juillet 2022 Par Séverine CLINAZ Nathalie THOMAS Initiatives

Pour l’équipe communautaire du SSM Le Méridien

Le 9 mai dernier, le service de santé mentale Le Méridien et le comité de pilotage du diagnostic communautaire réalisé sur les communes de Saint-Josse et de Schaerbeek conviaient un public large et varié pour la présentation du rapport final et la mise en débat des recommandations et pistes d’action issues de celui-ci. Nous vous proposons de revenir sur cette journée, ouverte par Mme Barbara Trachte, Ministre-Présidente du Collège de la Commission communautaire française (COCOF), en charge de la Promotion de la Santé, ainsi que sur le processus qui a abouti à celle-ci. Le caractère innovant de ce projet, reposant sur une démarche participative de coconstruction d’expertise autour des problématiques et ressources d’une population, pourra en effet intéresser d’autres acteurs.trices du champ de la promotion de la santé.

Après plus de 3 années d’un travail soutenu, le rendez-vous était donné aux Halles de Schaerbeek le lundi 9 mai à 9h. Près de 200 personnes – parmi lesquelles de nombreux.ses habitant.es – sont venues entendre les conclusions de ce travail, fruit d’une collaboration minutieusement tissée entre des acteurs.trices – associations, habitants et acteurs publics et politiques – qui partagent un même territoire : la commune de Saint-Josse ainsi que les quartiers limitrophes Brabant et Josaphat de la commune de Schaerbeek.

Le Méridien

Ce Service de Santé Mentale agréé par la COCOF intervient sur le territoire de la commune de Saint-Josse et Schaerbeek. Il est accessible à toute personne en difficultés psychiatriques, psychologiques ou sociales, quels que soient son âge, son statut social et ses origines. Les équipes offrent un lieu d’écoute et d’intervention qui tient compte des dimensions sociales, psychologiques, culturelles et administratives de chaque situation rencontrée.

Le pôle communautaire est porté par une équipe spécifique qui a acquis une expertise dans ce domaine. Les pratiques communautaires visent notamment à renforcer le lien social, la confiance en soi et les ressources des personnes. L’équipe développe aussi un travail de formation continue, d’évaluation participative et d’intervision à destination de professionnels ayant des pratiques de santé mentale communautaire.

Pour tout renseignement : www.ssmlemeridien.be

Un diagnostic au plus près des expériences des habitants

Il y a une vingtaine d’années, l’équipe communautaire du service de santé mentale Le Méridien, situé à Saint-Josse-ten-Noode, avait déjà réalisé un premier diagnostic sur les quartiers de son champ d’action. Vu l’évolution des réalités économiques, sociales et politiques de ces quartiers, le Méridien a souhaité réinitier la démarche afin d’actualiser les données et pouvoir, au besoin, réajuster ses pratiques. Ce projet s’est déroulé de 2018 à 2021, et a été soutenu et financé par la Commission communautaire française dans le cadre des Initiatives en Promotion de la santé.

Ce diagnostic vise à mieux comprendre les besoins de la population au travers d’analyses fines et qualitatives des contextes et réalités socio-économiques vécues par les personnes vivant sur les territoires concernés. Les recherches quantitatives et les statistiques existantes offrent un regard éclairant sur ces réalités mais le processus de recherche envisagé dans le cadre de ce diagnostic communautaire permet une tout autre approche qui se veut au plus près des expériences des habitants, de leurs perceptions des réalités, de leurs vécus, s’appuyant sur la conviction que ce sont les personnes vivant des réalités sociales particulières qui sont les mieux à même d’en parler et que leurs propositions peuvent alimenter avec pertinence une réflexion collective.

Nous ne sommes donc pas partis d’« hypothèses préalables à tester », mais plutôt de questions très larges, ouvrant sur toutes les thématiques et questions possibles : « qu’est-ce qui, selon vous, permet de bien vivre dans votre commune ? Qu’est-ce qui rend la vie difficile ? De quoi auriez-vous besoin pour vivre mieux ? » Et à partir de là, nous avons fait émerger des thématiques récurrentes, à savoir : la santé et ce qui fait soin, l’enfance et la jeunesse, les rapports aux institutions et citoyenneté, les rapports aux autres. Thématiques qui ont ensuite servi de fil conducteur pour nos analyses et recommandations.

Ce diagnostic émanant d’un service de santé mentale, la thématique de la santé et de la santé mentale occupe certainement une place prépondérante dans notre recherche. Néanmoins, l’ouverture sur d’autres thématiques et l’intégration d’acteurs.trices des différents secteurs du champ social dans le comité de pilotage constituent sans nul doute un atout non négligeable dans le cadre d’une approche globale de la santé et de ses déterminants sociaux.

Une démarche communautaire et participative incluant habitant.es, professionnel.les de la santé et du social et responsables politiques locaux

Le processus initié fin 2018 a permis de réunir, autour d’un même projet, différents acteurs sociaux locaux : des habitant.es, des professionnel.les issus d’institutions et d’associations travaillant sur le territoire, des élu.es. Une quarantaine de partenaires, tant professionnels qu’habitants, se sont montrés intéressés et se sont impliqués tout au long de la démarche, ce qui a facilité la participation communautaire et la mise sur pied d’un comité de pilotage mensuel, élément organisateur et central de notre démarche.

Ce travail s’appuie sur le modèle de la « participation active » et notamment celui du « cercle vertueux de la participation ». Celui-ci préconise la participation active citoyenne – en particulier celle des populations vulnérables ou marginalisées – et la considère comme un déterminant social de la santé. Cet engagement aurait un impact positif sur la santé des personnes, sur la maîtrise de leur vie (empowerment), ainsi que sur les liens de solidarité, d’empathie, de cohésion sociale au sein d’une communauté. On a en effet pu constater, tout au long de ce diagnostic, la pertinence de ces espaces réguliers de dialogue dans lesquels les membres d’une communauté, d’un quartier, d’une commune peuvent s’engager dans une « gouvernance de proximité ». La valorisation des savoirs, y compris « expérientiels », et des compétences de la population a été un parti pris dès le départ.

Il existe peu de processus de participation incluant habitants, professionnels et élus dans une relation de coconstruction, d’expertise réciproque, de partenariat et de mise en place d’actions sur un territoire. Le caractère innovant de ce projet réside certainement dans cette démarche participative, incluant ces différentes catégories d’acteurs, et ce tout au long du travail, depuis le choix des méthodes, la récolte des données, l’analyse de celles-ci et l’élaboration des recommandations.

Nous avons constamment été attentifs à viser une certaine « symétrie du pouvoir », une attribution égale de valeur aux paroles échangées, qu’elles émanent des professionnel.les ou des habitant.es. Ce ne fût pas toujours facile et la question de la légitimité s’est souvent invitée au sein de nos débats : savoirs expérienciels versus savoirs professionnels mais aussi savoirs de ceux qui habitent le territoire versus savoirs de ceux qui n’y habitent pas (ce qui était le cas de la plupart des professionnel.les). En effet, certains habitants participant aux comités de pilotage ont parfois renvoyé que les professionnels qui n’habitaient pas le territoire n’avaient pas une « vraie connaissance » des réalités des quartiers, contrairement à ceux qui y habitaient. Nous avons également pu constater, et certains partenaires nous l’ont également renvoyé, que les professionnel.les ne se sentaient pas toujours «légitimes » à apporter un autre point de vue que celui des habitants, dont la parole a alors parfois pris beaucoup de place au sein des réunions du comité de pilotage. Afin d’aider à avancer en collectif et à apaiser les tensions, divers supports méthodologiques participatifs ont été utilisés et une charte a été rédigée par l’ensemble des participant.es.

Une méthodologie soutenant l’auto-analyse des participant.es

Le diagnostic communautaire a été envisagé à partir de récoltes et d’analyse de données venant d’une « large palette » de dispositifs : plus de 35 entretiens individuels, 25 focus groupes (avec une moyenne de 20 participants), 15 marches exploratoires, 5 « maraudes » (balades spontanées), des séances d’analyse selon la méthode MAG (méthode d’analyse en groupe), une animation dans l’espace public intitulée « Les porteurs de paroles », etc.

Tout au long du processus, nous avons fait le choix de privilégier les ressources, savoirs et interprétations venant des participant.es.

Nous avons ensuite retranscrit et capitalisé toutes les paroles, témoignages, échanges, observations, etc., dans un document ethnographique de 350 pages. Toutes ces données ont été regroupées selon différentes thématiques :

  • « La santé et ce qui fait soin » concerne l’accès aux soins de santé, les réseaux informels « qui font soin », le rapport des habitants et des professionnels autour du corps et de l’intime, les liens entre soins et interculturalité, les pratiques communautaires ou religieuses, etc.
  • « L’enfance et la jeunesse » se propose de rendre compte des réalités vécues par les jeunes enfants et les adolescents, les rapports intergénérationnels, les relations parents-enfants, la scolarité (et le sens de l’école), les activités extra-scolaires, etc.
  • La partie sur « Les rapports aux institutions et la citoyenneté » entend analyser les relations entre les citoyens et les associations du territoire, la manière dont les habitants se perçoivent en tant que citoyens, les rapports qu’ils entretiennent avec les politiques et les élus locaux, les forces de l’ordre et les différentes structures de prévention au service de la sécurité de la population, la participation citoyenne et la solidarité, la notion d’émancipation au sein des quartiers.
  • La partie consacrée aux « Rapports aux autres » se propose d’aborder les appartenances identitaires, les regards que les uns portent sur les autres, les dynamiques interculturelles, le contrôle social et, son versant, la liberté individuelle, la mixité sociale et le vivre ensemble, les rapports de genre.

Chaque thématique a regroupé des membres du comité de pilotage, habitant.es et professionnel.les, autour de tables rondes (2 à 3 par thématique, soit plus de 12 tables rondes), puis de groupes de travail pour approfondir les analyses issues des tables rondes. Les analyses, convergences et divergences entre les interprétations des participants ont été reprises dans un écrit synthétique, qui évoluait au fur et à mesure des relectures et des réajustements, et était in fine validé par le comité de pilotage.

Il nous est difficile de relater ici ces résultats, tant ceux-ci sont nombreux et nécessiteraient un développement nuancé. Nous invitons les lecteurs/trices intéressé.es à se référer au rapport complet qui est disponible sur simple demande au SSM Le Méridien (via un mail à l’adresse communautaire@ssmlemeridien.be ).

Un diagnostic pour mettre en place des projets qui répondent aux besoins de la population

L’objectif de tout diagnostic communautaire est de parvenir à des changements et des projets adaptés aux réalités de la population. Il s’agit donc de rendre possible de nouvelles collaborations et de renforcer celles qui existent déjà en vue de développer des projets qui pourront s’appuyer sur les constats et les recommandations émanant du diagnostic. Ces projets, imaginés et coconstruits avec les partenaires du diagnostic, pourront être soit des projets existants « améliorés », soit de nouveaux projets.

Outre la présentation des résultats, la journée du 9 mai aux Halles de Schaerbeek avait justement pour objectif de passer à cette étape plus concrète. L’après-midi était en effet consacrée à des tables rondes thématiques autour des recommandations et pistes d’actions formulées dans le rapport. Nous en citerons quelques-unes :

  • Créer des lieux d’échanges pour aider à mieux se connaître et porter ensemble des actions collectives (entre habitants, professionnels et pouvoirs locaux). Mettre en place des lieux de rencontre accessibles (plateforme, panel, forum) et reconnaître davantage les actions citoyennes portées par les citoyen.es et les réseaux informels.
  • Engager des connecteurs de proximité, des référents de quartiers. Développer une fonction de « relais-habitants » entre les différentes ressources existantes, formelles et informelles, en vue de favoriser la cohésion sociale et l’accessibilité des services. 
  • Faciliter l’accès à l’information et aux services pour la population (en particulier les publics les plus en marge). Renforcer les « points information/contact » de quartier, portés de manière mixte (commune et associatif). Multiplier les canaux de diffusion de l’information.
  • Favoriser l’accès à un logement digne et de qualité et lutter contre les discriminations au logement. Créer des services pour prendre en charge ces demandes (les services existants sont débordés), créer une structure de défense des locataires. Renforcer l’accompagnement juridique dans les conflits locatifs et s’assurer que les services généralistes soient mieux outillés pour accompagner les locataires.
  • Développer une vision globale de la santé. Renforcer les services de soins de proximité ou en créer davantage. Faire en sorte que les communes s’impliquent dans des programmes de promotion de la santé.
  • Favoriser les relations entre parents et écoles/enseignants. Renforcer ou réactiver des espaces de dialogue « parents-école » où diverses problématiques pourraient être abordées. Favoriser l’ouverture des écoles sur le quartier.

Cette journée ne sonne pas la fin du travail collaboratif et participatif autour du diagnostic communautaire. Un comité d’actions, organe opérationnel des changements proposés au travers du diagnostic, s’est rapidement mis en place avec pour mission le développement de projets ou actions pouvant répondre aux recommandations qui auront été jugées prioritaires (un vote a d’ailleurs eu lieu à la fin de la journée du 9 mai au cours duquel les participant.es étaient invité.es à donner leur voix à l’une ou l’autre des recommandations proposées). Et, comme l’a suggéré une habitante participant à la journée, « rendez-vous dans un an », pour évaluer ensemble ce qui aura pu être mis en place. Défi relevé !