Février 2007 Par V. HUBENS J. LAPERCHE Initiatives

Dans les deux articles précédents, nous avons rappelé ce qu’est le risque cardio-vasculaire global. Nous avons également présenté les premiers résultats du dépistage de ce risque, réalisé en Communauté française en 2004 auprès de 3200 patients par 80 généralistes volontaires. L’article d’aujourd’hui présente les premiers résultats du suivi de ces patients dépistés.
Pour rappel, en 2004, huit associations de généralistes de la Communauté française ont participé à une recherche-action initiée par le Ministère de la santé en Communauté française. Les médecins généralistes avaient pour mission de dépister le risque cardio-vasculaire global chez 90 de leurs patients réguliers de 30 à 75 ans pris au hasard.
Il leur était ensuite demandé d’inviter les patients ayant été dépistés à risque à une consultation pour parler de la gestion de leur risque cardio-vasculaire. Nous présentons ici les premiers résultats de cette consultation spécifique.

Combien de patients répondent à l’invitation?

48% des patients de 30 à 75 ans fréquentant les consultations de médecins généralistes présentent un risque cardio-vasculaire à gérer (risque élevé, risque moyen et fumeur isolé), soit 1 patient sur 2.
Dans notre projet 1573 patients étaient concernés. Les médecins en ont invité 1003, soit 64% d’entre eux, à revenir à une consultation spécifique dans le mois qui suivait la consultation de dépistage.
Pourquoi 64 % et non pas 100%?

Tableau 1 – Raisons de non-proposition de rendez-vous dans le mois à des patients à risque (n=736)

Réticence, patient pas prêt

28%
Patient déjà pris en charge 19%
Sujet déjà abordé (avant ou ce jour) 17%
Rendez-vous fixé plus tard 15%
Refus de la prise de sang; patient pas revenu 6%
Pas opportun, autres priorités 4%
Autres raisons 3%

Parmi les patients invités, plus de deux tiers (70%) ont été revus par leur médecin-traitant dans le mois qui a suivi le dépistage, comme demandé par l’étude.
Ceci indique que les patients sont ouverts à la prévention et au dialogue, si leur médecin leur propose une telle démarche. Cela confirme d’autres études sur le sujet.

De quoi parle-t-on avec ces patients?

Un outil particulier est proposé aux généralistes pour l’accompagnement des patients à risque: le guide d’entretien (1). Ce guide a été construit avec des généralistes français, dans le cadre d’une thèse de santé publique.
Ce guide d’entretien suggère au médecin qui revoit le patient à risque quelques questions lui permettant de rencontrer le monde du patient, de parler avec lui de ses projets de vie, de ses envies et de ses possibilités de changement. Il identifie les préférences du patient dans le choix des sujets de discussion (tabac, alimentation, activité physique, excès de poids…).
Il s’agit ici d’un outil destiné à aider le médecin dans l’accompagnement de son patient. L’objectif est bien entendu de trouver des pistes permettant de travailler avec le patient autour des facteurs de risque qui le concernent, dans une négociation commune et une confiance réciproque.
La philosophie de ce guide est de se centrer sur le monde du patient, de soutenir une approche positive de sa santé. Le point de départ de la réflexion commune du patient et du médecin est donc la vie quotidienne et la santé du patient et seulement ensuite, les maladies ou les risques de maladie vécus par le patient.

Tableau 2 – Thèmes abordés avec les patients à risque revus dans le mois (n= 702)

Projets de vie

41,2%
Perception santé 65,1%
Connaissances, perceptions prévention maladies cardio-vasculaires 62,0%

Il est peu habituel pour les médecins généralistes d’aborder globalement la santé et les projets de vie du patient en-dehors d’une demande du patient ou d’un contexte de plainte, de souffrance ou de maladies. Les projets de vie sont ainsi abordés moins souvent, le médecin ne voit peut-être pas d’emblée l’intérêt de cette approche. La perception subjective de sa santé par le patient lui-même par contre, a pu être abordée dans les deux tiers des cas et les connaissances préalables du patient sont également prises en compte.

Tableau 3 – Les comportements à risque pour la santé cardio-vasculaire

Thème

Risque élevé Risque moyen Fumeur isolé
Alimentation 75% 68,7% 19,7%
Exercice physique 65% 60,1% 40,8%
Excès pondéral 46,7% 44,8% 11,8%
Tabac 35,7% 29,4% 88,2%

Parmi ces thèmes, très classiques, ce sont les questions de l’alimentation qui sont le plus souvent abordées avec les patients présentant un risque cardio-vasculaire élevé ou moyen. L’exercice physique et l’excès de poids sont ensuite discutés.
Des changements autour de l’alimentation paraissent-ils plus vulnérables? Plus familiers? Plus réalistes? Plus concrets?
Bien évidemment, avec les patients fumeurs qui n’ont pas d’autre facteur de risque, c’est essentiellement du tabac dont on parlera.

Tableau 4 – Changements souhaités, soutien de l’entourage

Thème abordé

Total
Possibilités de changement 54,3%
Souhaits de changement 52,0%
Soutien de l’entourage 31,5%

Les questions d’un changement possible sont toujours cruciales et difficiles. C’est tout le domaine de l’éducation thérapeutique où les sciences humaines viennent au secours de la médecine. Les médecins sont cependant peu formés à ces approches.
Dans ces résultats, la question du changement est abordée explicitement avec la moitié des patients concernés. Par contre, le soutien de l’entourage, de la famille est peu abordé par ces médecins… de famille. Une ressource concrète méconnue? Cet accompagnement qui dépasse parfois les sujets habituellement discutés entre le généraliste et son patient prend-il beaucoup de temps? Pas plus que celui d’une consultation habituelle pour plus des 2/3 des entretiens réalisés, soit maximum 15 minutes. Cependant, 30 % des entretiens ont dépassé les 15 minutes.

Cette recherche-action est conçue et réalisée par et pour des généralistes rassemblés au sein de l’asbl Promotion Santé et Médecine Générale, née d’un partenariat entre la Société Scientifique de Médecine Générale et la Fédération des maisons médicales et créée à la suite du projet.
Elle a continué en 2006: affiche pour la salle d’attente, documents pour les patients, cadastre des ressources locales pour l’accompagnement des patients présentant un risque cardio-vasculaire, formation et discussion de cas de suivi de patients à risque cardio-vasculaire identifié.
Des intervisions et les prémisses d’un travail en partenariat sont prévues pour 2007.

Conclusions

Dépister le risque cardio-vasculaire global chez les patients de 30 à 75 ans est réaliste et faisable. Les premiers résultats parus dans le numéro précédent l’ont bien montré.
Suivre les patients dépistés et proposer un accompagnement à la moitié d’entre eux qui présentent un risque vasculaire identifié est une autre paire de manches!
Les praticiens doivent faire appel à ce que nous apportent les sciences humaines (pédagogie, psychologie, sociologie), investir dans le relationnel pour espérer un changement de comportement.
Un accompagnement visant à modifier progressivement les habitudes de vie et à apprendre, si nécessaire, comment manger autrement, ne plus fumer, reprendre une activité physique régulière ou perdre du poids… n’est possible que dans un climat de confiance réciproque, d’informations mutuelles, de négociations entre les recommandations idéales et la réalité de la vie quotidienne de chacun, du patient d’abord mais aussi du médecin.
Il s’agit pour les généralistes de rencontrer le monde subjectif du patient, de parler avec lui de ses projets de vie, ses envies et ses possibilités de changement, ses préférences dans le choix des sujets de discussion (tabac, alimentation, activité physique, excès de poids…). Ce n’est pas facile, des encouragements sont nécessaires, tant pour les patients que pour les soignants.
Les prochains articles vous présenteront une partie de ces outils et le nouveau contexte de la promotion de la santé en Communauté française dans lequel s’inscrit ce projet.
Jean Laperche , médecin généraliste, Valérie Hubens , chercheur en santé publique
Adresse des auteurs:
Jean Laperche, Fédération des maisons médicales, Boulevard du midi 25/5, 1000 Bruxelles. Tél.: 02/514 40 14. Fax: 02 514 40 04.
Valérie Hubens, Chercheur en Santé Publique, Asbl Promotion Santé et Médecine Générale, c/o SSMG, rue de Suisse 8, 1060 Bruxelles. Tél.: 02 533 09 82.
Cette série d’articles est également publiée par la Revue de médecine générale de la Société scientifique de médecine générale.

(1) UCL-RESO (collectif): guides d’entretien et de suivi pour maladies chroniques, UCL-RESO, Bruxelles, 2002, 2 pages.