Alors qu’il vient d’accéder à l’indépendance le 9 juillet dernier, le Sud-Soudan affiche le taux de mortalité maternelle le plus élevé au monde et le pays manque cruellement de personnel médical qualifié.
Indépendant depuis le 9 juillet dernier, le Sud-Soudan, majoritairement rural, va sans doute allonger la liste des pays les plus pauvres de la planète.
Ravagé par plus de 20 ans de guerre civile entre le Nord et le Sud, le Sud-Soudan manque cruellement d’hôpitaux et de personnel médical. Le taux de mortalité maternelle (2 054 décès pour 100 000 naissances) y est l’un des plus élevés au monde, si pas le plus élevé, et un enfant sur sept n’atteint pas son cinquième anniversaire.
Actuellement, moins de 15 % des naissances se déroulent en présence de personnel qualifié. Pourtant, la plupart des causes de mortalité maternelle pourraient être gérées par une sage-femme. «Beaucoup de femmes rechignent à venir à l’hôpital, ou en sont empêchées par leur mari» , déplore Laura Latina , une sage-femme italienne qui dirige la maternité de l’hôpital Médecins sans frontières à Gogrial, une petite ville située à 560 km au nord de la capitale Juba. «Généralement, elles travaillent à la maison et aux champs jusqu’au terme de la grossesse. La famille fait alors appel à une accoucheuse traditionnelle. Mais, même si elle a de l’expérience, elle n’est ni formée ni équipée pour faire face à des complications. Et quand les choses tournent mal, comme il n’y a pas d’hôpital à proximité, il est souvent trop tard» , ajoute-t-elle.
Le centre de soins de MSF, ouvert en décembre 2009, est la seule facilité médicale accessible pour plus de 200.000 personnes vivant dans les environs. Il dispose d’un service d’hospitalisation, d’une maternité et dispense des soins chirurgicaux d’urgence. La fréquentation croissante de la maternité et du centre de soins prénataux montre cependant que les habitudes sont en train d’évoluer. «J’ai eu mes quatre premiers enfants à la maison» , témoigne Akuel Chuei , dont le ventre rond est dissimulé sous une robe traditionnelle. «Mais des personnes que je connais sont venues à l’hôpital et ont été contentes des soins qu’elles ont reçus. Alors, je me suis dit que cette fois, j’allais essayer» , confesse-t-elle.
En 2010, l’hôpital a mené 7000 consultations prénatales, soit une moyenne mensuelle de 583 patientes. «C’est un grand changement. Avant, les femmes ne recevaient tout simplement aucun soin» , se réjouit le docteur sud-africain Prinitha Pillay , qui coordonne l’équipe médicale. «Mais il faut encore améliorer l’information. Pour l’instant, la plupart des patientes ne viennent pour un premier examen qu’au cours des derniers mois de grossesse. À ce moment, il arrive qu’une infection se soit déjà installée» , explique-t-il.
Autre obstacle: les femmes enceintes doivent parcourir de longues distances à pied pour se rendre à la maternité. «Certaines accouchent sur la route» , dit Laura Latina. Selon elle, une solution serait de proposer des maisons d’attente aux femmes qui présentent des complications ou à celles qui habitent loin d’un hôpital. «Elles pourraient y être accueillies pendant les semaines qui précédent l’accouchement, avec leurs enfants, et recevoir les visites de la famille » .
Une solution idéale mais sans doute encore loin d’être généralisée dans les hôpitaux sud-soudanais, réduits en ruines par la guerre. Actuellement seuls 3,7 % du budget sont consacrés à la santé. «Le manque de moyens pose de vrais défis en terme de développement des infrastructures, mais aussi en ce qui concerne les salaires du personnel médical» , reconnaît Janet Michael , chef du département Nursing and Midwifery du Ministère de la Santé. «Une sage-femme communautaire qui travaille dans un hôpital public ne gagne que 300 livres environ (78 euros) par mois. La plupart pratiquent donc des accouchements à domicile pour arrondir leurs fins de mois. Quand la stabilité sera revenue au Sud-Soudan, nous ne dépenserons plus autant pour la sécurité du territoire. Et cet argent pourra être consacré à des secteurs comme la santé ou l’éducation. Mais cela prendra beaucoup de temps… Il nous faudra peut-être 50 ans pour rattraper notre retard» , avoue Janet Michael.
Premier pas dans la bonne direction, au mois de mai, quarante étudiants ont achevé la première année d’un cursus de trois ans au sein de la toute nouvelle école d’infirmières et de sages-femmes de Juba. Financée par l’UNFPA (United Nations Population Fund) et l’OMS, cette formation est la première de ce type au Sud-Soudan et débouchera sur l’attribution d’un diplôme en conformité avec les standards internationaux.
Tisarina Mesko , qui se destine au métier de sage-femme, a eu la chance de suivre des études en Ouganda et est déjà infirmière. Après une première expérience professionnelle à l’hôpital de Nimule, près de la frontière ougandaise, elle a décidé, à 30 ans, de retourner sur les bancs de l’école. «J’ai réalisé que permettre aux femmes d’accoucher dans de bonnes conditions était un des défis majeurs pour le Sud-Soudan. Dans l’hôpital où j’ai travaillé, il y avait des infirmières, mais pas de sages-femmes» , raconte Tisarina. «Et nous avons perdu plusieurs patientes, parce que nous ne savions pas gérer un accouchement difficile et qu’il n’y avait pas de médecin disponible. Or, si l’on veut que les futures mères se rendent dans les hôpitaux pour accoucher, il faut leur offrir un service de qualité, ce qui fera la différence avec un accouchement traditionnel au village» , conclut-elle.
Patricia Huon , Infosud Belgique