L’autonomie du patient à l’épreuve du soin
Le respect de l’autonomie de la personne est l’un des quatre piliers de la bioéthique contemporaine. Un pilier quelque peu instable pour ne pas dire branlant dès lors qu’il est exposé aux pratiques de soin et à la réalité de certaines situations cliniques. Dans un ouvrage français publié début 2015, universitaires, soignants et associations de patients mêlent leurs voix pour éprouver la solidité d’un concept à géométrie variable, tout aussi puissant que fuyant.Sur la couverture ivoire du livre figurent les noms de ses treize auteurs classés par ordre alphabétique. Seuls manquent à l’appel ceux des associations dont les témoignages ont été écrits à plusieurs mains et sont rassemblés dans la dernière section baptisée ‘Paroles de citoyens’.Toutes ces contributions ont été rédigées à la suite d’une journée d’étude pluridisciplinaire organisée en 2013 par la Consultation d’éthique clinique du CHU de Nantes (France). L’intitulé de la rencontre est devenu le titre de l’ouvrage : L’autonomie à l’épreuve du soin. Pour une épreuve, c’est une épreuve qui consiste à cerner, en théorie mais aussi et surtout en pratique, ce qu’est l’autonomie de la personne et quelle est la place qui lui est accordée aujourd’hui dans le cadre singulier d’une relation de soin.Quand une femme souhaitant accoucher sous X se heurte à la maternité aux tentatives de l’équipe pour la convaincre de ne pas abandonner son enfant. Quand un vieil homme refuse de faire les examens nécessaires aux médecins pour savoir de quoi il souffre et pouvoir le soigner. Quand un patient accepte le remplacement de son coeur à bout de souffle par une prothèse mécanique, traitement expérimental dont on ne connaît pas l’évolution à long terme. Quand une femme engagée dans un protocole de procréation médicalement assisté décide seule de le modifier pour s’éviter un énième échec. Quand un couple se rend à l’étranger pour avoir recours à la gestation pour autrui, faute d’une législation favorable dans son pays.
“Voilà au moins pour le principe”
Les contributeurs ne sont pas dupes. Pour dessiner les contours et les reliefs de l’autonomie du patient, ils savent qu’ils n’ont pas d’autre choix que de tourner autour du pot, apportant leur pierre à l’édifice collectif qui est le seul qui vaille. Chacun y va donc de son éclairage singulier sur ce principe équivoque et polysémique, convoquant, qui la philosophie, l’éthique ou le droit, qui son expérience de soignant ou de patient. “Etre autonome, c’est se déterminer soi-même, et n’importe quel étudiant frotté de Rousseau ou de Kant sait qu’ ‘obéir à la loi qu’on se donne à soi-même est liberté’. Voilà au moins pour le principe”, avance, prudent, le philosophe Pascal Taranto.“L’autonomie est la capacité de la personne à choisir sans se laisser dominer par une autorité extérieure ou une tendance naturelle”, affirme le professeur de médecine Jacques Dubin. “Alors que la loi s’inscrit dans une vision collective de l’organisation sociale, l’autonomie renvoie à la décision individuelle face aux autres décisions, en particulier celles du collectif”, souligne Denis Berthiau, spécialiste de législation biomédicale.“L’individu autonome agit librement en accord avec un projet qu’il a lui-même choisi, comme le fait un gouvernement indépendant qui administre ses territoires et met en place ses politiques”, rapporte le philosophe suisse Bernard Baertschi citant un extrait des Principes de l’éthique biomédicale, avant de s’aventurer un peu plus loin : “L’autonomie est un concept en faisceau (…) Mais ce faisceau est suffisamment bien lié pour qu’il évoque une famille de notions somme toute assez précise. Je risque la liste suivante : indépendance, liberté, souveraineté, autorité, identité, authenticité, agentivité, contrôle, vie privée, capacité à décider, réflexivité et pensée critique.” Vous reprendrez bien un peu votre souffle avant de poursuivre?
Une priorité absolue?
L’autonomie du patient n’a jamais été aussi plébiscitée qu’aujourd’hui, époque où il est majoritairement admis qu’il faut la respecter et qu’il est légitime, en tant que patient, de la faire valoir. Elle est un pré-requis à la capacité d’opérer un choix libre, notamment celui de consentir ou de refuser un traitement ou un examen de santé.Sabrez l’autonomie d’un individu et c’est toute la valeur de son consentement qui s’effondre alors que celui-ci est au coeur de l’éthique médicale et de son paradigme actuel : la co-construction de la décision médicale. Le paternalisme médical si longtemps dominant est aujourd’hui dépassé, rappellent les auteurs à plusieurs reprises. Reste que pour prendre part à la décision médicale, il faut en connaître les tenants et les aboutissants, autrement dit disposer des faits et avoir conscience des enjeux et des conséquences des choix qui s’offrent à nous.L’information joue à cet égard un rôle déterminant. La loi française impose qu’elle soit suffisamment claire et adaptée pour que le patient puisse exercer sa liberté de jugement et de décision. Le médecin est tenu de faire le nécessaire pour la lui délivrer. Cette information-là est un droit, que chacun peut choisir d’exercer ou pas, pour savoir ou au contraire rester dans l’ignorance de tout ou partie de son état de santé. Il en va là aussi de son autonomie.Dans le chapitre qu’il signe, le Dr Grégoire Moutel met en garde contre les écueils et les dérives d’une autonomie qui donnerait en toutes circonstances la priorité aux choix individuels. “Une société qui reconnaîtrait à chaque individu un droit de n’en faire qu’à sa guise dans ses choix de santé serait une société qui oublierait que la médecine appartient au domaine du bien commun, régi par des valeurs et des règles collectives établies au fil du temps”, souligne-t-il. Une telle société “pourrait in fine être déresponsabilisante, retirant à la collectivité et aux professionnels la possibilité d’agir selon des arguments validés collectivement.”Sur toutes ces tensions qui accompagnent la montée en puissance de l’autonomie du patient, le livre fournit de précieux éléments de réflexion puisés tout autant dans les sciences humaines que dans la réalité des situations cliniques et des expériences vécues autour de la gestation pour autrui, de la procréation médicalement assistée, de la fin de vie, du don d’organe, du handicap sévère ou de l’accouchement sous X.Une fois le livre refermé, reste la sensation inconfortable de ne plus trop savoir ce qu’est l’autonomie et de nager dans le doute. Vous pensiez l’attraper et voilà qu’elle vous glisse entre les doigts, plus insaisissable que jamais. Alors on commence à comprendre ce qu’est l’éthique médicale et dans quel brouillard ceux qui la pratiquent cherchent leur chemin.L’autonomie à l’épreuve du soin, ouvrage collectif sous la direction de Guillaume Durand et Miguel Jean, éd. Cécile Defaut, 2015.
Tom Beauchamp et James Childress, Principes de l’éthique biomédicale, Éd. Les Belles Lettres.