L’Organisation mondiale de la Santé pointe les accidents de la route comme un problème majeur de santé publique. Ils font chaque année 1,3 million de morts à l’échelle mondiale1. En Belgique en 2017, sur un total de 615 tués en 30 jours, 72% des victimes étaient conducteurs dont 58% des hommes et 13% des femmes2.Le fait que ces accidents concernent davantage les hommes invite à questionner les raisons de cette proportion en lien avec l’acceptation des rôles sociaux imposés par les normes dominantes de la masculinité. Une sociologue australienne, Raewyn Connell3, montre que ces rôles sont définis principalement par une prise de risque, une témérité et une référence à la virilité. Il est donc pertinent de mettre en question les processus de construction de la masculinité.
Masculinités
La masculinité renvoie à l’expression de normes associées et attribuées aux personnes identifiées comme hommes. Il s’agit de caractéristiques et de comportements qui représentent ce qu’est « être un homme ». Dans nos sociétés, les hommes doivent être virils : forts physiquement, avoir le contrôle de leurs émotions, être compétitifs, ambitieux. La virilité est intimement liée à la masculinité et donc aux hommes même si elle ne leur est pas réservée. Lorsqu’elle est endossée, cette virilité s’exprime à travers des caractéristiques bien spécifiques comme être « protecteur », « pourvoyeur » et « puissant » (être actif sexuellement et dans la capacité de procréer). Ces caractéristiques sont socialement valorisées et, par conséquent, elles donnent plus de prestige et de pouvoir aux hommes ; ce qui, en même temps et en retour, leur confère des privilèges et ce, par le simple fait d’être homme. Raewyn Connell définit la masculinité qui regroupe ces caractéristiques comme la masculinité hégémonique, car c’est ce type de masculinité qui, aujourd’hui, organise un ordre social genré dans lequel les hommes occupent une position hiérarchique supérieure.
Pour les hommes qui n’atteignent pas cet idéal de la masculinité, ce qui est le cas de la majorité des hommes, ce modèle agit comme une « pression ».
Selon une étude américaine4, ne pas correspondre à ce modèle peut causer des difficultés relationnelles, des troubles psychologiques, une plus forte consommation de drogues ainsi que des actes de violences. L’analyse des masculinités pointe les conséquences négatives que cet ordre « masculin viril » engendre pour les hommes eux-mêmes du fait d’être poussés à assumer les comportements associés à cette masculinité. Par exemple, la majorité des victimes d’homicides dans le monde sont des hommes (81%) et ils sont tués par d’autres hommes (90% des auteurs d’homicides)5.
Il faut également noter que les comportements qualifiés comme féminins sont encore peu valorisés ce qui a pour conséquence que certaines activités et attentions comme le fait de prendre soin, de soi et des autres, ne font pas partie des attributs dits « masculins ». Les hommes seront, dès lors, moins encouragés à les développer. « Pour un certain nombre d’hommes, consciemment ou pas, se faire soigner revient à reconnaître une faiblesse, une fragilité » souligne ainsi Lisa Saoul6.
Mais comment construit-on sa masculinité ? Où est-ce que cela se passe ? C’est au travers de la socialisation que l’on construit une part de notre identité. Ce processus social prend corps et se déroule dans divers espaces : le foyer, l’école, les lieux de loisirs et les lieux de travail. À côté de ces espaces et autour de nous, il y en a un autre qui ne reçoit généralement pas autant d’attention, mais que nous investissons, traversons, en d’innombrables occasions : l’espace public.
Espace public
L’espace public fait partie de notre vie quotidienne, il appartient à tous et toutes, personne ne dirait le contraire. Et pourtant, les expériences quotidiennes montrent à quel point ce n’est pas le cas. Nous ne traversons pas ni n’occupons l’espace public de la même manière. Selon notre position au sein de la société (en fonction de notre sexe, de notre identité de genre, de notre orientation sexuelle, de notre classe sociale, de notre origine ethnique ou raciale, de notre âge, de notre situation de handicap ou non, de notre lieu de résidence…), nous avons un accès et un usage différenciés de l’espace public.
Les hommes apprennent que l’espace public est un lieu où ils doivent aller, où ils doivent se sentir en sécurité et en confiance. Ils s’y assoient, y marchent, courent, observent, s’y expriment d’une certaine manière. Ils doivent s’y montrer forts, puissants, et surtout ne pas être sensibles ou émotionnels. En revanche, les femmes apprennent à craindre l’espace public et le lieu qui leur est réservé est celui du privé, des espaces intérieurs et intimes. Elles intériorisent le fait de ne pas prendre de place quand elles s’assoient, d’être discrètes, de ne pas trop attirer l’attention (mais à ne pas non plus passer inaperçue), de devoir même mettre en place des stratégies d’évitement de certains lieux à certaines heures.
L’organisation de l’espace public est encore fortement déterminée par les intérêts des hommes. Peu d’efforts sont faits afin que tout le monde puisse jouir à sa convenance de cet espace public. Et, lorsqu’une approche de genre est intégrée dans les mesures politiques urbanistiques, elle l’est principalement par le biais des problématiques liées à l’insécurité des femmes. Cela laisse de côté toute une série de problématiques (publicités sexistes « objectifiant » le corps des femmes, les noms des rues et les statues presque exclusivement masculines…). Il faut également noter que les lieux de décision où l’on définit l’aménagement de l’espace public est composé en majorité par des hommes. L’aménagement urbain tel qu’il est pensé et décidé est donc surtout le fait d’hommes pour, indirectement, des hommes.
Conséquences positives pour la santé
Après deux ans de confinement plus ou moins aigus et de mesures de distanciation physique, la plupart des personnes réalisent à quel point l’espace public est essentiel à leur bien-être physique et psychologique. Assurer un accès et une utilisation de l’espace public égalitaire est donc un enjeu majeur.
Il est donc primordial de déconstruire les normes dominantes autour de la masculinité pour permettre :
- d’ouvrir les possibilités d’être et d’agir en dehors des normes,
- de renverser les stéréotypes et pratiques de la virilité, la témérité, la prise de risque,
- de questionner le sentiment d’avoir à se mettre en danger pour se conformer à un rôle d’homme stéréotypé,
- de développer des approches et contextes favorables à la santé de tous et toutes.
Dans cette optique, Cultures&Santé a conçu, aux côtés du Monde selon les Femmes, un outil d’éducation permanente liant les questions de masculinités et d’espace public.
[Dé]Genrer la ville : Espace public, genre et masculinités
Ce kit pédagogique invite à réfléchir sur le rôle de l’espace public dans la construction sociale du genre, notamment la construction des masculinités et les privilèges qui en découlent, et à analyser la manière dont les rapports inégaux de genre organisent en même temps l’espace public.
Au fil des 5 pistes d’animation proposées, les participant·es sont amené·es à questionner le genre, l’espace public et les masculinités à partir de leurs vécus et leurs ressentis dans l’espace public. Le guide propose également des repères théoriques qui permettent d’apporter des précisions sur les questions soulevées par les pistes d’animations. Est-ce qu’un espace public égalitaire peut créer de nouveaux modèles de masculinités ou faut-il de nouveaux modèles de masculinités pour rendre l’espace public plus égalitaire ?
Il est accompagné d’une série de 22 illustrations mettant en scène des exemples d’inégalités entre les sexes et les genres produites par ou dans l’espace public regroupés en six dimensions : sentiment d’(in)sécurité, visibilité de genre, mobilité, temps et occupation, usages et processus de décision. Ces six dimensions permettent de complexifier notre regard sur les différentes problématiques auxquelles nous sommes confronté·es dans l’espace public, et donc, de nous rendre compte des éléments à changer mais aussi d’imaginer ce que serait un espace public véritablement égalitaire.
Après Vive Olympe ! et Féminismes en couleurs, [Dé]Genrer la ville s’inscrit dans la continuité des outils produits par Cultures&Santé sur le thème de l’égalité de genre. Nous avons souhaité, avec ce guide, mettre le focus sur la domination masculine et amener les hommes à prendre conscience de leur rôle dans la lutte pour l’égalité.
Le kit a pour objectif de réfléchir au rôle de l’espace public dans la construction sociale du genre, notamment les masculinités, et comment l’espace public est organisé par les rapports inégaux de genre.
Il contient :
- un guide d’animation proposant 5 pistes d’animation et des repères théoriques,
- 22 phrases,
- 22 illustrations mettant en scène différents exemples d’inégalités entre les sexes et les genres.
Pour l’obtenir
L’outil est en prêt au centre de documentation de Cultures&Santé et en téléchargement sur le site www.cultures-sante.be. Si vous envisagez de l’utiliser régulièrement en groupe, vous pouvez faire une demande pour l’acquérir, par mail à cdoc@cultures-sante.be ou par téléphone au 02 558 88 11. N’hésitez pas à contacter Cultures&Santé si vous souhaitez organiser un atelier de découverte.
Retrouvez le fichier et ses supports sous format PDF sur : https://www.cultures-sante.be/nos-outils/outils-education-permanente/item/596-de-genrer-la-ville-espace-public-genre-et-masculinites.html
[1] Journée mondiale de la Santé : L’accident de la route n’est pas une fatalité !, Organisation mondiale de la Santé, 7 avril 2004 : www.who.int/mediacentre/news/releases/2004/pr24/fr.
[2] 615 morts sur les routes belges en 2017, Statbel, 4 juillet 2018.
[3] Connell R. W., Masculinities, Polity Press, Sydney, 1995.
[4] Stephanie Pappas, APA issues first ever guidelines for practice with men and boys, American Psychological Association, vol.50(1), 2019.
[5] Rapport sur les homicides office ONU contre drogue et le crime. https://www.unodc.org/unodc/fr/frontpage/2019/July/homicide-kills-far-more-people-than-armed-conflict–says-new-unodc-study.html
[6] Lisa Saoul, « Les hommes se soignent moins que les femmes », DH Les Sports+, 2015.