La tradition de la philosophie britannique a coutume de faire la distinction entre deux sortes de libertés. Les premières sont dites ‘positives’, et correspondent aux droits dont tout un chacun peut se prévaloir dans une société donnée. Dans une société démocratique, ces droits devraient tendre à être à peu près identiques pour tout le monde, en vertu du principe d’égalité. Les secondes sont dites ‘négatives’ et désignent les espaces, réels ou métaphoriques, au sein desquels un individu est assuré de n’être pas contrarié par quiconque dans ses actions. L’évolution des sociétés modernes a favorisé le développement des premières au détriment des secondes. Les unes ne vont cependant pas sans les autres. Réclamer l’exercice de droits alors que l’on fait l’objet de contrôles sociaux croissants risque fort de vider ces droits de toute substance.
Dans le domaine de la santé, sans doute est-il légitime de prôner le droit à un ‘égal accès aux soins’, notamment grâce à des dispositifs de sécurité sociale, dont je serais l’un des premiers à proclamer qu’ils doivent être soigneusement préservés. Mais si la médecine, pour l’appeler ainsi, se mêle d’assortir ce droit d’un centre qui lui serait cette fois réservé de contrôler la légitimité du recours aux soins, en rendant responsables les individus qui n’auraient pas respecté certaines contraintes du corps et de l’esprit des dysfonctionnements du système, par exemple de son surcoût social, reste-t-on dans un régime qui protège correctement l’usage des libertés négatives? Si certains comportements peuvent se révéler néfastes pour autrui (conduire une voiture en état d’ivresse), d’autres ne le seraient, et cela reste souvent à prouver, que pour l’individu lui-même. Au moment où le mot d’ordre est de se ‘trouver bien dans sa peau’, il y a là de délicats équilibres à trouver, ce dont le soin ne peut être laissé aux seuls ‘professionnels de la santé’.
Claude Javeau , Professeur à l’Institut de sociologie de l’ULB