par la Communauté française.
Dans le cadre de ce processus, le Cabinet de la Ministre Maréchal a demandé à chaque Service communautaire de promotion de la santé (SCPS) de réaliser des propositions d’évaluation de la mise en œuvre du décret. Il souhaitait disposer rapidement d’informations permettant de moduler et réorienter les conditions de mise en place du nouveau décret. Ces propositions sont coordonnées au sein d’un groupe de travail composé des SCPS et du Cabinet. La Croix-Rouge, organisatrice des formations, a participé aux travaux chaque fois que l’évaluation de celles-ci était à l’ordre du jour.
Le Cabinet a défini 5 axes prioritaires à propos desquels il souhaitait obtenir des informations:
-médical (bilan, suivi, prophylaxie, tuberculose, vaccination, recueil de données…). L’examen des rapports d’activités des équipes entre dans cet axe.
-promotion éducation santé (formation, évolution des pratiques, gestion de projets, projet-santé…).
-administratif (agrément, subventionnement, forfait social, simplification, informatisation…). Cet axe s’appuie essentiellement sur les rapports d’activités des équipes.
-organisationnel (travail d’équipe, gestion d’équipe, coordination).
-institutionnel (PMS/PSE, partenariats).

Un premier bilan de la mise en œuvre du décret

L’enquête présentée ci-après s’intègre donc dans une procédure plus vaste d’évaluation du décret PSE qui s’est notamment centrée, au cours de l’année 2003, sur l’évaluation des formations à destination du personnel des équipes PSE et centres PMS.
Les enquêtes réalisées par les SCPS durant le premier semestre 2004 visaient quant à elles à faire un premier bilan de la mise en œuvre du décret au niveau des équipes PSE.
Il s’agit d’un bilan provisoire dans la mesure où les modifications de type organisationnel et institutionnel, le développement de projets d’équipe et de partenariats effectifs avec les établissements s’inscrivent dans une évolution à long terme des pratiques de promotion de la santé dans le milieu scolaire.
Les résultats présentés ici ne concernent pas les Centres PMS de l’enseignement organisé par la Communauté française, dont les données sont encore en cours d’analyse.
Par ailleurs, cette enquête s’inscrit en complémentarité avec d’autres données recueillies en 2004, parmi lesquelles les entretiens de groupe réalisés par le Centre de dynamique des groupes et d’analyse institutionnelle de l’Université de Liège (CDGAI) et les questionnaires écrits auto-administrés distribués dans le cadre du dernier module des formations.

Méthode et description de l’échantillon

Pour estimer la mise en œuvre de cette réforme, les SCPS ont proposé de faire porter l’évaluation à la fois sur le processus en cours et sur l’impact auprès du personnel et des services concernés.
Des questionnaires auto-administrés ont été adressés aux membres des centres et services (questionnaire A) et aux responsables de ceux-ci (questionnaire B). Cette enquête portait sur:
-(A) les facteurs favorisants, les barrières et les éléments susceptibles d’améliorer l’application du décret PSE (SIPES,ULB-PROMES);
-(A) les changements de pratiques et l’évolution des représentations du rôle et de l’identité professionnelle (UCL-RESO);
-(A) le vécu d’empowerment professionnel (APES-ULg);
-(B) les procédures de concertation internes et externes mises en place par les centres et services (Question Santé).
L’enquête auprès des personnels (questionnaire A) a permis de récolter les avis de 380 personnes sur les 519 pressenties. Elle a donc obtenu un très bon taux de réponse (71%) réparti entre 35% de médecins et 65% d’infirmières.
Il est à remarquer que 46% des répondants ont plus de 15 ans d’expérience, que les répondants se répartissent entre 52% qui n’ont pas suivi la formation (ou qui ont suivi moins de la moitié de celle-ci) et 48% qui ont suivi la formation (en totalité ou au moins la moitié des séances). Ceci a permis une analyse des corrélations entre certains résultats et d’autres variables telles que l’ancienneté et la participation à la formation.
Cinquante-huit responsables de structures sur les 99 contactés ont répondu au questionnaire B.
L’enquête auprès des responsables de structures connaît une sur-représentation des services bruxellois. Les deux enquêtes connaissent une sous-représentation de la province du Luxembourg.

Synthèse des résultats

Modifications apportées par le décret dans les pratiques des services et des personnes concernées

Septante-deux pour cent des répondants déclarent que le décret a apporté des modifications dans leurs pratiques; ces modifications concernent les activités, l’organisation du service PSE ou le vécu professionnel. Les 28 % restants sont essentiellement des personnes qui estiment avoir appliqué les principes du décret avant qu’il soit promulgué ou des personnes qui n’ont pas travaillé dans le cadre organisationnel précédent.
Du côté des activités , les changements de pratiques les plus couramment évoqués concernent une présence accrue dans les écoles, la vision globale de la santé, la communication avec le personnel scolaire (enseignants et directeurs) et, dans une moindre mesure, le développement de projets santé dans les écoles.

Tableau 1: Fréquence de citation des changements, par profession, en %

Changements

Fréquence (%) de citation par les médecins (n=98) Fréquence (%) de citation par les infirmières (n=150)
Une présence accrue dans les écoles (plus de contacts, visite des écoles) 35 27
Une communication accrue avec les enseignants et les directeurs 22 15
Une charge de travail accrue 11 12
La mise en place d’activités de promotion de la santé, l’élaboration de ‘projets santé’ 10 8
Une vision plus globale de la santé 10 7
Un travail d’équipe accru (collaboration, concertation entre médecins et infirmières) 10 5
Un partenariat avec le PMS augmenté 9 16
Davantage de stress 8 9
Plus de tâches administratives 6 16

L’enquête auprès des responsables de structure montre que les 56 services répondants ont totalisé 202 initiatives vers les écoles . Il s’agit le plus souvent (entre 55 et 75% selon les cas) d’envoi d’un courrier, de contacts informels avec la direction, de réunions avec la direction et/ou les enseignants. Pointons les initiatives de communication vers les parents: 66% des services ont envoyé un document explicatif sur le décret; 5% ont organisé une réunion avec les parents; 37,5 % ont communiqué au Conseil de participation.

Tableau 2: Initiatives vers les écoles (n=56)

Initiatives

Fréquence de citation %
Contact oral informel avec la Direction 41 73,2%
Diffusion d’un document explicatif aux parents 37 66,0%
Courrier à la Direction 32 57,1%
Réunion(s) d’information avec la Direction et le personnel 32 57,1%
Diffusion d’un document explicatif à la Direction et aux enseignants 25 44,6%
Communication au Conseil de participation 21 37,5%
Initiative(s) en projet, vu le stade actuel de mise en place du Décret 11 19,6%
Autres initiatives* 11 19,6%
Réunion(s) d’information pour les parents 3 5,3%
Aucune initiative 1 1,7%

* Document remis aux parents, contact avec les Directions et le pouvoir organisateur, participation à des journées pédagogiques, contact avec un Echevin, visite systématique des écoles.

Presque 30% des responsables de structure déclarent avoir établi des « projets santé » en concertation. Par ailleurs, seulement 8 à 10% des professionnels déclarent que leur modification de pratiques porte sur la mise en œuvre de projets santé. Pour comprendre cette différence, il faut tenir compte de ce que plusieurs personnes de chaque centre ont répondu que pour elles «établir un projet» ne recouvre pas la même réalité que «mettre en œuvre celui-ci» et que certaines personnes déclaraient adopter déjà ces pratiques avant le décret.
En ce qui concerne la concertation avec les PMS , 78% des services répondants font mention de réunions régulières, et 29 % de collaboration dans le cadre de projets santé. Enfin notons que 84% de centres évoquent d’autres partenariats que les écoles et les PMS.

Tableau 3: Modalité(s) de partenariat PSE-PMS (n=55)

Partenariats

Fréquence de citation %
Réunions de concertation régulières 43 78,2%
Contacts informels à propos d’un élève 41 74,5%
Etablissement en concertation de projets de santé dans des écoles 16 29,1%
Autre mode ou type de collaboration* 14 25,4%
Signature d’une convention générale de collaboration 4 7,2%
Pas de partenariat au stade actuel de mise en place du Décret 1 1,8%

* Par exemple proposition de partenariat, feuille de liaison et de transmission aux élèves, contrat de collaboration (cf. ancien décret)…

Parmi les changements positifs dans l’organisation des services, les médecins relèvent plus que les infirmières les bénéfices du travail en équipe . Ceci converge avec les résultats des échelles de vécu d’empowerment qui manifestent une progression plus importante des médecins sur la dimension «perception positive du travail d’équipe».
Quelques autres différences significatives sont enregistrées par les échelles de mesure de l’empowerment professionnel: un plus grand sentiment d’autonomie et de contrôle sur son travail chez les infirmières que chez les médecins ainsi que chez les répondants qui ont moins de 5 ans d’ancienneté; un score de développement des compétences plus élevé chez les médecins que chez les infirmières.
Du côté de la mise en place des concertations internes , on relève la présence d’un coordinateur dans 59% des cas; ce pourcentage est majoré de 10 si on prend en compte les coordinateurs «officieux». Un tiers des services organisent au moins une réunion de coordination par mois.
Parmi les changements négatifs dans l’organisation du service et dans le vécu professionnel, on relève surtout la charge de travail et le stress. Ceci converge avec les résultats de l’exploration des facteurs facilitants ou des obstacles à l’application du décret, où le manque de temps, le manque de personnel et le manque de ressources sont les trois obstacles et les trois enjeux les plus fréquemment cités.

Analyse des facteurs facilitants et des obstacles à l’application du décret

La moitié des répondants se sent à mi-chemin de l’application du décret et un répondant sur cinq exprime, dès à présent, le sentiment d’être prêt en ce domaine.
Au-delà de ce positionnement, les obstacles évoqués par les intervenants concernent d’abord les déficits de ressources humaines, temporelles et financières au sein des équipes et, ensuite, les difficultés liées à l’attitude des autres acteurs scolaires envers le décret.
Pour la majorité des acteurs PSE, le frein principal à la mise en pratique du décret provient donc de l’inadéquation entre les moyens disponibles et les missions confiées . Cette discordance s’exprime principalement au niveau du manque de temps, ensuite au niveau du déficit de personnel et de la carence en matière financière et, dans une moindre mesure, sur le plan de l’accès aux ressources pour appliquer ces missions.
Derrière les vocables «manque de temps» et «manque de personnel», les intervenants évoquent surtout la surcharge de travail qui se trouve habituellement associée à la quantité et la diversité des missions, à la mise en place de nouvelles pratiques et missions, à l’augmentation des tâches administratives, à l’importance du nombre de bénéficiaires de ces missions. Ce sont surtout les nouvelles missions qui sont ressenties comme un travail supplémentaire sans laps de temps supplémentaire, sans personnel pour le réaliser.
Parmi les solutions prioritaires, les intervenants privilégient l’augmentation des moyens sur l’allégement de la charge de travail et ne remettent pas ou peu en question les nouvelles missions, à l’égard desquelles ils expriment bien souvent un avis enthousiaste et positif.
Bien que le caractère innovant, obligatoire et légal du décret soit perçu globalement positivement, la gestion politique de la mise en place du décret est invoquée par certains comme une limite à une bonne application de celui-ci. C’est notamment le caractère imprécis et asynchrone de certaines directives qui est impliqué ici, ainsi que des problèmes d’adéquation avec la réalité de terrain.
L’accès aux ressources en promotion santé est aussi cité par une partie des intervenants comme un facteur contrariant ou facilitant la mise en place du décret. Ils expriment habituellement la nécessité d’avoir un accès aux données et informations disponibles en promotion santé, de bénéficier d’une aide méthodologique (humaine ou technique), de disposer d’outils d’animation et d’une assistance logistique.
Dans l’accès aux ressources disponibles au sein des équipes, la participation à la formation est ressentie comme un facilitateur pour la mise en pratique des réformes. Les intervenants considèrent qu’un accompagnement organisé au niveau des équipes serait plus pertinent.
Les autres acteurs scolaires sont également considérés comme jouant un rôle clé dans l’application du décret. Sur le plan des freins, le personnel des équipes PSE évoque entre autres:
-les caractéristiques personnelles telles que le désintérêt et la démotivation du corps scolaire;
-la perception de la PSE comme une charge supplémentaire pas nécessairement prioritaire ;
-la méconnaissance du décret par les écoles ;
-l’adaptation des écoles au changement insufflé par le décret sur le plan notamment du nouveau rôle des équipes PSE.
Néanmoins, les acteurs scolaires sont ressentis, dans un quart des cas, comme de précieux facilitateurs. On invoque alors des prédispositions personnelles favorables à l’approche promotion santé ainsi que l’existence de collaborations antérieures au décret entre les équipes PSE et les autres acteurs scolaires.
Les enjeux prioritaires dégagés par les répondants pour cette collaboration PSE-écoles sont:
-un travail d’information et de sensibilisation auprès des acteurs scolaires sur les missions PSE ou les obligations qui leur incombent en ce domaine;
-une définition claire des rôles de chacun des acteurs scolaires pour aider les équipes PSE à trouver leur place dans l’univers des acteurs scolaires.

Eléments d’impact des formations organisées au cours des deux dernières années

Ces éléments d’impact ont pu être dégagés grâce à la comparaison des réponses des 178 personnes ayant participé à au moins la moitié des modules de formation avec les 189 n’ayant pas (ou très peu) participé à ceux-ci.
La dimension «développement des compétences» de l’échelle de vécu d’empowerment est significativement plus élevée chez les participants à la formation. Les participants à la formation sont significativement plus nombreux parmi ceux qui se sentent plutôt prêts à appliquer le décret.
Toutefois, ce sont aussi les participants à la formation qui mentionnent plus souvent le manque de temps, le manque de personnel et les freins issus des acteurs scolaires comme des obstacles à l’application du décret.
De même, ce sont les acteurs ayant participé à la formation qui réclament le plus une augmentation des moyens en termes de temps et de personnel. Très logiquement, on retrouve parmi les participants à la formation plus de personnes qui considèrent la formation comme un facteur favorisant la mise en place du décret.

Conclusions générales et recommandations

Cette enquête a mis au jour des éléments favorables à l’application des nouvelles missions prévues par le décret.
Du côté des attitudes , on relèvera la conviction de l’intérêt des nouvelles missions, une plus grande place donnée au concept de santé globale; la présence plus importante, chez les personnes ayant suivi des formations, du sentiment de pouvoir augmenter leurs compétences et d’être prêtes pour de nouvelles missions.
Du côté des pratiques , on mentionnera l’augmentation des contacts avec les écoles, des processus de concertation en interne, et de concertation avec les PMS, une plus grande implication des médecins dans la promotion de la santé et le fonctionnement d’équipe.
Néanmoins, les tendances dégagées par cette enquête ne touchent pas l’entièreté des équipes PSE. Pour certains intervenants, les pratiques actuelles préexistaient alors que, pour d’autres, la réforme en elle-même n’est pas nécessairement convaincante. A ce sujet, en l’absence d’une enquête visant à caractériser les non-répondants, il se peut évidemment que les résultats constatés diffèrent quelque peu de la réalité des équipes. Rappelons en outre que les centres PMS de la Communauté française ne sont pas, à cette date, inclus dans ces résultats.
Du côté des recommandations , on pointera la nécessité d’accorder une attention aux plaintes portant sur la charge de travail, le manque de ressources humaines et matérielles, surtout venant de personnes qui sont sensibilisées aux contenus des nouvelles missions. A cet égard, il importe que la gestion politique et administrative de l’implantation de ce décret accorde une plus grande place à l’écoute des réalités quotidiennes vécues par les équipes et les aide à définir des priorités entre activités. On mentionnera aussi la demande récurrente exprimée par les équipes de bénéficier de soutiens méthodologiques, de formations en équipe, et de réseaux d’échanges.
Enfin, il semble qu’il y ait aussi urgence à s’intéresser à la mise en place de préalables à l’installation de « projets santé » dans les écoles : information des acteurs scolaires sur la promotion de la santé, sur le décret PSE, sur les services PSE; définition et répartition des rôles en matière de projet de santé entre acteurs scolaires et équipes PSE.
Chantal Vandoorne , Sophie Grignard pour APES-ULg,, Patrick Trefois , Alain Cherbonnier pour Question Santé, Danielle Piette , Damien Favresse , Juan Protto pour SIPES, ULB-PROMES,
Alain Deccache , Florence Renard , Joëlle Berrewaerts pour UCL-RESO