Dans les espaces urbains touchés par la paupérisation, les sphères de l’intime se fragilisent. Les relations entre hommes et femmes se détériorent, le rapport à soi et au corps est affecté.
Pascale Jamoulle , anthropologue à l’UCL et au Service de santé Le Méridien (St-Josse-Ten-Nood à Bruxelles), a mené une enquête de terrain auprès des habitants de plusieurs quartiers populaires, dont celui de la gare du Nord. L’enquête, relatée dans son livre ‘ Fragments d’intime . Amour , corps et solitude aux marges urbaines’ (La Découverte, 2009), explore la vie émotionnelle, affective et sociale d’adultes et de jeunes de toutes origines, souvent marquées par l’exil.
Son travail met en lumière trois dynamiques de précarisation sociale et intime: les errances et solitudes de la vie en rue, les tensions entre traditions et modernité au sein des communautés issues de l’immigration, l’exploitation et l’hypersexualisation des corps.
La Fondation Roi Baudouin a proposé récemment trois débats de midi au départ de ce travail, en lien avec ses propres actions en matière de justice sociale, avec comme fil rouge cette question essentielle: quels enseignements tirer de l’écoute approfondie des publics les plus fragilisés, sur le plan des pratiques professionnelles et des politiques publiques?
Les trois rencontres ont rencontré un très vif succès, auquel la passion avec laquelle Pascale Jamoulle partage son travail n’est sans doute pas étrangère. Nous avons eu la chance d’en suivre une.
Celle-ci, qui tournait autour des relations de genre dans les quartiers immigrés, nous permit de mieux appréhender la réalité du ‘cocon turc’, avec sa forte paupérisation, ses écoles ghettos, ses mariages arrangés voire imposés, qui restent la voie la plus sûre pour venir vivre dans notre société beaucoup moins accueillante aujourd’hui qu’hier.
Pascale Jamoulle relate aussi la dégradation des relations entre filles et garçons, à l’école et en-dehors de l’école (d’aucuns plaidant même pour un recul par rapport à la mixité dans les établissements d’enseignement), les conflits intergénérationnels autour du choix libre ou non du mariage.
Le débat permit de se rendre compte que Flamands et francophones de ce pays n’ont pas la même conception de l’intégration, les premiers imposant aux migrants des cours leur permettant de mieux appréhender les valeurs de notre société, cours souvent interprétés par les francophones comme une machine idéologique flamande pour manipuler les consciences. Bien belge, tout ça! En somme, le ‘code’ a changé, mais tout le monde ne le sait pas encore!
Il revint à Manu Goncalvès (coordinateur ‘Précarité et santé mentale’ à la Ligue bruxelloise francophone pour la santé mentale, et ‘fier d’être à la fois belge et portugais’…) de tirer quelques leçons du débat, avec un plaidoyer élégant pour le métissage et le ‘communautaire’ au sens noble du terme.
Christian De Bock