Mai 2009 Par P. CORNUT G. LAFONTAINE Dossier

Le concept de développement durable est classiquement représenté par l’équilibre entre trois pôles: l’environnement, l’économique et le social. Les liens bilatéraux entre ces pôles ont déjà fait l’objet d’attentions, mais de façon variable. D’abord, le lien entre économie et environnement a été abondamment étudié et commenté depuis au moins une bonne quarantaine d’années. Ensuite, le lien entre économie et social renvoie à une très longue tradition (au moins depuis la révolution industrielle) d’étude, de débat et d’action publique sur la création et la distribution de la richesse et les inégalités socio-économiques qui en découlent. Enfin, le lien entre social et environnement est étudié depuis peu de temps et surtout, il reste essentiellement cantonné dans la sphère scientifique et déborde assez peu dans le débat public.
Le terrain n’est pas vierge pour autant: on recense l’hygiénisme des XIX-XXe siècles et depuis la fin du XXe siècle, la justice environnementale (aux USA essentiellement), l’approche géographique urbaine et la political ecology .
Ces approches sont néanmoins assez spécialisées et n’émergent guère dans le débat public. Récemment, l’écologie sociale ou les inégalités écologiques ont cependant trouvé un nouvel écho dans nos sociétés contemporaines, ce qui peut probablement s’expliquer par trois facteurs. D’abord, si le débat environnemental a été essentiellement porté depuis plus de 30 ans par la classe moyenne, les politiques de développement durable atteignent désormais toutes les sphères de la société et toutes les classes sociales. Ensuite, les partis de gauche et les syndicats se mêlent de ce débat émergent ou du moins, comprennent qu’ils ont tout à perdre à rester en dehors. Ils se l’approprient donc, soit pour conserver leur électorat, soit pour protéger l’emploi des travailleurs de nouveaux dangers ou contraintes. Enfin, le développement durable n’a guère de sens sans son sommet ‘social’, ce que ne peut nier la classe moyenne, c’est-à-dire la classe sociale qui porte l’environnement, du moins lorsque les mouvements de gauche lui font remarquer.
Le lien entre les inégalités sociales et l’environnement peut se décliner selon trois cas.

Les impacts de l’homme sur l’environnement, générés de manière socialement différenciée

Par exemple, concernant les impacts de l’homme sur l’environnement, on constate qu’il vaudrait peut-être mieux, pour l’environnement, être pauvre et mal informé que riche et conscientisé. En effet, diverses statistiques permettent d’observer dans les pays développés trois corrélations positives entre:
-la sensibilité aux problèmes environnementaux et le niveau d’étude des individus;
-le niveau d’étude des individus et leurs revenus;
-le revenu des individus et l’importance de leur impact sur l’environnement (empreinte écologique) (Dozzi et al, 2008).
Ainsi, d’un point de vue statistique, plus nous sommes riches, plus notre impact sur l’environnement est important (cylindrée de voiture, km parcourus, consommation d’espace, consommation de viande…), et ce, même si nous sommes mieux conscientisés à la problématique de l’environnement et que nous adoptons des comportements ‘écologiques’ (ampoules électriques économes, choix d’électroménager ou de voiture moins consommateurs, isolation du logement, etc.). Il suffit peut-être, pour en donner un exemple frappant, de rappeler qu’en France, 5 % des individus produisent 50 % des émissions de gaz à effet de serre dues aux déplacements touristiques (CCEE, 2008).

Les impacts de l’environnement sur l’homme, subis de manière socialement différenciée

Quant aux impacts de l’environnement que l’homme subit, on reconnait qu’ils sont corrélés au statut social, via par exemple, le prix du foncier. On se loge où on peut: moins on a de ressources, plus on se localise dans des quartiers où l’environnement est perçu comme étant de moindre qualité. Cette observation est corroborée par deux études réalisées en Belgique (Dozzi et al, 2008; Debosere & Fizsman (in Cornut et al . 2007)). Cependant, selon une étude menée par Audrey Smargiassi de l’Université du Québec à Montréal qui portait sur les risques liés à l’air et à la chaleur, il y aurait parfois une justice. Ainsi, les pauvres résidant dans cette ville ne seraient pas nécessairement plus exposés que les riches à ce type de pollution. Par contre, à risque égal, les effets seraient plus importants chez les pauvres qui combinent l’exposition aux polluants à leur état général de pauvreté.
Une autre étude menée par Omar Cissé de l’Institut africain de gestion urbaine portant sur la valorisation des déchets à Dakar, Sénégal, et en particulier sur la situation des récupérateurs de déchets dans les décharges, nous informe sur différents types d’«impacts subis» à prendre en compte lors de nos analyses. Par exemple, bien que les récupérateurs de la décharge de Mbeubeuss vivent pour la plupart au-dessus du niveau de survie, ils sont exposés sans aucune protection à des risques chimiques (produits dangereux), mécaniques (accidents), biologiques (virus, bactéries, plomb), respiratoires, et ressentent une dévalorisation sociale de leur activité.

Les politiques environnementales, socialement différenciées ou indifférenciées

Enfin, les politiques environnementales ne tiennent pas souvent compte des inégalités sociales: ce qui est bon pour l’environnement n’est pas nécessairement bon pour tout le monde. Par exemple, réduire les gaz à effet de serre est une politique qui bénéficie à l’ensemble de la planète.
Mais, comme n’importe quelle politique sectorielle, les politiques environnementales ont des répercussions financières qui se répartissent équitablement, ou non, sur les populations. L’exemple des primes octroyées aux ménages belges qui investissent dans des panneaux solaires photovoltaïques est éloquent. Seuls les ménages aisés peuvent se permettre l’investissement (env. 30.000€) qui, grâce aux primes (env. 10.000€), est amorti en 5 ans, au-delà desquels les panneaux rapportent de l’argent net à ces ménages. En termes économiques, il s’agit de privatisation de bénéfices générés par des investissements publics, au profit des ménages les plus aisés.
Au-delà de ces trois déclinaisons et des exemples qui les illustrent, les débats et travaux mettent en évidence l’état de crise environnementale majeure dans lequel la planète se trouve aujourd’hui, tant aux points de vue global que local. Cette crise n’en étant qu’à ses prémices, et les pauvres étant généralement plus fragilisés et plus exposés, la problématique des inégalités écologiques ne peut que s’aggraver à l’avenir…
Pierre Cornut , Ph. D., Université libre de Bruxelles, Belgique, Ginette Lafontaine , M. Sc., Agence de la santé et des services sociaux de la Montérégie/Direction de santé publique, Québec, Canada

Ont également contribué à cet atelier intitulé Réduire à la fois les problèmes environnementaux et les inégalités sociales de santé , est ce possible ?, présenté le 17 novembre 2008 dans le cadre de la Rencontre francophone internationale sur les inégalités de santé:
Oumar Cissé , Ph. D., Institut Africain de Gestion Urbaine, Sénégal; Audrey Smargiassi , Ph. D., chercheure et toxicologue, Centre de recherche Léa-Roback et Institut national de santé publique du Québec, Canada; Louise Vandelac , Ph. D., Département de sociologie et Institut des sciences de l’environnement, Université du Québec à Montréal et chercheure, Centre de recherche interdisciplinaire sur la biologie, la santé, la société et l’environnement (CINBIOSE), Centre collaborateur de l’OMS et de l’OPS, Québec, Canada.

Références

Cisse O. (2008) ‘Valorisation des déchets à Dakar et inégalités sociales’, présentation faite aux JASP 2008 , Québec.
Commission des Comptes et de l’Économie de l’Environnement (2008) Aspects sociaux des politiques environnementales , La Documentation française, Ministère de l’Écologie, du développement et de l’aménagement durables, 120p.
Cornut P, Bauler T & Zaccai E (2007) Eds, Environnement et inégalités sociales , Éditions de l’ULB, 218p.
Cornut P (2008) ‘Environnement et inégalités sociales’, présentation faite aux JASP 2008 , Québec.
Dozzi J, Lennert M, Wallenborn G. (2008) «Inégalités écologiques, analyse spatiale des impacts générés et subis par les ménages belges», Espace Populations Sociétés , 2008-1, pp127-143.
Smargiassi A. (2008) «L’influence des inégalités sociales sur les risques associés à la pollution de l’air et à la chaleur à Montréal», présentation faite aux JASP 2008 , Québec.