Juin 2016 Par G. ADANT Réflexions

Activité physique et longévité

«Lo màs importante es vivir» (Federico Garcia Lorca)

Fondé sur une revue de la littérature cet article a pour objectif de souligner le rapport entre l’activité physique au sens le plus large comme habitude de vie et la longévité. Il existe dans le monde quelques endroits privilégiés appelés Blue Zones où les habitudes de vie, dont l’activité physique, conduisent à produire de robustes centenaires. Dans ces régions, l’activité modérée et parfois plus intense est une pratique régulière, gage de bonne santé.

Ces observations sont croisées avec des études d’intervention ou des études épidémiologiques qui indiquent que l’activité physique réduit l’apparition des maladies chroniques tant physiques que mentales et est un facteur de longévité. Une combinaison d’activités physiques, mentales et sociales, si possible à l’extérieur, est à encourager pour assurer un vieillissement optimal à l’instar des observations faites auprès des centenaires des Blue Zones.

Introduction

On peut espérer que l’évolution des sociétés au niveau mondial tende à améliorer globalement la santé dans toutes ses composantes et par là la longévité. La santé pour tous pour l’an 2000 était d’ailleurs le mot d’ordre de l’OMS il n’y a pas si longtemps.

C’est une constante à toutes les époques. L’homme a cherché à se libérer des conséquences inéluctables du vieillissement en essayant de découvrir les clés qui lui permettraient de reculer les frontières de la sénescence voire de s’en affranchir.

Sur un vase grec de la période classique un homme fait ses ablutions à une fontaine dont l’eau est supposée le régénérer ou l’empêcher de vieillir.

Une publicité récente pour une eau minérale bien connue se sert des mêmes symboles. La consommation de cette eau est censée faire rajeunir.

La médecine contemporaine n’y échappe pas et continue à cultiver le fantasme de la jeunesse éternelle ou de l’immortalité.

On sait grâce à Lalonde (1974) qu’il y a quatre déterminants principaux à la santé: les habitudes de vie (lifestyles), les facteurs d’environnement, les facteurs biologiques et le système de santé. Dever (1975) a calculé un pourcentage pour chacun de ces facteurs : les habitudes de vie interviennent pour 43%, l’environnement 19%, les facteurs biologiques 27% et le système de santé pour un modeste 11%.

La prévention primaire est donc essentielle et pourtant elle reste un parent pauvre; par exemple en France les dépenses annuelles relatives à la prévention sont estimées entre 2,3 à 6,4 % des dépenses globales (Chambaud, 2008). Or, comme le souligne le généticien Axel Kahn (2015), «(…) il y a énormément d’éléments fondamentaux qui font une vie humaine qui ne sont pas inscrits dans nos gènes (…) aujourd’hui, une grande partie des déterminants d’une maladie, c’est le style de vie et les comportements à risque».

C’est dans les gènes ?

La prévention primaire englobe un ensemble d’éléments non-médicaux, principalement socioéconomiques, culturels, écologiques, politiques; elle n’est pas étroitement liée à l’industrie médico-pharmaceutique, par conséquent elle ne génère pas ou très peu de business; elle est globale et sa complexité n’entre pas dans les modèles à causalité linéaire classique en vogue dans le modèle médical traditionnel.

Par ailleurs, les mesures de prévention primaire impliquent très souvent une profonde remise en cause des comportements et des modèles socio-économiques et culturels dominants.

L’esprit humain cherche bien souvent à répondre aux questions qui se posent par un raisonnement où la cause précède l’effet. Ce raisonnement cartésien est pertinent pour établir des relations entre des phénomènes simples mais se révèle inadéquat pour comprendre des phénomènes complexes comme les causes de la longévité humaine. Il est tentant de rechercher comme l’on fait les anciens une cause unique à l’allongement de la vie à travers le mythe de la fontaine de jouvence. Mais la longévité humaine résulte de facteurs multiples et intriqués. Le sens commun tend habituellement à donner à la génétique une part dominante. Pourtant Gierman et al. (2014) ont analysé le séquençage du génome de 17 hypercentenaires et n’ont trouvé aucune caractéristique génétique particulière dans cet échantillon qui pourrait expliquer leur longévité extrême alors que cette étude a détecté que deux des sujets, âgés de 110 ans, étaient porteurs d’une mutation pathogène !

Fort heureusement donc, l’être humain n’est pas déterminé essentiellement par ses gènes comme les plus récents travaux en épigénétique le montrent. Les habitudes de vie, dont l’activité, modulent l’expression des gènes en activant une enzyme, ce qui allonge les télomères qui ont pour fonction de protéger le matériel génétique. Le raccourcissement des télomères mène à la sénescence, l’apoptose ou à la transformation cellulaire oncogénique (Ornish, 2008; Cassidy et al.2010, Sun et al., 2012). Shamas (2011) citant d’autres travaux, souligne que les athlètes possèdent des leucocytes avec un haut de degré d’activité de télomérase et une réduction réduite de leurs télomères comparés à des sujets non-athlètes.

La théorie évolutionniste du vieillissement corrobore cette manière d’envisager le vieillissement. Austad (1993) a étudié deux populations d’opossums (Didelphis virginiana) séparées depuis quatre mille ans. Les uns vivent sur le continent dans l’État de Géorgie et les autres sur l’île de Sapelo. L’environnement de l’île ne comporte aucun prédateur à l’inverse de l’environnement de la terre ferme. Les opossums insulaires ont une longévité en moyenne 25% supérieure; leur longévité maximale est augmentée de 50% avec un vieillissement physiologique moindre et une progéniture moins nombreuse que chez les congénères continentaux.

Manifestement, un environnement plus favorable influence la longévité de ces petits marsupiaux américains. Le même constat peut être fait chez les animaux de compagnie qui vivent beaucoup plus longtemps dans un environnement humain protégé que dans la nature (Swynghedauw, 2009).

Il est réconfortant de savoir que nous pouvons bénéficier d’un espace de liberté et d’autonomie en adoptant des comportements favorables à la santé. C’est dans ce contexte que se soucier d’être actif et le rester est un impératif de santé et de longévité.

ll n’est pas nécessairement paradoxal de vouloir isoler un facteur responsable, en partie, de la longévité. C’est pour mieux l’identifier et en connaître l’impact sur l’allongement de la vie. Parmi les facteurs comportementaux, l’activité, au sens le plus large ne serait-elle pas un facteur crucial au maintien de la santé et de la longévité ?

De par le monde, des hommes et surtout des femmes vivent à un âge avancé et, pour certains d’entre eux, en assez bonne santé. Les observations faites par les biodémographes montrent une augmentation significative de personnes centenaires et supercentenaires (plus de 110 ans) dans le monde. Cette augmentation est de 8% par an dans les pays occidentaux alors que la population du monde croît de 1% par an (Ventiler et al. 2012).

L’espérance de vie n’est pas tout

«L’âge de la conquête de l’étendue de la vie» (Vaupel, 2001) est apparu entre 1950 et 1960 dans les pays développés et se traduit par un nombre toujours plus important de personnes qui atteignent un âge respectable.

Les Français se targuent d’avoir une des plus longue espérance de vie à la naissance au monde. En effet, l’espérance de vie en France selon INSEE est de 85,5 pour les femmes et de 79,3 pour les hommes mais quelle réalité se cache derrière les chiffres ? Comme le fait remarquer Régis Aubry (2015), Chef du service des soins palliatifs du C.H.U. de Besançon, «plus notre médecine progresse et nous permet de devenir vieux, plus on fabrique de la dépendance». L’espérance de vie en bonne santé ou espérance de vie sans incapacité (EVSI) en France en 2012 (INSEE) est de 63,8 pour les femmes et de 62,6 pour les hommes alors qu’elle est de 69,2 pour les femmes et de 71,7 pour les hommes en Suède (2010) ce qui place la France en 10e position…

Ce n’est pas le nombre croissant de personnes âgées qui est remarquable, c’est aussi qu’une petite partie d’entre elles est capable de vivre très longtemps en bonne santé et de vaquer à ses occupations !

Ce sont ces personnes qui nous intéressent ici. Les centenaires vivent dans des conditions variées. On trouve des personnes très fragiles avec des polypathologies et d’autres sans maladies particulières ni troubles cognitifs.

Selon l’Italian Multicentric Study on Centenarians (IMUSCE), les centenaires peuvent être classés en trois groupes selon leur statut psychologique, physiologique et leur autonomie. Dans le groupe A qui comprend 20% des centenaires on rencontre des personnes en bonne santé; le groupe B qui représente 34% d’entre eux ont un statut intermédiaire alors que le groupe C soit 46,6% souffre d’une mauvaise santé (Vacante et al. 2012).

En étant optimiste on peut dire, à partir de ces chiffres, que plus de la moitié des centenaires dispose d’une relative bonne santé.

Détenir les clés pour ralentir les effets délétères du vieillissement reste une préoccupation majeure. Les principales habitudes de vie concernées sont l’arrêt du tabac, la gestion adéquate du stress, une alimentation de type méditerranéen de haute valeur biologique mais de basse valeur calorique, bien dormir et pratiquer régulièrement une activité physique au sens le plus large sans oublier les activités sociales.

Alors que pour Swynghedauw (2009) les seuls traitements validés pour freiner les effets inéluctables du vieillissement sont l’exercice physique régulier et une alimentation légère pauvre en lipides saturés et en sel, il ressort des observations de centenaires et d’hypercentenaires dans plusieurs régions du monde – les fameuses Blue Zones – qu’un ensemble d’habitudes de vie assez semblables est propice à la santé et à la longévité.

Ces régions ont été baptisées ainsi parce que Michel Poulain, un démographe belge, a initialement tracé en bleu sur des cartes les zones où cette population de personnes très âgées était la plus représentée. On trouve dans ces endroits du monde une concentration inhabituelle de centenaires et au-delà et ce qui frappe c’est bien sûr leur grand âge mais aussi leurs capacités à conserver très longtemps un bon niveau d’indépendance et d’autonomie (Poulain et al. 2004).

Ces personnes vivent en Sardaigne dans la province de Nuoro, dans l’ile d’Ikarie en Grèce, dans l’archipel de Ryukyu (Okinawa) au Japon, dans la presqu’île de Nicoya au Costa-Rica et dans la ville de Loma-Linda en Californie.L’île grecque d’Ikarie a même été présentée par le New York Times en 2012 comme «l’île où les gens oublient de mourir».

Dans ces Blue Zones, ces personnes âgées et très âgées ont en commun la pratique d’une activité régulière modérée à intense tout au long de leur vie, un régime alimentaire à dominante végétale ainsi qu’une vie familiale et communautaire riche. Il faut noter que, mis à part la ville de Loma-Linda, ces endroits sont très peu médicalisés et leurs habitants ont pour l’essentiel des habitudes de vie éloignées du mode de vie occidental habituel. En outre ils bénéficient aussi d’ une qualité d’environnement particulière : climat méditerranéen ou tropical dans un environnement non pollué (Buettner, 2012).

Activité physique, santé, longévité

L’exercice physique et l’activité physique bien que très proches ne répondent pas aux mêmes définitions.

On définit l’activité physique comme n’importe quel mouvement physique produit par les muscles squelettiques qui aboutissent à des dépenses énergétiques. L’activité physique concerne les mouvements produits dans le domaine professionnel, les activités de loisir, les activités instrumentales de la vie quotidienne, les activités quotidiennes et les activités sexuelles. Quelques rares mouvements sont également présents au cours des activités de repos (sommeil, rêveries, méditation, relaxation).

L’exercice physique est un sous-ensemble de l’activité physique. L’exercice est planifié, structuré, répété et a pour objectif l’entretien ou l’amélioration de la forme physique (Caspersen et al.1985).

L’activité physique régulière réduit les risques majeurs de mortalité : hypertension, dyslipidémie, diabète de type 2, maladie coronarienne, AVC, cancer dans une proportion de 30 à 35 % et aussi pour toutes causes de mortalité par rapport à des individus inactifs (Reimers et al. 2012).Etre actif et le rester tout au long de l’existence est associé à une plus longue espérance de vie. Ne pas fumer, avoir un poids normal, disposer d’une bonne condition physique, manger sainement, consommer l’alcool avec modération procure 14 ans de vie supplémentaire par rapport à des sujets qui ne respectent pas ces habitudes de vie (Khaw et al. 2008).

Dans une étude de cohorte finlandaise des jumeaux ont été suivis et classés en individus pratiquant peu l’activité physique (sédentaires) et individus physiquement actifs. Les conclusions de cette étude suggèrent que l’activité physique est associée à une réduction de 44% de la mortalité indépendamment de facteurs génétiques ou confondants (Kokkinos et al. 2011).

O’keefe et al. (2011) émettent une hypothèse intéressante en partant du constat suivant : 84.000 générations nous séparent de l’apparition du genre homo. Les premiers hommes qui étaient des chasseurs-cueilleurs avaient une activité physique importante rendue nécessaire pour chasser, pêcher, rechercher de la nourriture, se confronter aux prédateurs, construire des abris etc. Leur génome était adapté à l’intensité de cette activité.

On considère que l’apparition de l’agriculture apparue il y a seulement 350 générations a provoqué une modification spectaculaire des comportements moteurs fortement accentuée par la révolution industrielle (7 générations) et l’âge numérique (2 générations). Ces changements, particulièrement les derniers, ont réduit l’activité physique jusqu’à l’éliminer presque complètement alors que notre génome avait mis des dizaines de milliers d’années à s’adapter.

Le profond écart entre les exigences du génome et l’activité physique contemporaine pourrait expliquer l’apparition des maladies chroniques (il en est de même par ailleurs de nos comportements alimentaires). Ces mêmes auteurs en concluent qu’il serait bon de repenser l’activité physique d’aujourd’hui à la lumière de cette hypothèse. Ils recommandent une variété d’activités physiques légères et modérées quotidiennes comme la marche (environ 5 km/jour) avec une dépense énergétique de 3.349 à 5024 kJ ce qui est environ 5 fois plus que ce qu’un sédentaire contemporain peut dépenser. À cela s’ajoutent deux fois par semaine des activités plus intenses avec port de charges.

L’activité physique devrait idéalement être pratiquée à l’extérieur en petit groupe pour bénéficier des échanges humains, de la lumière naturelle, des effets du soleil sur la peau (production de vitamine D) et si possible de la nature. L’activité sexuelle n’est pas oubliée : une demi-heure d’activité sexuelle une ou deux fois par semaine est comparable en dépense énergétique à une marche d’environ 3 km sans compter les répercussions favorables à la fois hormonales (testostérone et prolactine) et psychologiques !

Ces activités sont entrecoupées de moments de réjouissances collectives où la danse est présente et de périodes d’activités de repos (sommeil, relaxation, méditation).

Il est frappant de constater que ces recommandations correspondent d’assez près aux observations des comportements faites auprès des centenaires et des hypercentenaires dans les Blue Zones.

Vive le mouvement

Pour être protectrice l’activité physique doit être modérée durant 2 heures et demie par semaine et intense durant 1 heure quart par semaine.

Une activité physique est considérée comme modérée si on est capable de parler mais pas de chanter; elle est intense si on peut dire quelques mots sans avoir le souffle coupé.

L’activité physique participe au maintien du poids, renforce les os, les muscles, les articulations et le bien-être et agit dans la prévention de certains cancers (colorectal, sein, endomètre, poumons, prostate).

Une activité physique comme la marche rapide 75 min/semaine offre un gain de 1,8 an d’espérance de vie après 40 ans comparé à une absence d’activité. Des gains d’espérance de vie allant jusqu’à 4,2 ans sont obtenus grâce à des activités plus intenses (450 min/semaine de marche rapide) (Moore et al. 2012).

L’étude d’Ikarie a révélé que la population âgée de cette île où la longévité est exceptionnelle montre une prévalence élevée de facteurs de risques cardiovasculaires mais que l’activité quotidienne régulière sur cette île montagneuse protège des maladies cardiovasculaires, de l’obésité, de l’hypertension et du diabète de type 2. Elle a des effets bénéfiques sur l’hypertrophie ventriculaire gauche et un effet protecteur anti-arythmique surtout chez les femmes (Stefanadis, 2011).

Sur cette île, 9 hommes sur 10 et 7 femmes sur 10 maintiennent quotidiennement un niveau d’activité supérieur à celui d’une population comparée dans l’étude MEDIS qui a observé 1500 personnes de plus de 65 ans dans 8 îles grecques et à Chypre. Sur l’île d’Ikarie 6 personnes sur 10 de plus de 90 ans sont encore physiquement actives (Panagiotakos, et al. 2011).

En Sardaigne, Pes et al. (2011) ont établi que les bergers qui vivent dans les montagnes et qui, pour certains, deviennent centenaires ont toute leur vie une activité physique régulière – principalement la marche – mais moindre que celle des fermiers qui vivent dans la plaine de l’île et qui bénéficient par ailleurs d’habitudes de vie à peu près semblables. Une activité physique fréquente de faible intensité sans doute couplée à de longs moment de repos comme dans l’activité pastorale traditionnelle est garante d’une bonne santé cardiorespiratoire, facteur de longévité.

Bonne pour le mental

L’activité physique possède aussi des effets positifs pour la santé mentale et la qualité de la vie. L’activité physique régulière protège le cerveau au niveau de l’hippocampe, du cortex moteur, du tronc cérébral et du cervelet.

Chez l’individu de plus de 65 ans il s’agit toujours d’activités modérées alors que l’activité physique intense non seulement augmente le risque de fracture mais aussi de stress oxydatif et est pro-inflammatoire (Dato et al. 2013).

À l’inverse, selon l’étude de Lee et al. (2012), l’inactivité physique est responsable de 6 à 10% des maladies chroniques (diabète de type 2, cancers du sein cancer et colorectal), des maladies cardiovasculaires et de de 9% de la mortalité précoce dans le monde.

Les démences touchent en France 1,2% de la population totale et ce chiffre pourrait aller jusqu’à 3% en 2050. Plus précisément, ces maladies neurodégénératives concernent 2,9% des 64-79 ans, 7,1% des 79-84 ans et 21,6 % des plus de 85 ans (Berr, 2010). Il a été démontré que l’activité physique réduit le déclin cognitif lié à l’âge : dans les études d’intervention, l’augmentation des capacités cardiorespiratoires (estimées en VO2max) est associée à une réduction de la perte de substances grise et blanche dans le cortex frontal, préfrontal et temporal des sujets âgés étudiés. Les améliorations cognitives sont plus importantes quand l’activité physique sollicite l’attention et les fonctions exécutives mais, simultanément, les effets de l’activité physique augmentent également les cognitions indirectement en améliorant l’état de santé général (gestion du stress, sommeil) et en réduisant l’impact des maladies cardiovasculaires (Bherer,2013).

Comme l’indique l’étude de Buchman et al. (2012), un haut niveau d’activités quotidiennes est associé à un risque réduit de maladie d’Alzheimer. Il s’agit d’une association d’activités physiques, cognitives et sociales. Ce constat est indépendant de l’état moteur fonctionnel, du BMI, de symptômes dépressifs, de maladies chroniques, des risques vasculaires, etc.

À noter que les données de cette étude auprès de 716 personnes âgées ont été recueillies par actigraphieNote bas de page sur une période de 24h pendant 10 jours puis suivis à un intervalle de 3 ans et demi. Le risque de maladie d’Alzheimer était plus que doublé chez les personnes qui avaient un faible niveau d’activité.

Sur 535 individus âgés de 65 à 100 ans (moyenne d’âge 75 ans) sur l’île d’Ikarie, 472 (88%) montraient des fonctions cognitives normales. Les habitants de cette île sont très actifs et l’activité physique régulière est associée à un risque diminué de démence à cause de ses effets protecteurs sur les endothéliums vasculaires (Chrysohoou et al.2012).

Sur les îles Ryukyu (Okinawa) on trouve moitié moins de démence que dans le reste du Japon (Russ et al., 2012); les habitants de cet archipel sont également actifs jusqu’à un âge avancé.

Des bienfaits du jardinage

L’étude longitudinale de Rizzuto et al. a suivi 1810 personnes âgées de 75 ans et plus pendant 18 ans à partir d’octobre 1987. Après 75 ans, l’association entre activité physique et survie est confirmée. Elle reste prédictive de la survie, même après 85 ans, indépendamment du statut de santé (multimorbidité).

Le jardinage ou les activités apparentées sont très présentes chez les personnes âgées qui vivent dans les Blue Zones et ces activités, exercées à l’extérieur, contribuent à maintenir leur forme physique et mentale. Le jardinage comme activité physique traditionnelle allie l’activité physique modérée à intense à la production de légumes sains. Cette activité apporte aussi des effets intéressants pour la santé mentale, la qualité de la vie et les échanges humains.

Park et al. (2008) posent la question de savoir si le jardinage peut offrir aux personnes âgées des bénéfices de santé comme activité physique selon les recommandations de l’American College of Sports à savoir au moins 30 minutes d’activités modérées par jour (150 min/semaine) ou 75 minutes d’activités intenses par semaine ou encore une combinaison des deux. Les 14 sujets sains étudiés au cours de l’activité jardinage étaient âgés de 63 à 86 ans. Leur fréquence cardiaque mesurée par radiotélémétrie et la VO2 max en laboratoire sur tapis roulant était comparée à la plus haute fréquence cardiaque durant l’activité.

Les résultats montrent que le jardinage est une activité physique d’intensité modérée pratiquée en moyenne durant 60 minutes ce qui rencontre les recommandations précitées. Toutefois la saisonnalité de l’activité sous le climat du nord de l’Europe est un facteur limitant comparé au climat plus favorable des Blue Zones.

Et le ‘travail’ à domicile ?

La plupart des études se focalisent sur l’activité physique durant les exercices et les activités de loisirs mais peu sur les activités domestiques qui sont les activités principales des personnes âgées dans une grande partie de la population. Les activités domestiques contribuent pour 35,2% des dépenses énergétiques totales comparées aux 5,2% des activités physiques des personnes âgées de 65-74 ans aux USA et en Grande-Bretagne.

Elles représentent 4 à 11 fois plus de dépenses que les activités physiques de loisir. Autrement dit, cela constitue 82% de l’activité quotidienne des femmes. La mesure de ces activités dans une population de 876 personnes de 1996 à 2004 à Taiwan peut être un facteur prédictif de mortalité. Les personnes qui s’y engagent ont un taux de mortalité réduit (Lin et al. 2011). La réduction de mortalité estimée par Arrieta & Russell (2008) est de l’ordre de 34 à 38% pour des personnes âgées de 60 à 74 ans.

Rien de tel que la modération

À l’image des individus âgés observés dans les Blue zones où quasi personne ne pratique ni exercices physiques ni activités sportives, en terme d’objectifs réalistes de santé publique, il est probablement préférable d’encourager des activités physiques non structurées et simples comme la marche rapide, le vélo, le jardinage, les activités domestiques qui seront perçues comme des activités physiques à la fois accessibles et modérées et, pour certaines, perçues comme plaisantes; elles s’inscrivent facilement dans le contexte de vie des gens surtout pour des personnes sédentaires, obèses ou âgées (Shephard,1997).

Pour conclure, on peut affirmer que l’activité physique au sens large est une habitude de vie à encourager pour le maintien de la santé globale et, par là, la longévité même en présence de maladies liées au vieillissement. L’activité physique régulière est un comportement modifiable, il n’est jamais trop tard pour changer.

Il serait bien entendu réducteur de penser que l’activité physique peut à elle seule expliquer la longévité. Les facteurs mis en cause sont nombreux et en interaction. Mais l’activité physique, entre autres habitudes de vie, permet de vieillir le mieux possible. Selon le Hale Project, les personnes âgées entre 70 et 90 ans qui adhèrent au régime méditerranéen et à des habitudes de vie favorables à la santé (dont l’activité physique) ont 50% moins de risque de décéder pour toutes causes de mortalité mais aussi plus spécifiquement se protègent des maladies coronariennes, cardiovasculaires, des cancers (Knoops et al.2004).

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Webographie

L’actigraphie fait référence à l’utilisation d’actimètres, des ordinateurs semblables à des montres, qui permettent de surveiller et d’enregistrer les données relatives à l’activité. Les actigraphes permettent notamment d’enregistrer l’activité durant le sommeil de façon fiable pendant une période prolongée.