Décembre 2015 Par Christian DE BOCK Initiatives

Volontariat et emploi: frontières incertaines

La Plate-forme francophone du volontariat (PFV) est une structure pluraliste composée d’associations fédératives comme de petites et moyennes associations. Ses membres couvrent les grands secteurs de la vie associative et de l’engagement volontaire.

La Plate-forme francophone du volontariat a pour objet de susciter, faciliter et encourager la pratique du volontariat, mais pas à n’importe quel prix. Elle le voit comme un engagement libre, ouvert à tous et qui doit respecter les normes légales.

À propos de prix, la PFV a consacré son séminaire du 29 mai dernier au rapport entre emploi et volontariat. Une centaine de personnes se sont retrouvées dans le cadre convivial des installations du Bouche-à-Oreille à Bruxelles pour aborder cette question manifestement très délicate.

Animée avec autant de charme que de fermeté par Gaëtane Convent, la coordinatrice de la Plate-forme, la journée a démarré par un exposé de Dan Ferrand-Bechmann, sociologue et professeure émérite à Paris VIII sur le bénévolat (puisque c’est ainsi qu’on l’appelle en France) et son impact positif sur l’emploi dans le secteur associatif, qui occupe 2 millions de personnes chez nos voisins. Comme souvent aussi chez nous, le bénévolat français s’inscrit dans la tradition de l’éducation populaire, il était bon de nous le rappeler.

Un sujet qui fâche

Une grande partie de la matinée fut ensuite consacrée à trois ‘discussions non bornées’ sur des sujets qui fâchent (parfois):

  • le volontariat est-il un acte gratuit, défrayé ou rémunéré?
  • le volontariat deviendrait-il un ‘piqueur’ d’emploi?
  • ni volontariat, ni emploi. Alors quoi?

Dans le groupe où j’étais, le débat fut très émotionnel, à cent lieues de ce que j’imaginais naïvement au sujet de l’engagement volontaire. Sans généraliser, le témoignage d’une responsable d’un théâtre bruxellois réputé avait de quoi refroidir notre enthousiasme. Elle nous expliqua que la seule manière de s’en tirer dans le secteur culturel est de faire appel à des ‘volontaires’ dont l’unique motivation est d’obtenir un faible revenu de ce ‘travail non rémunéré’. Frustration de ne pas pouvoir faire appel à des gens correctement rétribués, mépris de cette main d’œuvre sous-payée, ignorance des nobles valeurs du volontariat, le tableau était très noir.

Heureusement, cela ne semble pas être le cas dans tout le secteur associatif et il existe encore de véritables engagements volontaires sans arrière-pensée ‘lucrative’Note bas de page dans notre pays, mais il est certain que la PFV a tapé juste en abordant sans faux-fuyants une question aussi sensible.

L’après-midi, les participants ont eu l’occasion de se remettre de leurs émotions en mettant à leur tour sur la sellette des ‘politiques’ francophones préoccupés par le volontariat et qui se sont prêtés au jeu de bonne grâce.

Campagne

‘Émile et Bertrand sont dans un bar. Le salaire tombe. Qui reste?’ Cette vidéo d’un peu plus de trois minutes est au coeur de la campagne 2015 de la Plate-forme francophone du volontariat dont elle résume les enjeuxNote bas de page. Derrière ces trois minutes, il y a des heures de discussions, de réflexions et de débats autour d’une question: quelle est la frontière entre volontariat et emploi?

Comment s’assurer que le volontariat ne pique pas l’emploi? Y a-t-il des postes ‘réservés’ à des employés et d’autres à des volontaires? Sur le terrain, on distingue facilement un emploi (avec salaire et contrat) d’une activité volontaire. Mais, avant d’engager, comment faire un choix entre les deux? Les arguments peuvent-ils être uniquement économiques? J’ai des sous, j’engage; je n’en ai pas, je cherche un bénévole?

La différence entre emploi et volontariat, c’est quoi?

Une question de motivation? Pas vraiment. Les raisons qui poussent un bénévole à s’engager peuvent être partagées par un travailleur. Il n’y a pas d’exclusivité d’un côté ou de l’autre.Une question de compétences? Non plus. Les chirurgiens qui sont bénévoles dans certaines ONG en savent quelque chose, le bénévolat n’est pas réservé uniquement aux ‘amateurs’.

Une histoire de ‘tâches’? La Plate-forme y a réfléchi. Longuement. Sa conclusion, c’est que tout métier peut être fait contractuellement ou bénévolement.

Quel sens donnez-vous à l’acte gratuit?

Pour une organisation, il est essentiel de déterminer l’apport spécifique du volontariat, au-delà de sa gratuité. Le sens du volontariat ne peut se résumer simplement. Il y a autant de ‘bonnes raisons’ de travailler avec des bénévoles qu’il y a d’organisations, voire même de projets: le temps qu’ils peuvent accorder aux bénéficiaires, leur humanité, leur liberté, leur pouvoir d’initiative, leur créativité, leur connaissance de la réalité de terrain, leur proximité sociale avec les bénéficiaires, la force de leur militance…

Si les volontaires abattent des masses de travail immenses, leur valeur réside moins dans ce qu’ils font que dans ce qu’ils sont.

Pourquoi cette campagne?

Créateur de solidarité, de lien et d’évolution sociale, le volontariat est aussi, jusqu’à présent, créateur d’emploi. Mais aujourd’hui, le contexte économique difficile pourrait changer la donne. Ce sont des appels téléphoniques, des observations, des témoignages de volontaires et de responsables d’organisations, des extraits de presse qui ont interpellé la Plate-forme.

Quand une école engage des surveillants de garderie ‘sous statut de volontariat’, quand un étudiant se déclare à la recherche d’un ‘bénévolat rémunéré’, quand une crèche privée fait appel à des bénévoles les jours où les puéricultrices sont moins nombreuses, quand, aux Pays-Bas, une maison de repos donne un logement à un jeune en échange de quelques heures mensuelles de bénévolat auprès de ses résidents, quand, en France, une ville offre des leçons de conduite contre 70 heures de volontariat…

Les exemples se multiplient. Dans certains cas, ne confond-on pas volontariat et emploi? Ne recourt-on pas au volontariat uniquement pour avoir de la main d’oeuvre bon marché?

Il n’est évidemment pas question de jeter la pierre, ni aux bénévoles, ni aux organisations. En contexte de contrainte budgétaire, comme c’est le cas depuis quelques années, conserver des emplois rémunérés est un véritable défi. En créer est encore plus ardu. Les besoins, quant à eux, sont toujours aussi présents, souvent même de plus en plus pressants. Le bénévolat a toujours été une alternative, un moyen de pallier les failles d’un système. Le problème n’est pas de recourir au bénévolat. Le problème est de recourir au bénévolat parce qu’il est une main d’œuvre gratuite, sans envisager son apport spécifique, sa plus-value pour l’organisation et pour le projet. Le bénévole ne doit pas être considéré comme un employé sans salaire.

La Plate-forme francophone du volontariat appelle donc les associations et le monde politique à être attentifs: le volontariat, acte essentiel de solidarité gratuite, ne doit pas remplacer l’emploi.

Plate-forme francophone du volontariat, Place l’Ilon 13, 5000 Namur (tél.: 081 31 35 50) et Rue Royale 11, 1000 Bruxelles (tél.: 02 512 01 12). Courriel: info@levolontariat.be. Internet: www.levolontariat.be.

On ne jettera pas non plus la pierre à ceux qui doivent utiliser ce pis-aller pour boucler tant que faire se peut leurs fins de mois.

Visible sur le site www.levolontariat.be, sur la page Facebook de la Plate-forme et sur YouTube.