Cette recherche se base sur les données du volet belge francophone de l’enquête HBSC de 2014. Dans cette recherche, l’objectif général a été d’explorer les liens entre la présence de fatigue matinale et la faible qualité de vie liée à la santé chez les élèves fréquentant l’enseignement secondaire francophone, à partir de la 4e secondaire.
L’enquête HBSC
Il s’agit d’une grande enquête internationale, réalisée tous les 4 ans dans plus de quarante pays d’Europe et d’Amérique du Nord, et placée sous l’égide du Bureau régional de l’Organisation Mondiale de la Santé pour l’Europe.
Les objectifs de cette enquête sont de collecter des informations sur les comportements de santé des adolescents (alimentation, tabagisme, niveaux d’activité physique, consommation d’alcool, etc.), sur leur santé et leur bien-être (santé physique et psychosociale), sur les déterminants associés à ces indicateurs (situation démographique et conditions de vie des jeunes), ainsi que sur l’évolution de ces indicateurs dans le temps.
Ainsi, les données récoltées sont d’une grande utilité, car elles permettent d’orienter, et mettre en place des actions ciblées et adaptées en promotion de la santé.
Sommeil et qualité de vie
L’adolescent et le sommeil
L’adolescence est une période charnière de la vie, entre l’enfance et l’âge adulte durant laquelle des changements physiques, psychologiques et sociaux interviennent. C’est également une période de construction de la personnalité, de recherches et d’expérimentations diverses, au cours de laquelle des comportements sont adoptés pour perdurer éventuellement tout au long de la vie adulte.
Le sommeil, quant à lui, est un élément clé du développement physique et psychologique des enfants et des adolescents. Une récente revue de la littérature a notamment rapporté qu’une plus longue durée de sommeil était associée à une plus faible adiposité, un meilleur contrôle des émotions, un meilleur rendement scolaire et à une meilleure qualité de vie.
Cependant, au cours du développement pubertaire, les pratiques de sommeil tendent à changer. Ces changements peuvent être attribués tant à des facteurs biologiques que psychosociaux.
En effet, d’une part, le processus biologique de régulation du sommeil est modifié : apparition d’un « retard de phase » physiologique, décalant l’heure du coucher et du lever, ainsi qu’un temps d’endormissement plus long chez les adolescents plus âgés.
D’autre part, le contexte psychosocial (processus d’autonomisation, confrontation vis-à-vis de l’autorité parentale sur l’heure du coucher, …) et les changements comportementaux liés à la période de l’adolescence (sorties plus fréquentes, activités extra-scolaires, usage intensif des écrans, etc.) influencent également les pratiques de sommeil à cette période.
Le cumul de ces différents facteurs amène à ce que le coucher soit progressivement retardé au cours de l’adolescence, bien que les besoins restent les mêmes. Malheureusement, pour la plupart des adolescents, le système scolaire impose un horaire de lever plus précoce les jours d’école par rapport aux weekends, alors que leur heure de coucher tend à être de plus en plus tardive, créant ainsi un déficit de sommeil qui ne peut être que partiellement rattrapé le weekend.
Qualité de vie liée à la santé
La qualité de vie liée à la santé est, quant à elle, une des composantes de la qualité de vie. Il s’agit de «l’impact de la santé d’un individu (physique, mentale, sociale) sur la qualité de vie globale ». L’inadéquation du temps de sommeil par rapport aux besoins est associée à des perturbations physiques, intellectuelles et émotionnelles, touchant les différentes dimensions de la qualité de vie .
À notre connaissance, peu d’études se sont intéressées à la relation entre le déficit de sommeil des adolescents et leur qualité de vie liée à la santé. L’intérêt d’étudier cette relation se situe dans le fait que cela revient à mesurer l’impact global (physique, mental, social) du déficit de sommeil . Il faut souligner néanmoins que cette relation peut être envisagée de façon bilatérale. D’une part, l’inadéquation du temps de sommeil peut mener à des perturbations, touchant les différentes dimensions de la qualité de vie. D’autre part, une faible qualité de vie liée à la santé peut se traduire par des symptômes physiques et psychologiques qui à leur tour, peuvent avoir un impact sur le sommeil.
Mesurer la qualité de vie liée à la santé demande de faire appel à des outils spécifiques. L’outil Kidscreen10, utilisé dans le questionnaire de cette enquête, a permis le calcul d’un score de qualité de vie liée à la santé. Une valeur de ce score inférieure à 38 indiquait pour les adolescents concernés une tendance « à se sentir malheureux, incapables et insatisfaits vis-à-vis de leur famille, de leurs relations avec leurs pairs et leur vie à l’école ».
Les analyses ont été réalisées en tenant compte des caractéristiques sociodémographiques et comportementales associées. Dans un second temps, des analyses complémentaires ont été effectuées pour prendre en compte la fréquence des symptômes physiques rapportés par les élèves. La présence de fatigue matinale a été considérée comme un indicateur de déficit de sommeil.
Résultats principaux
Parmi les 4 538 élèves de notre échantillon d’étude, 23,1 % ont rapporté une faible qualité de vie liée à la santé et 58,4% d’entre eux ont déclaré se sentir fatigués au moins une fois par semaine le matin pour aller à l’école.
L’analyse des facteurs associés à la qualité de vie liée à la santé a montré que les filles étaient proportionnellement plus nombreuses que les garçons à rapporter un faible score de qualité de vie liée à la santé. Les élèves vivant en famille monoparentale ou recomposée, comparés à ceux vivant avec leurs deux parents, et les élèves dont la famille était perçue comme pas très à l’aise financièrement, comparée aux familles perçues comme aisées, ou très aisées financièrement, étaient également plus nombreux à rapporter un faible score de qualité de vie (tableau 1).
Les comportements défavorables à la santé (tabagisme, consommation de cannabis, de boissons énergisantes, et la sédentarité) étaient également plus fréquemment rapportés chez les adolescents ayant rapporté un faible score de qualité de vie liée à la santé (Tableau 2).
Le déficit de sommeil est associé à une plus faible qualité de vie liée à la santé
Une analyse simple de la relation entre la présence de fatigue matinale et la qualité de vie a montré que les élèves rapportant un sommeil insuffisant étaient près de trois fois plus susceptibles d’obtenir un faible score de qualité de vie liée à la santé par rapport aux autres.Lorsque nous avons pris en compte l’ensemble des facteurs pouvant intervenir dans cette cette relation, la fatigue matinale restait toujours associée à un faible score de qualité de vie, quels que soient le genre, la structure familiale, le ressenti de l’élève par rapport à la situation financière familiale et les comportements de santé tels que le temps consacré par semaine à une activité physique, ou la fréquence de consommation de boissons énergisantes.
Le rôle intermédiaire des symptômes physiques
Afin de contribuer à la compréhension de la relation entre le déficit de sommeil et la qualité de vie, nous avons choisi d’étudier le rôle intermédiaire possible des symptômes physiques (mal au dos, mal au ventre, irritabilité, vertiges, …) rapportés par les élèves.
Environs quatre élèves sur dix (42,8%) ont rapporté ressentir plus d’un symptôme par semaine au cours des six derniers mois. Au plus ces symptômes étaient fréquemment rapportés, au plus l’élève était susceptible de rapporter un faible score de qualité de vie.
La prise en compte des symptômes dans les analyses a eu pour effet d’atténuer l’association entre la fatigue matinale et la faible qualité de vie. Ceci montre qu’une partie de l’effet, c’est-à-dire, un plus faible score de qualité de vie liée à la santé rapporté par les élèves, pouvait être expliqué par la présence de ces symptômes, notamment, celui d’irritabilité.
Cette étude illustre ainsi la complexité des relations existant entre les différentes dimensions (physique, psychologique, sociale) de la qualité de vie liée à la santé, chacune pouvant être influencée par les autres.
Promouvoir un sommeil suffisant pour une meilleure qualité de vie
Le sommeil est un besoin fondamental souvent perturbé et modifié durant l’adolescence. L’inadéquation du temps et de la qualité du sommeil par rapport aux besoins est liée aux différentes dimensions de la santé, les adolescents ayant un sommeil insuffisant étant davantage susceptibles de rapporter une faible qualité de vie liée à la santé.
Vu le rôle clé de la qualité du sommeil sur la qualité de vie des adolescents et des conséquences néfastes de la dette de sommeil sur leur santé actuelle et future, le sommeil des adolescents devrait être davantage traité comme une question de santé publique.
Les acteurs de promotion de la santé et les professionnels qui travaillent auprès des adolescents et de leurs familles ont un rôle important à jouer dans la prévention des troubles du sommeil, plus spécifiquement auprès des publics les plus vulnérables afin :
- d’informer sur les conséquences d’un manque de sommeil tout en évitant de moraliser ou culpabiliser ;
- et de renseigner sur les facteurs et habitudes qui influent négativement sur le sommeil et sur les astuces et conseils qui au contraire le favorisent.
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