Face aux ravages croissants du sida, le discours des églises ne tient plus. Les responsables religieux de Bangui, longtemps opposés à l’usage du préservatif, en favorisent aujourd’hui la promotion.
La grande salle de réunion du centre catholique Jean XXIII de Bangui est pleine à craquer. Catholiques, protestants, chrétiens de tous bords et musulmans suivent avec attention la présentation des méthodes de prévention du sida. Pascal Bond Roseneau , l’officiant, expert national de la lutte contre le Vih/sida, tire de son sac un préservatif qu’il présente à l’assistance. Puis, il montre pas à pas les conditions à respecter pour bien l’utiliser, tout en vantant l’efficacité de cette méthode de prévention.
Une démonstration qui était impensable il y a une dizaine d’années. La promotion du condom se heurtait alors à la résistance farouche des chefs spirituels. L’Enquête démographique et de santé en Centrafrique réalisée en 1995 avait d’ailleurs relevé que la position intransigeante des religieux était une des causes de la propagation de la maladie. ‘ Pour les croyants , promouvoir le préservatif c’était encourager la débauche , comportement condamnable par les Saintes Écritures ‘, regrette Richard Betchem Mamadou , coordonnateur du Réseau centrafricain des jeunes pour la lutte contre le sida (Recajes).
Les fidèles les plus touchés
Aujourd’hui, les positions ont évolué, suite à la montée du sida. D’après une enquête réalisée l’an dernier par le Recajes sur un échantillon de 16 églises (dont 8 catholiques) choisies dans la seule ville de Bangui, 17 % des jeunes chrétiens seraient infectés par le sida, un taux supérieur à la moyenne nationale, estimée en 2003 à 15 %. Un chiffre qui place la Centrafrique en tête des pays d’Afrique centrale les plus touchés par la pandémie et au 10e rang mondial.
Lors de l’apparition du sida en Centrafrique au début des années 80, ‘ Beaucoup de pasteurs pensaient que cette maladie ne concernait pas l’Église qui est appelée à vivre la sainteté . Quelque temps après , les leaders religieux ont finalement compris qu’elle n’épargnait personne ‘, explique Patrice Kouzoukéssé , pasteur de l’Église apostolique de Miskine II à Bangui. Les responsables religieux ont ensuite été très touchés par les décès qui se multipliaient parmi leurs fidèles, même parmi les plus en vue. ‘ D’où ce changement de position en faveur de la promotion du préservatif qui était considéré au départ comme une abomination ‘, conclut P. Kouzoukéssé.
La sensibilisation des croyants à l’utilisation des préservatifs et leur distribution sont devenues de plus en plus courantes dans les églises centrafricaines. ‘ Les jeunes élèves des églises appartenant à l’Alliance évangélique en Centrafrique manifestent aujourd’hui un grand désir d’utiliser le préservatif pour se protéger contre le sida ‘, témoigne ainsi Raymond Ndakalla , administrateur de l’Union des jeunes chrétiens (UJC) de Centrafrique. Ces derniers temps, des pasteurs font ouvertement campagne pour le préservatif sur les ondes des radios nationales. Ils expliquent qu’il n’est pas donné à tout chrétien, être charnel, de rester chaste et fidèle.
Cependant, au sein de la hiérarchie de l’Église catholique, le discours officiel qui condamne l’utilisation du préservatif entre personnes non mariées n’a pas varié. ‘ L’Église a toujours prôné la fidélité , l’abstinence , le rapport sexuel dans le mariage . L’Église recommande l’usage du préservatif uniquement à un couple dont l’un des éléments est atteint du sida . L’homme doit être à la hauteur des doctrines de l’Église ‘, soutient fermement Aimé Benjamin Agboko , curé de la paroisse Saint-Michel à Bangui.
Le préservatif, roue de secours
Mais, en pratique, les prêtres tolèrent de plus en plus la promotion du condom. ‘ Les préservatifs sont même vendus dans la cour des églises . Cela n’est plus un tabou ‘, confirme Félix Yangana , l’un des responsables de la chorale de cette paroisse. ‘ Au départ , les prélats défendaient la thèse de l’abstinence et de la fidélité en espérant convaincre les fidèles . Un enseignement qui malheureusement ne cadre pas très exactement avec l’attitude des jeunes chrétiens . D’où l’urgence pour l’Église catholique d’encourager la sensibilisation massive en faveur du port du préservatif afin de sauver de nombreuses vies humaines ‘, ajoute-t-il.
Pour l’abbé Nicaise Poukré , curé de l’église Saint Mathias, qui préconise un véritable changement de comportement sexuel des jeunes catholiques, le condom n’est pas la panacée mais ‘ je suis d’avis que pour toute formation sur la prévention du vih / sida , dit-il, il y ait démonstration du port du préservatif , parce que quoi qu’il en soit , c’est une roue de secours ‘.
Chez les musulmans, les imams ne s’opposent plus ouvertement au préservatif. L’Union des musulmans centrafricains (Umc) a, par exemple, organisé en 2001 une sensibilisation des filles musulmanes libres sur l’utilisation du préservatif. ‘ Un pas important dans cette campagne contre le sida ‘, se réjouit Aladji Ali Bardé , premier vice-président de l’Umc. Il reste optimiste et entend mettre son expérience au profit de tous les imams de Bangui.
Jules Yanganda , InfoSud Syfia