mars 2024 Par Pierre LALOUX Olivier COSTA Astrid BOVESSE Chantal VANDOORNE Réflexions

A la suite du grand colloque francophone qui se tenait à Paris le 30 novembre dernier sur la promotion de la santé scolaire, des acteurs belges croisent leurs regards sur le foisonnement des expériences et de la recherche sur ce thème (suite et fin).

Chantal Vandoorne, collaboratrice scientifique à ESPRIst-ULiège et représentante de la Fédération wallonne de Promotion de la Santé à la Commission PSE 

Parler de promotion de la santé en milieu scolaire pour catalyser les énergies, l’occasion est (trop) rare. Fin novembre, l’Institut national du cancer (INCa) a réuni à Paris plusieurs centaines de chercheurs, décideurs, professionnels de santé, communauté éducative, opérateurs de prévention de huit pays francophones autour de 120 communications scientifiques sur le thème : « Promotion de la santé en milieu scolaire : actualités de la recherche et de l’innovation ». 

Au programme figuraient des interventions sur l’activité physique et la sédentarité, la réduction des risques de cancer environnementaux et comportementaux, l’alimentation et des focus sur la fragilité de certains publics. 

Une dizaine d’acteurs de promotion santé belges francophones dont plusieurs médecins de promotion de la santé à l’école (PSE) étaient présents. Ils partagent ici leurs découvertes et leurs impressions. (Retrouvez la première partie sur ce lien)

Des retours d’expériences qui confortent 

Astrid Bovesse, responsable de projets au Fonds des Affections Respiratoires (Fares) asbl. 

Plusieurs interventions ont concerné la réduction de la consommation de tabac. En France, comme en Belgique, le tabagisme est un enjeu majeur de santé publique. Les constats de terrain sont similaires aux nôtres sur l’inefficacité des interventions “one-shot” et l’évolution des consommations des jeunes, notamment concernant l’entrée dans le tabagisme, l’e-cigarette et le cannabis. 

En termes de prévention du tabagisme chez les jeunes, il semble que les approches basées sur leur participation et sur le renforcement de leurs compétences psychosociales aient fait leurs preuves, comme l’ont montré deux projets de sensibilisation par les pairs. 

Les “pairs ambassadeurs” ont le vent en poupe dans le secondaire (au collège et au lycée). A Montpellier, l’Institut du Cancer a mis en place le projet « P2P2, agir par les pairs pour la prévention du tabagisme chez les lycéens en filière professionnelle », ou encore au programme Assist France, une initiative britannique testée en France depuis 20 ans, dont les résultats sont prometteurs. Tous deux sont aisément reproductibles dans l’enseignement supérieur, via la création de campus sans tabac. 

Certains outils sont également pertinents, car bien ancrés dans notre époque, grâce à leur digitalisation et/ou la multiplicité de leurs formats.  Dans le domaine de la nutrition, des jeux rendent la thématique accessible de manière ludique comme l’escape game santé-nutrition Escape NutriGame » ou encore le supermarché virtuel « Epidaure Market » développé par le pôle Prévention de l’Institut contre le cancer de Montpellier.  

D’autres programmes, comme le Pass’Santé Jeunes, développé par l’IREPS Bourgogne Franche Comté, autour de l’information en santé intéressent par leur articulation au niveau local. Ce sont autant de sources d’inspiration.   

En Belgique, le FARES, en tant qu’asbl, a des ressources et des moyens parfois limités pour évaluer ses activités. Comparer les actions similaires aux nôtres, permet de conforter le choix d’outils de prévention, de confirmer l’efficacité de certaines méthodes d’intervention et de confirmer les directions prises, tout en y ajoutant les nuances et nouveaux points de vue apportés par ces projets.  

Une réflexion que le FARES pourra continuer de mettre à l’œuvre, avec ses partenaires du secteur, dans la volonté continue d’innover en promotion de la santé auprès des élèves belges. 

Références

La santé des élèves au cœur de la politique éducative  

Pierre Laloux, Institut de Recherche Santé et Société (IRSS), UCLouvain 

Ce colloque m’a laissé une impression remarquable : il existe une multitude de projets de promotion de la santé, dont beaucoup de projets interventionnels développés en milieu scolaire. En France, ces projets couvrent des thématiques très vastes allant de l’hygiène bucco-dentaire, au sommeil, en passant par la protection contre le soleil, et la nutrition…, mais surtout, ces projets semblent être développés sur des bases solides. 

Le système français présente trois aspects qui paraissent être des moteurs non négligeables pour la réussite des interventions. 

Premièrement, la santé des élèves est au cœur de la politique éducative. Les initiatives en la matière sont donc soutenues par le Ministère de l’Education nationale, qui est d’ailleurs le seul à avoir la charge du système scolaire. Son programme va au-delà de l’enseignement, puisqu’il inclut aussi la vie scolaire (bien-être, santé, aide) dans ses priorités. 

Deuxièmement, il est important de souligner que ces projets sont soutenus par une variété impressionnante de financeurs. Ce facteur n’est pas des moindres pour construire un projet en profondeur. 

Enfin, l’accent est systématiquement mis sur l’évaluation, qui est un élément fondamental lors de l’implémentation d’une intervention. L’évaluation permet de déterminer l’efficacité de celle-ci, mais aussi de comprendre les mécanismes sous-jacents à sa réussite ou son échec. Des éléments sur lesquels de futures interventions peuvent se bâtir. 

Nous aurions tout intérêt à ce que tous ces aspects fassent partie de nos réflexions pour envisager l’avenir de la promotion de la santé en milieu scolaire en Belgique francophone. 

La démarche « Ecoles promotrices de santé » à l’épreuve de sa mise en œuvre 

Chantal Vandoorne, collaboratrice scientifique à ESPRIst-ULiège et représentante de la Fédération wallonne de Promotion de la Santé à la Commission PSE 

Le concept « Ecoles promotrices de santé » (HPS pour Health Promoting School , en anglais) a été défini à l’aube des années 1990 par Trefor Williams et Ian Young, puis promu quelques années plus tard par des organismes internationaux dont le Conseil de l’Europe, l’OMS, et l’Union Internationale de Promotion de la santé et d’Education pour la santé. Ce modèle organisait de manière structurée les différentes dimensions sur lesquelles agir pour que la vie à l’école soit porteuse de santé et d’apprentissages en santé. Les différents leviers sont ainsi structurés en trois pôles 

  • les activités menées de manière explicite et structurée au sein du curriculum, pédagogique ; 
  • les caractéristiques de l’environnement scolaire qui influent sur la santé (l’organisation du temps et des espaces, le contexte relationnel, les services de santé scolaire, etc.) ; 
  • les autres milieux de vie qui entourent l’école (famille, quartier et communauté locale, milieux de loisirs). 

Une démarche était associée à ce concept : elle prévoyait notamment un état des lieux de ces dimensions pour chaque établissement scolaire, la participation des communautés éducatives à celui-ci et à la définition de priorités pour l’action, une approche globale de la santé incluant une diversité de thèmes… La Belgique a participé activement à la diffusion de cette démarche entre 1995 et 2005. 

Plusieurs ateliers et tables rondes organisés dans ce colloque furent donc l’occasion de découvrir l’évolution de ce concept, récemment remis à l’avant plan par l’OMS et la chaire UNESCO « Educations et santé »8. On découvrira des recherches participatives qui éclairent les processus et conditions pour implanter et soutenir de telles démarches (projet multipartenarial ALLIANCE), la construction collaborative d’un outil d’accompagnement pour une labellisation EPSA « Ecole promotrice de santé » (Carine Simar), des expérimentations diverses à l’échelle de l’un ou l’autre d’un établissement.  

La question est de savoir si l’ensemble des contributions de ce colloque peuvent se revendiquer de l’adhésion à ce modèle des « Ecoles promotrices de santé » ? Ou au contraire, faut-il distinguer les initiatives « Ecoles promotrices de santé » (plus globales, systémiques, participatives et échelonnées dans le temps) d’autres programmes ou projets diversifiés qui participent au vaste courant de la promotion de la santé en milieu scolaire ? Dans un prochain article, nous approfondirons ce questionnement en revisitant l’évolution des dispositifs et démarches de promotion de la santé en milieu scolaire au cours des trente dernières années en Belgique francophone. 

Mieux définir le champ et les spécificités de la promotion de la santé en milieu scolaire  

Olivier Costa, médecin coordinateur PSE, formateur éducation patient-communication santé. 

Si, de manière évidente, cette confrontation aux diverses présentations induit la remise en question ou l’enrichissement des pratiques, il est intéressant de décaler le regard, de prendre de la hauteur sur le champ même de cette recherche et d’essayer d’y voir ce qui fait la spécificité « scolaire » de cette promotion de la santé. Tout comme il est important de définir de manière plus précise, le concept, le champ, les méthodes d’intervention spécifiques et probantes de cette approche de la santé. Car il s’agit d’un enjeu réel pour sa pérennité que de donner une identité à la promotion de santé à l’école.  

Comme le laisse entrevoir la variété des interventions de ce colloque, la promotion de la santé à l’école semble se construire autour d’interventions individuelles et collectives qui visent (ou devraient viser) à émanciper les élèves en santé. On pourrait y voir, en filigrane, des champs d’interventions, des objectifs, des méthodes d’interventions présentées (quand elles proposent l’explication des dispositifs utilisés), une forme d’intégration – ou pas –  d’actions de prévention, de promotion et d’éducation.  

Côtoyer, c’est faire germer. Et là, surgissent des questions sur l’intérêt de développer une approche plus salutogène des interventions, sur l’impact d’une intégration des interventions collectives et individuelles, sur la place d’actions articulées des services de santé de première ligne et de l’école. On pourrait aussi se questionner sur ce qu’apporterait l’intégration des champs de l’éducation des patients et de la promotion de la santé à l’école dans l’accompagnement de la scolarité des enfants vivant avec une maladie chronique. 

Je me rends compte que je rentre en Belgique avec bien plus de questions que de réponses, mais n’est-ce pas là l’essence de la recherche ?  

Pour conclure :

Les auteurs espèrent que ces contributions croisées inciteront les acteurs en Fédération Wallonie Bruxelles et leurs autorités de tutelle à intensifier les réflexions collectives, les rencontres scientifiques et à stimuler l’innovation au bénéfice de la promotion de la santé en milieu scolaire.

Pour poursuivre les réflexions engagées, l’INCa coordonne un numéro hors-série de la revue Global Health Promotion dédié à des recherches et des réflexions en promotion de la santé en milieu scolaire. La publication en open access et en francais est prévue début 2025. L’UNIRES (Réseau des Universités pour l’éducation à la santé) publiera en complément un ouvrage rassemblant des contributions présentées lors de ce colloque.

Ces diffusions, nourries de travaux présentés durant l’événement et de réflexions collectives issues du colloque, permettront de diffuser largement à la communauté internationale les retombées de cet événement scientifique. Dans l’attente de celles-ci, le lecteur pourra consulter avec profit les résumés des communications évoquées ici sur le site de l’INCa.