Décembre 2022 Par Equipe de Cuisines de quartier Initiatives

Le droit à une alimentation suffisante et saine devrait être acquis pour tous. Pourtant, face aux possibilités réelles de bien remplir son assiette, nous ne sommes clairement pas tous logés à la même enseigne. En cuisinant ensemble pour le quotidien, les Cuisines de quartier agissent en faveur d’un système alimentaire juste, durable et… savoureux !

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Crédit photo: Cuisines de quartier

On le sait, fuir les préparations industrielles et cuisiner « maison » est le meilleur moyen de manger bien et sain à moindre frais. Connaissant le lien déterminant qui relie habitudes alimentaires et état de santé, favoriser le “fait maison” semble une évidence. Mais entre horaires et budgets (ultra) compressés, logements exigus, mal équipés voire inexistants, solitude, manque d’inspiration, de motivation ou de savoir-faire, cuisiner « maison » au quotidien relève parfois d’un véritable défi. De ce constat, issu d’une recherche-action participative menée entre 2015 et 2018 — la recherche Falcoop [1] — est né le projet « Cuisines de quartier».

Identifiant les freins (financiers, temporels, géographiques, techniques, symboliques) qui entravent l’accès des publics en situation de précarité à une alimentation saine et durable [2], les chercheuses et chercheurs (coopérateurs.trices du supermarché Bees coop, experts universitaires et bénévoles des associations de quartier) ont imaginé des manières d’en tenir compte et, surtout, de contribuer à les lever. En matière d’alimentation, les initiatives collectives foisonnent depuis quelques années. La plupart sont liées à la production (potagers collectifs, agriculture urbaine, etc.) ou à la distribution (achats groupés, circuits courts, magasins coopératifs, frigos solidaires etc.). Avec un chaînon manquant : celui de la transformation au sens le plus ordinaire du terme. La cuisine de tous les jours. Sur cette thématique-là, rien de plus que des ateliers culinaires occasionnels. Depuis fin 2019, c’est ce manque que l’initiative Cuisines de quartier veut combler.

Les Cuisines de quartier sont des groupes de citoyennes et de citoyens qui se retrouvent régulièrement dans des cuisines équipées et y préparent ensemble des repas qu’ils aiment, pour eux-mêmes et leur entourage. En cuisinant ensemble pour le quotidien, ces groupes mettent en commun leur temps, leur savoir-faire, leurs connaissances (diététiques notamment) et leurs bons plans. En résultent des économies d’argent, de temps et d’efforts. En cuisinant en grandes quantités dans des espaces bien équipés, ils mutualisent les coûts des matières premières et de l’énergie, denrées de base dont les prix explosent en ces temps de crise. La cuisine collective ne se limite pas à contribuer à une meilleure alimentation et à des économies. Elle favorise les contacts, permet les échanges, les rencontres. Cuisiner ensemble donne l’occasion de se raconter, et par le biais des recettes, de raconter sa famille, son parcours, son pays ou ses origines. L’occasion de rire et, parfois, de confier ses difficultés. Les moments de cuisine collective agissent ainsi à plusieurs titres sur la santé. Sur la santé physique, mais aussi sur le bien-être mental en reposant sur un principe précieux : l’entraide.

Des projets similaires existent ailleurs dans le monde, et ce depuis la nuit des temps. Ils sont notamment très populaires aujourd’hui au Mali, au Pérou (les comedores populares) et au Québec où le RCCQ (Regroupement des Cuisines Collectives du Québec), né il y a plus de 30 ans, rassemble aujourd’hui plus de 1 200 groupes et prépare plus d’un million de portions par an ! Toutes ces expériences sont pour nous des sources d’inspiration. En presque trois ans, les Cuisines de quartier bruxelloises rassemblent déjà 17 groupes, 61 cuistot.e.s aux bagages culturels et culinaires variés répartis sur 7 communes bruxelloises. A l’heure qu’il est, 11 nouveaux groupes sont en cours de démarrage et près de 6000 portions ont été cuisinées!

Concrètement, comment ça fonctionne une cuisine de quartier ?

Le principe est simple : cuisiner en groupe des plats en grande quantité et se les partager en portions à ramener à la maison. Chaque groupe de cuisine (en général entre 4 et 6 “cuistot.es”), choisit ses recettes, son mode d’approvisionnement (achats au marché, dans des magasins, achats individuels ou groupés, récupération d’invendus, etc.), les quantités cuisinées, le moment et la fréquence des rendez-vous (d’une fois par mois à une fois par semaine). Le groupe s’organise en fonction de ses besoins, de ses contraintes, de ses envies en renforçant et valorisant les compétences présentes. Que l’on soit totalement novice ou cuisinier.e expérimenté.e, il y a une place pour chacun.e !  Certains groupes sont initiés ou soutenus par une asbl ou une organisation de terrain (par exemple, la maison de quartier Bouillon de cultures, l’Espace Social Télé-Service, l’épicerie solidaire Caba Jette, le logement inclusif Riga, le Samu social et.), d’autres se lancent de manière autonome et rassemblent un groupe d’ami.es ou de voisin.es. Les cuisines sont toutes “de quartier” car la proximité géographique est un levier essentiel : il s’agit bien d’alléger la charge du quotidien, non de l’alourdir.

L’asbl Cuisines de quartier cherche des espaces cuisines adaptés pour accueillir les sessions collectives, propose un accompagnement au démarrage, notamment en suggérant un fonctionnement de base en 4 étapes (planification, approvisionnement, cuisson et évaluation) qui a été élaboré avec les groupes “pionniers” lancés dès 2019 (voir « Cycle de cuisine – les 4 étapes » ) et se veut flexible et appropriable. L’initiative Cuisines de quartier s’adresse à toutes et tous les Bruxellois·es quelle que soit leur situation socio-économique. Le mélange des parcours, profils et situations est d’ailleurs une des grandes forces de l’initiative. Par le choix de ses partenaires privilégiés (maisons médicales, centres communautaires, lieux d’hébergement temporaire, centres d’alphabétisation, centres d’aide alimentaire, épiceries sociales, etc.) l’asbl Cuisines de quartier entend toutefois répondre prioritairement aux besoins et contraintes des personnes qui vivent, de façon durable ou ponctuelle, une situation fragilisante, de précarité ou d’insécurité alimentaire.

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crédit: Cuisines de quartier

La force du collectif

Cuisiner régulièrement en groupe permet d’échanger entre pairs sur l’alimentation qu’on aimerait pour soi et sa famille. Lorsque les cuistot.es se retrouvent et choisissent ensemble les plats qu’ils vont préparer, on discute saisonnalité des produits, filières d’approvisionnement, recettes adaptées aux régimes spécifiques, habitudes culturelles et familiales. Le fonctionnement horizontal inscrit dans l’ADN des Cuisines de quartier permet aux membres de s’entraider et, petit à petit, de trouver des réponses communes à leurs interrogations en matière d’alimentation. S’ils souhaitent approfondir certains sujets (santé, finances, gestion, nutrition…), des visites et ou ateliers avec des intervenants susceptibles de les faire avancer sont organisés. A l’initiative de plusieurs groupes, des activités autour de la conservation des aliments et de la constitution d’un fond de cuisine économique et qualitatif ont par exemple eu lieu.

L’équipe de l’asbl Cuisines de quartier offre un soutien au démarrage et au fonctionnement des groupes. Progressivement, ce sont aussi les groupes plus rodés qui transmettent leur expérience aux novices. L’objectif est de faciliter, par tous les moyens possibles, l’expérience collective en cuisine, de manière non dogmatique et très ouverte. Avec les groupes en activité, des ressources qui peuvent être utiles à tou.te.s sont élaborées telles des fiches pratiques pour faciliter le fonctionnement et la dynamique interne, un catalogue de recettes savoureuses adaptées à la cuisine en grande quantité à moindre coût, des capsules vidéos, une cartographie des espaces de cuisine disponibles et des groupes dans Bruxelles. L’asbl Cuisines de quartier fournit aussi une aide à la recherche de soutiens financiers, propose un éventail de visites et ateliers autour de l’alimentation. De plus en plus régulièrement, elle initie aussi des moments de rencontre entre les groupes.

Allier plaisir et santé

Les témoignages des cuistot.es montrent que leur expérience collective en cuisine a pour enjeu principal d’allier plaisir et santé. Lors des sessions collectives, les échanges de connaissances à ce sujet sont nombreux. Autant que les interrogations, d’ailleurs : « J’ai entendu que le sucre blanc n’était pas bon pour la santé, mais comment l’éviter… », « Les tomates que j’ai achetées en décembre n’avaient pas de goût, pourtant elles étaient bio. J’ai pas confiance ». Les sessions de cuisine sont l’occasion de discuter des habitudes et de se donner des conseils. « Tu as des difficultés à digérer les légumineuses ? Ajoute du cumin à ton plat, tu verras, ça ira bien mieux ! » conseillait par exemple Maria, d’origine syrienne, à une des membres de son groupe.

Le fonctionnement horizontal, allié au plaisir d’être ensemble et à la confiance réciproque constitue un mélange heureux, à la fois déculpabilisant et motivant. Il permet de dépasser la solitude ressentie face aux nombreuses injonctions en matière de santé et d’alimentation, de trouver un soutien et des conseils près de soi. Les groupes de cuisine font preuve d’inventivité face aux aléas de la vie : devant la fatigue ou la maladie d’un·e membre, le reste du groupe lui mettra de côté des portions ; des solutions collectives (et variées) sont trouvées pour répondre à l’augmentation du prix des denrées ; des groupes se créent autour d’un régime adapté à un problème de santé spécifique (intolérances, maladie auto-immune, diabète, etc.), etc.

Le rôle de l’asbl Cuisines de quartier est aussi de tisser ou renforcer le lien entre les groupes et différents acteurs experts et de terrain liés au secteur de la santé, tels les maisons médicales ou encore le Réseau Santé Diabète. Dans les groupes, l’approche de la santé dépasse de loin le seul volet médical. La qualité de l’alimentation et la question environnementale ont une place dans leurs préoccupations. Ainsi, le thème prioritaire défini cette année par les groupes est l’approvisionnement. Avec l’augmentation du prix des denrées, compte tenu des crises environnementales et économiques qui s’enchaînent, ce travail collectif de recherche et de réseautage est devenu urgent.

Afin de faciliter l’accès à des produits bruts de qualité, les Cuisines de quartier ont mis en place des partenariats avec des acteurs de terrain liés à l’approvisionnement au sens large comme VRAC (Vers un Réseau d’Achats en Commun), les instances communales avec des projets tels l’initiative schaerbeekoise « Invendus ? Pas perdus ! », des initiatives citoyennes de récupération d’invendus, le lien direct avec des petits producteurs locaux etc. Renforcer et stimuler de tels partenariats permet de conjuguer les défis de la sécurité alimentaire à celui de l’écologie en soutenant, au sein des quartiers, des dynamiques collectives en faveur d’une alimentation durable accessible à tou.te.s. Par le biais de la pratique collective de la cuisine quotidienne, c’est ainsi un autre pouvoir d’action sur son alimentation et, plus largement, sur la société qui se déploie.

Au-delà des groupes, le Mouvement citoyen des Cuisines de quartier

A Bruxelles, les groupes sont de plus en plus nombreux et l’asbl multiplie les occasions de rencontres. En soutenant l’émergence du Mouvement des Cuisines de quartier, c’est un véritable réseau d’entraide entre les groupes de cuisines qui voit progressivement le jour, facilitant les synergies et le partage d’expériences au sujet de thématiques communes. Chemin faisant, c’est aussi une force citoyenne de représentation des mangeuses et des mangeurs qui se dessine. Une force citoyenne susceptible de porter leur voix au niveau politique et de participer ainsi au plaidoyer pour la mise en place d’un système alimentaire enfin juste et, dès lors, réellement durable.

Que vous soyez professionnel.le.s de la santé ou habitant.e de Bruxelles, si l’expérience Cuisine de Quartier vous tente ou vous intrigue, faites-nous signe. Nous nous ferons un plaisir de vous en dire plus et d’accompagner vos premiers pas dans l’aventure de la cuisine collective !

Le projet Cuisines de quartier est soutenu par Bruxelles Environnement dans le cadre de la stratégie Good Food, par la COCOF dans le cadre des politiques de Promotion de la santé et par la fondation 4 Wings.

info@cuisinesdequartier.be ou 0471 52 09 03.

www.cuisinesdequartier.be

Ressources 

  • Web doc « Tous à la même enseigne ? » issu de la recherche-action Falcoop à l’origine du projet Cuisines de quartier : www.falcoop.ulb.be
  • Filières locales de qualité et accessibilité pour tous. Équation impossible?, Fédération Inter-Environnement Wallonie, Espace Environnement, FdSS dans le cadre du RAWAD, 2022
  • Mongrain M., Cuisines collectives, modèle alternatif d’organisation sociale et économique, 1997
  • Fréchette L., Entraides et services de proximité. L’expérience des cuisines collectives., Presse de l’Université de Québec, 2000
  • Thieffry M., Partager cuisine et recettes pour mieux manger, Le Soir, 3 août 2021