mars 2024 Par Patricia BERNAERT Axelle VERMEEREN Dominique DOUMONT Chantal VANDOORNE Réflexions

La promotion de la santé scolaire était à l’honneur d’un grand colloque francophone qui se tenait à Paris le 30 novembre dernier. Un programme dense et cadencé de plénières et d’ateliers auxquels des acteurs belges de la santé en milieu scolaire ont pu participer. Regards croisés.

Enfants cheminant dans un couloir d'école

Cet article a été coordonné par Chantal Vandoorne, collaboratrice scientifique à ESPRIst-ULiège et représentante de la Fédération wallonne de Promotion de la Santé à la Commission PSE 

Parler de promotion de la santé en milieu scolaire pour catalyser les énergies, l’occasion est (trop) rare. Fin novembre, l’Institut national du cancer (INCa) a réuni à Paris plusieurs centaines de chercheurs, décideurs, professionnels de santé, communauté éducative, opérateurs de prévention de huit pays francophones autour de 120 communications scientifiques sur le thème : « Promotion de la santé en milieu scolaire : actualités de la recherche et de l’innovation ». 

Au programme figuraient des interventions sur l’activité physique et la sédentarité, la réduction des risques de cancer environnementaux et comportementaux, l’alimentation et des focus sur la fragilité de certains publics. 

Une dizaine d’acteurs de promotion santé belges francophones dont plusieurs médecins de promotion de la santé à l’école (PSE) étaient présents. Ils partagent dans ci-dessous et dans un deuxième papier à retrouver sur ce lien leurs découvertes et leurs impressions. 

Impulsion internationale pour mesurer les compétences socio-émotionnelles 

Axelle Vermeeren, médecin scolaire au Centre de santé UCLouvain asbl, membre de l’association professionnelle des Médecins scolaires. 

Pouvoir assister à ce type de colloque tient pour moi de l’exception, tant il est rare d’avoir un réel focus sur la recherche en promotion de la santé centrée sur le milieu scolaire, en tout cas en Belgique, pays dans lequel j’exerce comme médecin scolaire depuis plus de 30 ans et comme directrice d’un service PSE (Promotion de la Santé à l’école). 

L’intervention de Noémie Le Donné, cheffe de l’unité sur les compétences socio-émotionnelles de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a été particulièrement importante. Elle a présenté les perspectives internationales dans le domaine en apportant une définition toute en nuance des compétences socio-émotionnelles (CSE) (autrement nommées compétences psychosociales, ou compétences de vie).  

Elle rappelle d’abord que ces compétences se distinguent des processus cognitifs fondamentaux (tels que le traitement visuel, l’attention, la mémoire, la récupération) et des compétences scolaires (telles que : la lecture, l’écriture, le calcul). 

Les compétences de vie sont à l’intersection de l’application (responsabilité, persistance, contrôle de soi) ; de la régulation émotionnelle (résistance au stress, optimisme, contrôle émotionnel) ; de la collaboration (empathie, confiance, coopération); de l’ouverture d’esprit (tolérance, curiosité, créativité) ; de l’investissement dans les relations (sociabilité, assertivité, énergie). 

CSE et personnalité sont des concepts liés mais distincts. La personnalité correspond à des tendances dans les comportements et les pensées (application, stabilité émotionnelle, amabilité, ouverture, extraversion) ; tandis que les compétences correspondent à ce qu’un individu est capable de faire quand la situation le demande.  

Les CSE sont donc des caractéristiques individuelles qui s’expriment dans des schémas de pensées, de sentiments et de comportements. Elles se manifestent par un comportement maximal plutôt que typique, se distinguant ainsi des traits de personnalité. Elles sont dépendantes de la situation, par exemple : le contexte de la tâche, la fatigue, et sont sujettes à des changements développementaux et à des prédispositions génétiques. 

Noémie Le Donné rappelle que la recherche dispose de preuves solides sur le fait que les CSE peuvent être enseignées en milieu scolaire, quels que soient les groupes d’âge et les contextes nationaux pour la persistance, le contrôle de soi, la résistance au stress, le contrôle émotionnel, l’empathie, la confiance, la coopération et l’assertivité. 

Les CSE seront ensuite prédictives des parcours de vie, car ces compétences acquises déterminent l’état de santé (mentale, physique, les comportements de santé et la satisfaction à l’égard de la vie), comme le précise l’Etude internationale sur les compétences sociales et émotionnelles, publiée en septembre 2021 par l’OCDE.

L’OCDE formule d’ailleurs plusieurs recommandations pour transformer les écoles en centres d’apprentissage social et émotionnel au départ d’une approche holistique : 

  • inclure les CSE dans les pratiques d’enseignement et d’évaluation ;
  • consacrer suffisamment de temps et d’attention au développement des CSE ;
  • adopter une approche globale de l’école qui inclut les parents en tant que partenaires de la promotion des compétences ;
  • fournir un soutien et une formation adéquats pour les enseignants.

A la suite de cette présentation, plusieurs ateliers ont montré l’impact concret des CSE sur le terrain. Ainsi, au Québec, le Programme Hors Piste intervient sur l’anxiété et le stress. Il se décline tout au long du parcours scolaire, y compris dans l’enseignement supérieur. Basé sur une approche globale, il s’adresse à la fois aux élèves, à leurs parents, aux différents membres de l’équipe-école ou de l’établissement et aux étudiants. Par le développement des compétences psychosociales et l’établissement d’un milieu sain et bienveillant, ce programme vise la prévention des troubles anxieux et autres troubles d’adaptation. 

En conclusion, je reste frappée par la quantité d’études scientifiques internationales menées en promotion de la santé en milieu scolaire mais aussi par le temps important que certains pays sont en capacité de consacrer structurellement dans les écoles pour travailler sur la promotion de la santé des élèves et des étudiants. Ces efforts pourront s’appuyer sur la création d’une communauté européenne de littératie en santé. 

Maryvette Balcou-Debussche, professeure à l’Université de la Réunion a abordé la littératie en santé à la croisée de différents mondes : biomédical, social et formatif ainsi qu’ordinaire. C’est un concept aux multiples facettes : accès à l’information ; compréhension de celle-ci ; prises de décision en tenant compte de différents contextes (organisation en santé, contextes ordinaires, pratiques sociales) avec, en son centre, l’importance de l’accès langagier en situation (éducative, de formation). 

Pour développer la littératie en santé, elle désigne trois pôles d’action essentiels : le parcours de soins, le parcours d’éducation/de formation et l’adaptation des structures/des organisations.  

La création d’une communauté européenne de littératie en santé permettra de reprendre cinq composantes exploitables par tous les acteurs :  

  • l’accès à des informations sanitaires fiables ;  
  • l’accès à des soins appropriés ;  
  • la communication entre les individus, les professionnels et les autorités sanitaires ; 
  • la prise de décisions partagées sur les soins et les traitements ;  
  • l’accès à des espaces numériques pour comprendre et utiliser les services de santé. 

Le genre, angle mort de la promotion des compétences psychosociales 

Patricia Bernaert, Formatrice – chargée de projets à Prospective Jeunesse. 

Paris… Le programme de ces deux jours était bien dense, les interventions cadencées au rythme d’une belle partition de programmes déployés dans les écoles de différents coins en France, soutenus par l‘Education Nationale, mobilisant des équipes éducatives dans la durée, accompagnées par des intervenants externes spécialisés dans les programmes de développement des compétences psychosociales, les formations et ateliers qui les structurent…  

Car il s’agit bien des compétences psychosociales qui constituent le terreau de l’autonomisation et du pouvoir d’agir des individus et des groupes, pour ainsi dire le socle de la Promotion de la Santé, et ce depuis une vingtaine d’années. Nombreux sont les partages des évaluations, témoignant du caractère programmatique, bien ficelé, extraordinairement abouti des projets et de leurs effets globalement positifs. Eblouissant !  

Des petits bémols apparaîtront au fil des échanges informels avec d’autres participant.e.s belges, annonciateurs d’un bémol plus conséquent, prudemment porté par Kevin Chapuy, psychologue qui a travaillé 12 ans en addictologie à Saint Nazaire. Il vient, fort opportunément pour nous, éclairer les programmes CPS, à la lumière des conduites addictives et des inégalités de genre, dimension oubliée, semble-t-il, au cours de ces deux jours, alors qu’elle est devenue incontournable dans notre travail quotidien, au même titre que les inégalités sociales de santé.  

Il s’agit de rappeler qu’en prévention des assuétudes, si certains programmes sont reconnus probants au sens où ils ont des effets positifs sur l’incidence des premiers usages de substances psychoactives et la prévalence des conduites d’usage, au point d’être devenu les standards de la prévention, on ne s’explique pas comment des effets différents peuvent exister en fonction du genre.  

S’ouvre alors une étendue de questionnements, alimentés par des analyses plus fines qui mettent au jour des effets complexes et hétérogènes liés au genre, parfois délétères pour les unes ou les autres, mais bien cachés sous les effets globalement positifs. Devons-nous en prendre la mesure ? Et comment ? Certainement, cela devrait même être notre souci majeur en tant qu’intervenant en Promotion de la Santé… Sinon que venons-nous faire là ?  

Penser l’école autrement : autour des trois mondes de l’enfant. 

Dominique Doumont, chargée de projet, Service universitaire de Promotion de la santé UCLouvain/IRSS-RESO 

Pour clôturer ces deux riches journées de réflexion et d’échanges, Linda Cambon (professeure à l’ISPED, Université de Bordeaux) invite à appréhender ce qui détermine le bien-être de l’enfant sous le prisme d’un cadre de référence multidimensionnel composé de trois mondes (Unicef Innocenti, 2020) :  

  • un monde en général qui englobe les politiques et le contexte où se côtoient par exemple les politiques familiales, l’offre éducative, la qualité de l’environnement, la santé, le soutien social,  … ;   
  • un monde autour de l’enfant composé de ressources et réseaux qui fait notamment écho aux ressources disponibles au sein de la famille, du quartier, de l’école  
  • le monde de l’enfant qui représente les relations de l’enfant avec sa famille, ses pairs mais également les activités qu’ils réalisent. 

L’oratrice rappelle toute l’importance d’agir sur ces trois mondes en posant des mesures sociales et sociétales, en luttant contre l’adversité, par exemple dans le cadre du harcèlement en milieu scolaire, mais également en travaillant sur des mesures environnementales qui favorisent l’accès et le rapport à la nature (implication directe des jeunes – idée de non-prescription par des adultes). Concrètement, cela passe par des éléments naturels qu’il est possible de façonner, voire de détourner, la présence d’animaux et de végétaux de tailles et de nature différentes sensibles au climat (ensoleillement, ombrage), etc. (Wallerich L. et al., 2023). Offrir ainsi aux enfants un accès à la nature contribue à la création d’environnements propices au développement et au bien-être global de ceux-ci.  

Les aménagements urbains offrent également une réponse dans l’amélioration du bien-être des enfants : création d’espaces verts, d’aires de jeu, de terrain de sport, d’espaces de détente basés sur la nature, organisation d’itinéraires sécurisés pour les jeunes piétons et les cyclistes, limitation de vitesse et de trafic dans les environnements immédiats des écoles, choix d’aménagements éclairés. Ainsi, les aménagements urbains en milieu scolaire ne se limitent pas à la création d’infrastructures physiques, ils englobent en effet d’autres aspects liés à la sécurité, l’inclusion, la santé, la cohésion sociale.  

Enfin, l’environnement éducatif est également à prendre en considération lorsque l’on évoque le bien-être des enfants : des déterminants reposant sur les valeurs  (égalité versus équité, etc.), relationnels (participation des familles, des enfants, etc.), organisationnels (formation de professionnels, dispositif d’inclusion, d’équité, d’égalité, etc.) et spatiaux (accès à des espaces éducatifs, récréatifs, etc.) contribuent au développement de la santé émotionnelle, cognitive, sociale et physique de l’enfant (Fillol et al., 2023 (In press)).  

Une autre question soulevée par Linda Cambon porte sur la capacité des parents à se positionner au sein de ces trois mondes. Quelle est la place du parent dans le fonctionnement de l’école ? Comment s’exerce la co-éducation ? Et comment faire entendre la voix des enfants ? 

L’intervention de Linda Cambon a permis de réaffirmer toute l’importance de la prise en compte ‘des environnements’ en milieu scolaire. Ainsi, s’intéresser aux déterminants environnementaux et à leurs effets sur la santé et le bien-être des enfants reste essentiel pour promouvoir un développement harmonieux, prévenir les risques et créer des conditions favorables à l’épanouissement des enfants. Cette conception ‘holistique’ rejoint ainsi l’approche One Health  qui vise à créer des ‘environnements’ de santé plus résilients, durables et capables de faire face à l’émergence de nouveaux défis. 

Et pour conclure, où placer l’innovation dans tout cela ?  Pour l’intervenante, « ce n’est pas ajouter ou tout changer mais plutôt penser l’école autrement » : il s’agit de repenser l’école autour des transports, de l’aménagement des bâtiments, d’espaces verts incitant aux jeux, de l’investissement dans des espaces sécurisants et ressourçant, de la manière dont on enseigne, etc. Concrétiser cette ‘vision’ passe par une nécessaire réflexion sur les politiques publiques mises en place et implique, à tout le moins, une participation ‘des communautés’ (acteurs, citoyens, etc.) et un engagement soutenu en faveur d’un environnement scolaire qui soutienne la santé physique, émotionnelle et sociale des enfants. 

Retrouvez la suite de l’article sur ce lien : Ecole : pépinière d’innovation pour la promotion de la santé (2/2)

Pour conclure :

Les auteurs espèrent que ces contributions croisées inciteront les acteurs en Fédération Wallonie Bruxelles et leurs autorités de tutelle à intensifier les réflexions collectives, les rencontres scientifiques et à stimuler l’innovation au bénéfice de la promotion de la santé en milieu scolaire.

Pour poursuivre les réflexions engagées, l’INCa coordonne un numéro hors-série de la revue Global Health Promotion dédié à des recherches et des réflexions en promotion de la santé en milieu scolaire. La publication en open access et en francais est prévue début 2025. L’UNIRES (Réseau des Universités pour l’éducation à la santé) publiera en complément un ouvrage rassemblant des contributions présentées lors de ce colloque.

Ces diffusions, nourries de travaux présentés durant l’événement et de réflexions collectives issues du colloque, permettront de diffuser largement à la communauté internationale les retombées de cet événement scientifique. Dans l’attente de celles-ci, le lecteur pourra consulter avec profit les résumés des communications évoquées ici sur le site de l’INCa.