L’action en vue de réduire les inégalités sociales de santé et favoriser un développement durable ne peut être le fait d’un seul secteur de la société. Comment peut-on combiner les atouts et les compétences de multiples acteurs pour avoir une action efficace?
Le milieu local offre un ancrage privilégié où s’entrecroisent diverses légitimités et capacités d’action: celles des élus municipaux, des services publics décentralisés, des organismes de développement local, du milieu communautaire ou associatif et des porte-parole de la population. Les interactions entre ces acteurs ne sont pas dénuées de concurrence, d’où le défi de connaître et mettre à profit le potentiel et les responsabilités des divers acteurs et réseaux locaux dans le but de développer des solutions nouvelles. Des initiatives issues du milieu local montrent que le travail en partenariat peut aboutir à des combinaisons entre les savoirs et les capacités d’action des uns et des autres pour mobiliser la population et influencer les pouvoirs publics de façon à réduire les inégalités sociales de santé.
Quelques leçons de ces expériences
Le travail en partenariat appelle un changement de pratique pour les intervenants de santé publique , d’un rôle de programmateur à un rôle de facilitateur ou de «traducteur» entre savoirs profanes et experts. Le partenariat entre institutions et collectivités locales s’inspire des méthodes de promotion de la citoyenneté qui impliquent une transformation des rapports de pouvoir. Ce travail requiert de la part des intervenants des compétences psycho-sociales et d’animation de groupe pour faire émerger des stratégies avec les divers acteurs et la population concernée.
La participation citoyenne repose sur la création d’espaces d’expression où chaque personne est reconnue à travers le savoir dont elle est porteuse. Elle implique une approche collective et ascendante face aux pouvoirs publics. L’expérience des ateliers ‘santé et citoyenneté’ réalisés par l’Université du citoyen au centre-ville de Marseille a favorisé une participation dépassant la consultation, ce qui a permis aux résidents d’obtenir plus d’informations sur les ressources locales, de partager leurs connaissances, de nouer de nouvelles solidarités et de développer leurs compétences individuelles et collectives.
Une démarche de développement des collectivités en santé dans la région de Recife au Nord-Est du Brésil a misé sur une méthodologie affirmative qui s’appuie sur des petites actions ayant le potentiel de changer le quotidien avec les gens concernés. Ces expériences locales ont servi de base à la formation des promoteurs de villes santé, pour leur apprendre à négocier avec les pouvoirs publics, afin d’assurer la durabilité de la démarche.
Une mobilisation pour la relance économique en Estrie, une région semi-urbaine du Québec frappée par des fermetures d’entreprises et des pertes massives d’emplois, montre que la participation citoyenne doit être bien préparée autour de thèmes précis, traités en ateliers ou en petits groupes, dans le but de construire des perspectives de solutions qui font consensus, plutôt que de se limiter à une tribune libre où chaque personne exprime ses doléances. Une telle démarche exige de bien documenter la situation dès le départ en s’appuyant sur l’analyse des enjeux et des ressources du milieu, incluant son «capital social» pour identifier les leaders ainsi que les défis et les potentialités. Dans tous les cas, le maintien de la participation citoyenne nécessite un soutien significatif aux participantes et participants, une communication transparente et constante avec un plan stratégique crédible assorti d’une reddition de compte régulière à la population.
Les représentants politiques doivent être interpellés bien que ce ne soit pas toujours simple, car les démarches citoyennes suscitent la méfiance de certains élus. Les initiateurs du partenariat doivent reconnaître la légitimité des élus et miser sur leurs intérêts particuliers et leur volonté d’agir pour les convaincre qu’ils ont intérêt à écouter la population et qu’un partenariat bien mené peut apporter une valeur ajoutée dans leurs décisions et leurs démarches. De plus, il faut donner une visibilité au soutien des élus, surtout s’ils apportent une contribution concrète à l’atteinte des résultats visés, telle que la réduction des inégalités sociales de santé.
La concertation avec les élus doit aussi tenir compte des enjeux de pouvoir entre les divers paliers de gouvernement. L’expérience québécoise s’est appuyée sur un comité de stratégie regroupant tous les niveaux de la décision publique sous leadership d’une instance régionale, le Centre local de développement.
Au Brésil, l’expérience a permis de distinguer les actions qui peuvent être réalisées par la population dans les quartiers et les associations locales sans avoir besoin d’une intervention des élus (niveau micro); celles où la décision politique et la concertation sont nécessaires et qui appellent chez les participants des compétences de prise de parole, de promotion des besoins et de négociation avec les gestionnaires (niveau méso); et les stratégies requises pour influencer les décisions et les politiques publiques (niveau macro). Dans ce cas, il importe de prévoir des mécanismes de passage pour favoriser l’articulation entre ces divers niveaux.
L’évaluation de l’efficacité des partenariats peut combiner à la fois des preuves pratiques et des analyses plus systématiques . Des indicateurs de réussite doivent être établis au départ et s’appuyer sur une vision partagée du développement souhaité, bien que l’appréciation des résultats dépende du point de vue des différents acteurs. Toutefois, il faut souligner qu’une évaluation systématique aide à susciter l’attention des politiciens.
Pour les Ateliers ‘santé ville’ à Marseille, une évaluation externe s’appuyant sur un outil proposé par Promotion Santé Suisse a montré que l’action a eu un impact important sur les compétences individuelles des résidents et sur le climat social, mais moindre sur l’offre de services du fait de la non prise en compte des propositions par les centres de services concernés.
Au Brésil, une évaluation externe a permis de compléter des preuves pratiques, comme l’existence d’un plan directeur municipal en santé et la mise en œuvre de projets locaux développés avec l’appui des élus.
Au Québec, un plan de développement social sur dix ans combine la mobilisation du milieu, des initiatives de développement économique durable et des interventions de soutien à la communauté face aux fermetures d’entreprises et aux pertes d’emplois. Après quelques années, les premiers effets se font déjà sentir avec la récupération du niveau d’emploi perdu, une première croissance démographique constatée et le succès d’une formation à l’entrepreneuriat pour dynamiser un tissu commercial encore fragile.
Le travail en partenariat peut contribuer au renouvellement des pratiques de planification et d’intervention en vue de réduire les inégalités sociales de santé. Il mise sur la valorisation des différents savoirs et la cohabitation des intérêts dans la recherche de solutions. Cette approche appelle un élargissement de l’expertise des professionnels de santé publique, basée sur l’analyse des problèmes et des solutions ainsi que vers des compétences stratégiques fondées sur la connaissance du contexte et des acteurs, ces derniers devant être appelés à s’engager dans la mise en œuvre des solutions.
Jocelyne Bernier , M. Sc., Chaire approches communautaires et inégalités de santé, Université de Montréal
Ont également contribué à cet atelier intitulé Les partenariats entre institutions et collectivités locales : comment agir ensemble ?, présenté le 18 novembre 2008 dans le cadre de la Rencontre francophone internationale sur les inégalités sociales de santé:
Mario Morand , Centre de santé et de services sociaux des Sources, Québec, Canada; Hugo Tiffou , Atelier Santé Ville de Marseille Centre-ville, France; Ronice Franco de Sa , Centre de santé publique et de développement social de l’Université fédérale du Pernambuco, Brésil; Valérie Lévy – Jurin , Réseau français des Villes Santé OMS, France; Angèle Bilodeau , Agence de la santé et des services sociaux de Montréal/Direction de santé publique, Québec, Canada; Catherine Jones , Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé, Paris, France.