En janvier 2001, le Ministère de la Santé a mis en place, en France, avec le soutien de tous les ministères et institutions concernés, le Programme National Nutrition Santé (PNNS) dont l’objectif général était (et reste) d’améliorer l’état de santé de la population en agissant sur le déterminant majeur que représente la nutrition.
Un rapport remis l’an dernier au ministre de la santé donne des éléments de bilan tant quantitatif que qualitatif du PNNS 2001-2005, et propose un certain nombre de recommandations pour la mise en place de nouvelles stratégies pour la suite du PNNS2 (2006-2008).
Grands principes positifs
Pour la période 2001-2005, le PNNS1 prévoyait un ensemble d’actions et de mesures ayant comme finalité de promouvoir, dans l’alimentation (et l’hygiène de vie en rapport avec l’alimentation) les facteurs de protection, et de réduire l’exposition aux facteurs de risque vis-à-vis des maladies chroniques et, aux niveaux des groupes à risque, de diminuer l’exposition aux problèmes spécifiques.
Neuf objectifs nutritionnels prioritaires chiffrés (sur l’alimentation, l’activité physique et le statut nutritionnel) ont été retenus pour cette période par un comité d’experts en nutrition et santé publique. Ces objectifs pragmatiques ne visaient pas à couvrir de façon optimale l’ensemble des problèmes nutritionnels de la population française. Il s’agissait de propositions «raisonnables» et ciblées, suffisantes pour permettre une amélioration significative de la situation nutritionnelle en France.
Dans l’esprit des concepteurs du programme, le fait d’atteindre ces objectifs chiffrés ne constituait pas une fin en soi, mais le niveau de réduction des facteurs de risque ou de promotion des facteurs de protection, tels qu’ils ont été retenus paraissait suffisamment raisonnable sur la période de temps considéré, pour permettre un impact réel significatif à plus long terme sur la morbidité et la mortalité. A côté des 9 objectifs visant l’ensemble de la population, neuf objectifs nutritionnels spécifiques ont également été définis visant des populations particulières.
Sur un plan opérationnel, pour atteindre les objectifs définis, le PNNS 2001-2005 proposait de développer un ensemble d’actions, de mesures, voire de réglementations autour d’axes stratégiques orientés vers la communication, l’information, l’environnement nutritionnel et l’offre alimentaire. La base conceptuelle et les stratégies mises en place se sont appuyées sur les conclusions du rapport du Haut Comité de la Santé Publique (HCSP) «Pour une politique nutritionnelle de santé publique en France: enjeux et proposition» publié en septembre 2000.
Véritable plan de santé publique, ce programme associait également la formation, la recherche, la surveillance et l’évaluation multisectorielle. Le PNNS associe, depuis son lancement, tous les acteurs concernés dans son Comité de pilotage: l’ensemble des ministères (santé, agriculture, consommation, éducation nationale, jeunesse et sport, lutte contre l’exclusion et la précarité, sujets âgés, intérieur, recherche), les agences sanitaires (INPES, InVS, AFSSA), la CNAM, la Mutualité française, le Conseil national de l’alimentation, l’INSERM, l’INRA, l’Association nationale des industries alimentaires, les associations de consommateurs, les associations des Maires de France et des Départements de France et divers experts scientifiques (la grande distribution et la restauration collective ont été associés plus récemment).
Les actions mises en place ont été orientées vers différentes cibles: population générale, groupes à risque, professionnels de santé, professionnels de l’éducation, travailleurs sociaux, collectivités locales et territoriales, monde associatif et acteurs économiques.
Toutes les actions mises en place depuis 2001 ont toujours reposé sur un ensemble de grands principes fondamentaux: le respect du plaisir, de la convivialité, et de la gastronomie; une approche positive, fortement orientée vers la promotion des facteurs de protection, ne se situant jamais dans le champ de l’interdit; le développement de messages toujours adaptés aux modes de vie; la synergie, la complémentarité et la cohérence des messages et de l’ensemble des actions développées. Ceci tout en respectant la liberté et le plaisir que représente, notamment dans notre pays, l’acte alimentaire.
Bien qu’imparfait, le PNNS a le mérite d’être un vrai plan de santé publique, agissant sur l’ensemble des secteurs concernés et ayant visé différentes cibles: consommateurs/usagers/citoyens, professionnels relais (santé, éducation, travailleurs sociaux…), les opérateurs économiques (production, transformation, distribution, restauration collective…). Il a montré l’articulation entre le niveau national (développant le cadre de référence et jouant un rôle incitatif) et le niveau loco-régional avec une implication forte des collectivités territoriales (régions, départements, villes) et du monde associatif. Il a fait appel à la complémentarité des approches: communication, information, éducation, sensibilisation, actions sur l’offre alimentaire et l’environnement nutritionnel (incluant alimentation et activité physique).
Les éléments de bilan du PNNS1
Les éléments d’évaluation concernant les actions développées, les mesures mises en place et les outils conçus dans le cadre du PNNS 2001-2005 présentés dans le rapport ne sont en aucun cas une évaluation globale du PNNS permettant de juger de l’impact de l’ensemble des moyens mis en oeuvre sur les objectifs nutritionnels fixés en 2001.
Cette évaluation objective (prévue lors de la mise en place du PNNS) est programmée pour 2007 et s’appuiera principalement sur les résultats de l’Étude nationale nutrition santé (ENNS) qui fournira des données sur les indicateurs des objectifs du PNNS, au niveau d’un échantillon de 6000 personnes représentatif de la population française. L’évaluation réelle sera réalisée par un évaluateur externe (Inspection générale des affaires sociales, IGAS) qui aura la charge d’évaluer l’état d’avancement des objectifs fixés et d’évaluer l’ensemble des processus mis en œuvre dans le cadre du PNNS.
Cependant les éléments disponibles en termes quantitatifs montrent que plus de trois-quarts des actions prévues ont été réalisées, notamment en ce qui concerne les axes portant sur la communication / information / éducation, le développement de la recherche et la mise en place de moyens de surveillance nutritionnelle. Les scores d’adéquation sont moins bons pour les axes impliquant le système de soins et les acteurs économiques et surtout celui visant à développer des mesures et actions destinées à des groupes spécifiques de population.
Par contre, il faut noter que de très nombreuses actions non prévues initialement dans le PNNS ont été également ajoutées en cours de développement du programme.
Ce rapide bilan met en évidence que, loin d’être dispersé (comme cela lui est parfois reproché), le PNNS, pour atteindre ses objectifs, a agi de façon complémentaire et cohérente sur l’ensemble des leviers nécessaires et au niveau des multiples professions, lieux et terrains d’actions qui, dans le champ de la nutrition, sont particulièrement nombreux. Des éléments peuvent être considérés comme positifs (mise en place de la plupart des actions programmées, mise au point d’un cadre référentiel reconnu et aujourd’hui incontournable), mais des points négatifs existent (retards dans la programmation des actions, insuffisance des moyens, faible mobilisation de certains acteurs…). Finalement on peut reconnaître que le PNNS 2001-2005 a permis de développer un cadre référentiel et de créer une dynamique qui a touché l’ensemble des acteurs concernés par le champ de la nutrition.
Cependant la conception et le développement des outils nécessaires à l’établissement du cadre référentiel et la mise en oeuvre des actions et des mesures proposées en 2001 ont nécessité une large et longue concertation que justifiait la nécessité de l’appropriation, par chaque acteur, d’une nouvelle démarche de santé publique novatrice. Ceci explique, en partie, le retard observé dans l’avancement pratique du PNNS. Certes, une grande majorité des actions et mesures prévues dans le programme en 2001 ont été mises en place aux niveaux national et local. Cependant, pour la plupart, leur plein développement n’est cependant intervenu que tardivement (notamment à partir de 2003), et leur impact, même s’il a déjà pu avoir certains effets, ne s’est vraisemblablement pas encore manifesté de façon optimale.
D’autre part, la loi relative à la politique de santé publique et son rapport annexé, qui fixe des objectifs de santé pour l’horizon 2008, reprennent les niveaux des objectifs majeurs du PNNS tels qu’initialement prévus pour 2005.
Ces différentes raisons et notamment le calendrier fixé par la loi justifient pleinement le maintien pour le PNNS 2 du chiffrage à atteindre pour les 9 objectifs spécifiques du PNNS. De plus, aucun élément suffisamment objectif et global ne permet de connaître la situation à la fin de l’année 2005. Les résultats de l’étude ENNS initiée sur le terrain en janvier 2006 et destinée à cette mesure ne seront pas connus avant 2007.
Les 3 plans d’actions du PNNS 2
Ils comprennent un total de 26 actions concrètes dans le cadre d’une grande mobilisation nationale pour la promotion de la nutrition.
Les propositions faites en vue de prolonger le PNNS et d’inscrire la nutrition comme une politique de santé publique à long terme, s’inscrivent dans la ligne directe des acquis des cinq premières années. Elles s’appuient sur le cadre référentiel déjà développé, sur la dynamique mise en place au niveau de l’ensemble des acteurs impliqués, et sur les grands principes fondamentaux du PNNS.
Ceux-ci associent, dans une finalité d’objectifs de santé scientifiquement validés, les dimensions de plaisir, de gastronomie, de convivialité, de partage et de culture. Les propositions poursuivent l’option affirmée dans le PNNS de recherche permanente de cohérence des messages, de complémentarité et de synergie des différentes actions. Elles s’appuient également sur l’expérience acquise au cours du fonctionnement du premier PNNS, sur les analyses faites et l’évaluation des actions pilotes ou études-actions mises en place depuis 2001 (par exemple en termes de communication, de mise en place de réseaux, de relations avec les opérateurs économiques…).
Ces propositions ne sont plus des recommandations générales mais des propositions d’actions concrètes et pragmatiques visant à se donner les moyens d’atteindre les objectifs nutritionnels de santé publique fixés dans le PNNS. Elles doivent être organisées selon un calendrier adéquat, qui devra vraisemblablement se prolonger au delà de 2008.
Ces propositions se veulent résolument efficaces et visent à réduire les inégalités en terme d’accès à une alimentation favorable à la santé (réduction de la fracture nutritionnelle qui se développe en France avec un écart qui se creuse avec les populations défavorisées sur le plan économique, qui apparaissent particulièrement vulnérables sur le plan nutritionnel, associant risque élevé d’obésité et de carences).
Les propositions pour le PNNS 2 sont organisées autour de 3 axes correspondant à 3 plans d’actions donnant lieu, pour chacun, à des stratégies complémentaires regroupant diverses modalités d’action. Depuis 2001, le PNNS a montré la nécessité absolue d’un travail permettant d’agir conjointement sur la promotion de la nutrition dans une finalité de prévention globale, le dépistage précoce et la prise en charge des troubles nutritionnels et de leurs conséquences sur la santé. Ceci nécessite un travail impliquant de multiples acteurs, qui débordent largement les seuls professionnels du champ de la santé, du domaine social ou de l’éducation. Il est indispensable d’associer le secteur public, seul en charge de l’orientation des politiques et des stratégies nationales, les collectivités territoriales qui agissent avec les compétences que la loi leur confère en faveur des populations qu’elles représentent, les multiples professionnels relais, les usagers, et le secteur privé dont le soutien à la cause de la santé publique et l’implication dans le domaine d’activité qui lui est propre sont essentiels à l’atteinte des objectifs fixés.
C’est pourquoi ces propositions d’actions doivent être replacées dans le cadre de la mise en place d’une grande mobilisation nationale pour la promotion de la nutrition.
Plan d’actions 1 – «Prévention nutritionnelle globale : offrir à tous les conditions d’une alimentation et d’une activité physique favorable à la santé. Rendre réellement réalisables les repères de consommation du PNNS».
Ce plan comprend un ensemble d’actions et de mesures destinées à promouvoir une alimentation et des comportements, qui, tout en respectant le plaisir et en étant adaptés aux différents modes de vie, participent à la prévention des grandes maladies chroniques (cancers, maladies cardiovasculaires, ostéoporose), diminuent les risques d’obésité (et ses co-morbidités associées) et de dénutrition. Il est orienté autour de deux stratégies majeures.
Améliorer l’offre alimentaire et la pratique d’une activité physique suffisante :
-faciliter l’accessibilité pour tous et donner du plaisir à consommer les aliments de bonne valeur nutritionnelle et dont la consommation doit être accrue. Cette stratégie qui vise la population générale développe plus particulièrement des actions ciblées spécifiquement vers les enfants et les populations les plus vulnérables économiquement;
-optimiser la qualité nutritionnelle des aliments mis sur le marché tout en respectant leur qualité gastronomique, sans nuire à leur accessibilité pour tous;
-faciliter l’accès, sur les lieux de vie, à une activité physique quotidienne, partie intégrante du mode de vie, facile et plaisante.
Orienter la demande des consommateurs :
-renforcer une communication (nationale et de proximité) très orientée sur la mise en pratique et la facilité à tendre vers les repères de consommation et leur faisabilité quels que soient les modes de vie, les goûts ou les moyens économiques;
-donner une information pratique et simple pour orienter les choix des consommateurs au moment de l’acte d’achat;
-étendre les actions d’éducation nutritionnelle accessibles à tous, particulièrement à destination de populations à faible niveau d’éducation;
-garantir une cohérence des messages.
Plan d’actions 2 – «Prendre en charge l’obésité de l’enfant et de l’adulte»
Ce plan s’appuie sur un système intégré dans le bassin de vie permettant de garantir une prise en charge adaptée de l’obésité (infantile et adulte), décloisonnée, concertée et multidisciplinaire. Ce système devra prendre en compte les dimensions somatique, psychologique et sociale de l’obésité, assurant une cohérence de la prise en charge des personnes et luttant contre la stigmatisation. Ce plan s’appuie sur plusieurs stratégies:
-mettre en place des systèmes de prise en charge de l’obésité des enfants et des adultes avec des professionnels formés sur des bases valides, travaillant en réseaux au niveau régional, et dont les réseaux sont coordonnés au niveau national et articulés sur un dépistage efficace en amont;
-positionner l’enjeu de santé de l’obésité et lutter contre la stigmatisation des obèses à tous les niveaux de la société.
Plan d’actions 3 – «Améliorer la prise en charge transversale de la dénutrition ou de son risque, notamment chez le sujet âgé (en ville et dans les établissement de santé et médico-social)»
Ce plan met en oeuvre une prise en charge transversale de la dénutrition ou de son risque, notamment des sujets âgés, avant, pendant et après l’hospitalisation, en s’appuyant sur diverses stratégies:
-actualiser la formation de l’ensemble des professionnels de santé et les professions relais (travailleurs sociaux, conseillères en éducation familiale et sociale, encadrants d’activités de loisirs, aidants de sujets âgés dépendants…);
-développer les outils et les moyens utiles à la reconnaissance, dans les lieux de vie des sujets âgés, des risques de dénutrition;
-mettre en place un système d’alerte et de prise en charge de la dénutrition en ville et à l’hôpital.
La finalité de ces trois plans est de développer conjointement des actions pragmatiques et efficaces dans les domaines de la promotion de la nutrition (prévention globale) et de la prise en charge des problèmes nutritionnels destinées à l’ensemble de la population avec des actions spécifiques orientées vers des groupes vulnérables. Il est certain que les populations défavorisées (au delà des seules populations en situation de précarité) constituent un groupe particulièrement vulnérable. Il s’agit donc de réduire les différences en termes d’accès à une alimentation et à une activité physique favorables à la santé entre les populations les plus favorisées et celles moins favorisées économiquement, de lutter contre les inégalités en termes d’accès à la prise en charge et aux soins des populations les plus affectées (jeunes, défavorisés…) et de limiter les différences régionales.
Quels moyens pour quelles fins
Les moyens à mettre en oeuvre doivent permettre:
-d’articuler les différentes politiques publiques (santé, alimentation, éducation, économique, sociales, jeunesse et sports, ville, recherche…) tant au niveau national que loco-régional. Ceci implique de disposer des moyens de coupler une gestion technique et une gestion politique du PNNS2;
-de disposer des moyens financiers et humains à la hauteur des enjeux de santé publique (et de lutte contre les «inégalités alimentaires»), notamment par la mise en place d’un Fonds national de promotion de la nutrition (FNPN);
-d’instaurer un nouveau dialogue et une participation active des opérateurs économiques du champ de la nutrition par l’adhésion, sur une base volontaire, à des chartes d’engagement formalisées;
-de créer un véritable élan national mobilisant l’ensemble des acteurs concernés pour atteindre les objectifs fixés (professionnels de santé, monde de l’éducation, travailleurs sociaux, associations, villes et autres collectivités locales et territoriales, entreprises…).
Les 26 actions concrètes préconisées dans le rapport et les mesures proposées pour les réaliser constituent un ensemble de stratégies qui permettent de prendre en compte les diverses dimensions de la nutrition.
La mise en place et le succès de ces actions nécessitent une volonté ferme des divers intervenants concernés (sous la coordination des pouvoirs publics) de s’impliquer fortement dans une finalité de santé publique. Il est indispensable d’agir à divers niveaux, au même moment, et dans une cohérence globale si l’on souhaite relever le défi d’atteindre les objectifs fixés et obtenir une amélioration de la santé des Français.
Chaque segment de la société doit être partie prenante de l’effort, tant l’alimentation et l’activité physique constituent des éléments du quotidien discutés en permanence par chacun.
A l’issue du PNNS 2001-2005, nous avons vu que des frémissements existent au niveau des objectifs nutritionnels fixés. Il est nécessaire de prolonger, multiplier sur le territoire national entier et renforcer l’effort engagé. La mise en place de nouvelles actions et mesures au cours des trois années à venir permettra de mesurer d’ici trois ans (2009-2010) les effets globaux sur des indicateurs précis dont les mesures de base seront disponibles lors de la publication des résultats ENNS (2006-2007). Les mesures d’indicateurs économiques de l’offre alimentaire pourront également fournir des éléments d’évaluation pertinents.
Enfin une évaluation spécifique des principales mesures mises en place, et de leur effet sur les objectifs fixés, devrait permettre de juger de la nécessité de maintenir ou de réorienter ces mesures dans le futur.
Serge Hercberg , Professeur de Nutrition Faculté de Médecine Paris 13, Directeur de l’U 557 Inserm/U1125 Inra/Cnam et de l’USEN (InVS/Cnam/Paris13), Directeur du CRNH Ile-de-France, Vice-président du Comité Stratégique et Président du Comité de pilotage du PNNS
Article publié dans le n° 96 (juillet-août 2006) de Cholé-doc, bimestriel édité par le Centre de recherche et d’information nutritionnelles. Avec l’aimable autorisation du CERIN.