‘Corps étranger’ a obtenu le Premier prix de la session ‘Alimentation et santé’ au récent Festival ImagéSanté de Liège. Il ne s’agit pas seulement du portrait d’un jeune garçon obèse qui décide de se faire placer un anneau gastrique. Ca, c’est juste le cadre, le prétexte même.
Ce beau documentaire est bien plus que cela : il s’agit d’un moyen métrage porteur d’un réel message d’espoir, bien malgré Arnaud, le principal protagoniste du film et le réalisateur Christophe Hermans, tous deux très modestes quand on aborde avec eux la portée de leur travail.
‘Corps étranger’ montre comment Arnaud – un jeune homme d’une vingtaine d’année et 177 kilos – se réapproprie ce corps qui est devenu de moins en moins le sien depuis le décès de sa mère. En décrochage scolaire, reclus dans sa chambre, il a pris des dizaines de kilos. L’ambiance familiale avec son père est tendue et seule sa grand-mère lui accorde un peu d’écoute.
La séquence d’ouverture – le corps d’Arnaud nu, énorme, omniprésent – nous fait craindre un de ces documentaires un peu voyeurs qu’on regarde entre fascination et rejet. Et puis ce corps entre en mouvement, prend vie sous nos yeux et même s’il reste bien le fil conducteur du film, on l’oublie pour accompagner Arnaud, pour partager sa vie, ses galères et son désoeuvrement, ses joies et ses espoirs, ses échecs, sa grande lucidité, sa détermination à devenir autonome. Et c’est finalement son humanité qu’on trouve énorme.
Une vraie et belle réussite. Nous avons rencontré son réalisateur et son principal protagoniste.
Éducation Santé : Dans ‘Corps étranger’, il apparaît clairement que plus votre corps devient lourd, plus il perd de sa réalité pour vous. Cela peut sembler paradoxal, non ?
Arnaud : Oui, c’est exactement le sentiment que j’avais. Suite au décès de ma maman il y a quelques années, j’ai complètement arrêté mes études et je me suis réfugié à la fois dans la solitude et dans la nourriture. Je ne sortais plus beaucoup, je traînais toute la journée, sans but précis à part manger, manger tout le temps, sans réfléchir. Je suis monté jusqu’à quasiment 185 kilos, à 20 ans c’est considérable. Et plus je devenais «important», en masse et en volume, plus je devenais insignifiant, à mes yeux d’abord et socialement ensuite.
Cette opération et le régime qui a suivi ont été les éléments déclencheurs qui m’ont permis de reprendre en main non seulement ce corps dont je m’étais détaché petit à petit, mais aussi, avec lui, ma vie. J’ai repris confiance, j’ai pris mon envol et j’ai emménagé dans mon propre appartement, j’ai cherché du travail et ça va mieux avec mon père. Ce n’est pas encore une relation hyper conviviale mais il y a du mieux !
ES : On comprend assez vite à la vision du film qu’on ne regarde pas un simple reportage sur l’opération d’un jeune homme atteint d’obésité morbide. Comment avez-vous construit ‘Corps étranger’ ?
Arnaud : C’est moi qui ai contacté Christophe pour lui proposer de suivre mon opération. Mon but était d’abord on ne peut plus terre-à-terre : je voulais montrer à mes amis – et pourquoi pas à d’autres – que c’était possible de perdre tout ce poids, je voulais garder une trace de ces quelques jours tournant autour de l’opération. Et puis, de manière plus irrationnelle, ça me donnait l’impression de ‘maîtriser’ l’opération.
Christophe Hermans : En discutant avec Arnaud, j’ai assez vite compris qu’il y avait matière à proposer plus que le récit d’une opération de bypass et du régime qui suit l’intervention ! Ce n’est que le point de départ qui permet de raconter bien plus sur ce garçon attachant et sur ses relations familiales et sociales.
C’était pour moi une chance d’arriver dans l’histoire d’Arnaud à un moment charnière de son histoire, un moment où il se transforme réellement, bien au-delà du corps, et reprend petit à petit sa vie en main. On me dit régulièrement que ‘Corps étranger’ est un reportage très vivant… C’est peut être parce que la narration s’est vraiment construite au fur et à mesure des semaines où nous avons suivi Arnaud, et du rapprochement de plus en plus personnel entre lui et nous, l’équipe du reportage.
ES : Le propos de ‘Corps étranger’ dépasse quand même l’histoire personnelle d’Arnaud, non ?
Christophe Hermans : Oui, évidemment, au-delà du parcours individuel, j’ai aussi cherché à aborder l’obésité d’un point de vue plus général, grâce aux témoignages de différentes personnes qui ont accompagné Arnaud : les médecins, la psychologue qui le suivait, sa grand-mère (de qui il est si proche) et ses amis, d’autres patients du centre d’amaigrissement qu’il a fréquenté, etc. J’ai apparemment réussi à concilier les deux angles: raconter une histoire personnelle et lui donner un écho plus ‘universel’, notamment en intégrant volontairement, de manière prégnante, les liens et les rapports humains qui se tissent autour d’Arnaud.
ES : Et maintenant, pour vous, Arnaud, la page de l’obésité est définitivement tournée ?
Arnaud : Non car dans un coin de ma tête, je reste un obèse, d’ailleurs, pour moi, l’obésité morbide est comme une maladie chronique. Je sens bien que je peux ‘retomber’ à tout moment, si je perds pied un jour ou si je relâche l’attention que je porte maintenant à mon rapport à la nourriture. J’ai aussi gardé certains réflexes, par exemple m’écarter beaucoup plus que nécessaire quand je dois passer entre deux chaises, comme si mon corps occupait toujours le même volume. De toute façon, pour être franc, mon corps lui-même me le rappelle aussi car j’ai toujours la peau distendue, comme si je portais un sac de peau vide en permanence. Je vais d’ailleurs me faire opérer dans les semaines à venir pour en retirer une bonne partie. Ce sera une bonne chose et ça m’aidera vraiment à tourner la page. Mais pas à refermer le livre.
‘Corps étranger’, un film de Christophe Hermans, Belgique, 2011, 52’. Le DVD est disponible à la Médiathèque de la Communauté française.
Simon Trappeniers