Après les moments forts du festival et les interviews de quelques personnes-clés, voici le palmarès de l’édition de cette année, avec bien évidemment une attention particulière au lauréat ‘éducation et promotion de la santé’.
Dans la session Environnement et Santé
1er prix: Homo Toxicus , de Carole Poliquin (2008)
Mention spéciale: Mâles en péril , de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade (2007)
Dans la session Santé mentale
1er prix: La dernière tentation , de Claude Couderc (2009)
Dans la session Santé et Travail
1er prix: La mise à mort du travail – la destruction , de Jean – Robert Viallet (2009)
Dans la session Multimédia
1er prix: Raconte – moi l’hôpital – les mots pour le dire (DVD distribué par l’Hôpital Érasme – ULB)
Mention spéciale: Tous ensemble au Collège (DVD distribué par Les Films du Sud)
Dans la session Mutualités
1er prix: Secrets de plantes – L’if aux frontières de la vie , de Jean – Luc Bouvret (2009)
Mention spéciale: Mon frère , mon sang , de Michèle et Bernard Dal Molin (2008)
Dans la session Médicale
1er prix: L’oeil de verre , de Frédéric Compain (2008)
2e prix: Hidden Heart , de Cristina Karrer et Werner Schweizer (2008)
3e prix: La vie en tête , de Sophie Bensadoun (2009)
Mention spéciale: Des chauves – souris et des hommes , de Jean – Marie Migaud et Jon Kalina (2009)
Mention Solidarité: Harouna , Aboubacar , Zeinabou – Enfants du Noma , de Christian Lajoumard (2009)
Mention Recherche et didactique: Chirurgie extrahospitalière de la cataracte , d’ Albert Galand (2009)
Dans la session Éducation et Promotion de la santé
1er prix: Tabou , d’ Orane Burri (2009)
2e prix: Demain , j’irai mieux , de Dominique Henry et Vincent Detours (2008)
3e prix: L’enfance sourde , de Brigitte Lemaine (2008)
Mention spéciale: Les mots du scrabble , de Mathias Desmarres (2007)
Dans la session Biodiversité et Santé – MIF – Sciences
1er prix: Les médicaments du futur – l’océan pharmacien , d’ Ariel Nathan (2009)
Mention spéciale: Un vaccin dans la boue , d’ Annamaria Talas (2008)Pour en savoir plus sur les films en compétition et primés, rendez-vous sur http://www.imagesante.org , ou demandez au CLPS de votre région un exemplaire du catalogue de films distribué lors du Festival.
La liste des films en compétition disponibles à la Médiathèque peut être obtenue auprès de Christel Depierreux, Service Éducatif de la Médiathèque, Place de l’Amitié, 6 – 1160 Bruxelles, tél. : 02 737 19 29, fax : 02 737 18 88, courriel : christel.depierreux@lamediatheque.be, Internet : http://www.lamediatheque.be .
Tabou
Un film d’Orane Burri, 1er Prix du Jury Éducation et Promotion de la santé
C’était il y a un peu plus de dix ans, le 2 octobre 1999. Thomas se donnait la mort d’une rafale de fusil d’assaut, après avoir tenté en vain de s’ouvrir les veines et de prendre des médicaments. Le jeune homme laissait à ses proches, en guise de testament, plusieurs heures d’enregistrement vidéo retraçant les sept derniers mois de sa vie.
Thomas avait 22 ans. Passionné de cinéma, il tournait des courts métrages avec ses copains. Mais dans les derniers mois de sa vie, sa caméra lui a surtout servi de confidente: tous les jours ou presque, Thomas s’est filmé dans l’intimité de sa chambre, en cachette. Il a confié à la caméra tout ce qu’il ne voulait pas avouer à ses proches: son mal-être, sa frustration, sa résolution de mourir. Et son étrange excitation face à «ce projet très grave, très beau, très grand».
Dès le premier enregistrement, daté du printemps 1999, Thomas annonce qu’il n’attend plus rien de la vie. « Mon rêve absolu , c’est d’être réalisateur de films . Mais je ne vais pas y arriver . Je ne fais presque rien depuis mon bac . Ce qui me dérange , c’est de n’arriver à rien artistiquement . Si je n’y arrive pas maintenant , quand est – ce que j’y arriverai ?»
Au sentiment d’être un raté s’ajoute la déception amoureuse. C’est là qu’intervient Orane Burri, la réalisatrice, à l’époque âgée de 17 ans. «Orane, c’est une jeune fille qui fait de la vidéo», résume Thomas dans un de ses premiers enregistrements. Ils se sont rencontrés lors d’un concours de jeunes réalisateurs. Elle l’obsède, mais se refuse à lui. « Je n’arrête pas de penser à elle . Je vis complètement dans les fantasmes et je suis frustré parce que ça loupe à chaque fois . Cette histoire , je vais en parler jusqu’à la fin de ma vie .»
Convaincu que sa vie est un échec, Thomas a décidé que sa mort sera un chef-d’œuvre. Son «grand projet», comme il le désigne, c’est de tout faire pour que son suicide surprenne et impressionne son entourage. Il va donc s’employer à ne rien laisser paraître de son mal-être autour de lui. Surtout, il va s’employer à tout planifier, avec une rigueur méthodique et un apparent détachement. On le voit ainsi disserter sur le moment le plus opportun pour se donner la mort: « Je ne vais pas me tuer au milieu de l’été . Les gens seront en vacances , ça n’intéressera personne . J’hésite à le faire plutôt à la rentrée .» Plus tard , il confie à la caméra que « s’ouvrir les veines , c’est le sommet du romantique , avec la pendaison ».
Mais le plus important, dans cette mise en scène macabre, ce sont les enregistrements. Thomas sait que le témoignage vidéo qu’il laisse à ses proches provoquera la stupéfaction et l’émotion: « Quelqu’un fera peut – être quelque chose de ces cassettes un jour , un film , un vrai film .»
Plus tard, il ajoute: « Ce que je veux , c’est laisser une trace derrière moi . Je veux que les gens trouvent incroyable ce que j’ai fait . C’est totalement égocentrique . »
Obsédé par la réussite de son «projet», Thomas semble peu se soucier de la souffrance des autres. Lorsqu’il songe au moment où sa mère trouvera son cadavre, il admet que «ça va peut-être détruire sa vie», mais il ajoute: « C’est ma vie . Je m’en fous pas mal de ce que ça fait aux autres .»
Là est toute l’ambiguïté de ce témoignage, à la fois bouleversant et choquant. Comment ne pas se sentir ému par le désespoir de Thomas, et en même temps dérangé par ce besoin de mettre en scène son suicide? Ses proches eux-mêmes s’avouent encore déroutés par son geste. « Je ne savais rien de ce qu’il faisait », confie Eva Putsch, la mère de Thomas. « Il était gai , joyeux , plein d’humour . Il a sciemment caché toutes les traces de ce qu’il préparait . Il nous a tous manipulés . ( 1 )»
L’avis d’Éducation Santé
C’est sans doute une fierté malsaine qui a poussé Thomas à mettre en scène sa mort, il a laissé cette vidéo pour que quelqu’un en fasse un jour quelque chose. Comme le dit très justement sa sœur, il voulait se tuer mais sans doute pas mourir… Il devait aller jusqu’au bout pour ne pas perdre la face. Sa mère ajoute même que, dans les derniers moments où il filme sa propre mort, il a du mal à en finir, il n’a plus de force, peut-être même plus l’envie d’en finir, mais il faut qu’il aille jusqu’au bout de son «projet».
Tabou est un film poignant, dérangeant… On ne comprend pas l’acte de Thomas, ni la mise en scène qu’il a faite autour de son suicide. Par moment, on lui en veut même pour son égoïsme et la froideur avec laquelle il confie ses plans à la caméra. Il semble vouloir en finir avec une certaine forme de souffrance mais le côté théâtral de la chose dérange!
Rencontre avec Orane Burri, réalisatrice du film
Éducation Santé : Qui était Thomas pour vous exactement ? Vous vous connaissiez depuis longtemps ?
Orane Burri : Un amateur de court métrages vidéos comme moi, rencontré dans un concours de vidéo pour les jeunes. Je ne l’ai connu qu’un an (il avait déjà prévu de se suicider). Je n’avais aucun lien avec son entourage. Il était un électron libre dans mon propre entourage, avec lequel j’avais des conversations plus profondes qu’avec d’autres amis de mon âge.
ES : À qui Thomas avait-il laissé ses vidéos? Étiez-vous mentionnée comme ‘héritière’ de ce triste testament?
OB : Il n’y a pas de testament, ça serait trop simple. Mais il y avait suffisamment de phrases laissées de-ci de-là pour laisser entendre que ces cassettes étaient destinées à devenir un film, et j’étais la seule personne dans son entourage à me diriger vers le cinéma, il le savait…
ES: Quelle a été la réaction de l’entourage face à cette mise en scène?
OB : Sa famille a respecté le choix de Thomas et a respecté à la lettre les instructions laissées par Thomas pour l’enterrement. Ca a été morbide pour tout le monde et très douloureux.
ES : Tout le monde a-t-il eu le courage de visionner les cassettes?
OB : Non, seuls la police, sa mère et moi avons vu les cassettes.
ES: Quel a été votre sentiment en les visionnant?
OB : Beaucoup de sentiments… Colère, haine, tristesse, culpabilité, comme toute personne vis-à-vis d’un suicide je crois, avec ou sans cassettes…
ES: Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de les regarder et d’en faire un film?
OB : Je ne me sentais pas prête, je n’avais que 17 ans à l’époque. J’avais décidé de ne pas regarder les cassettes tant que je n’avais pas pris la décision de faire le film, et cela m’a pris du temps pour décider. Il était hors de question de voir les cassettes si je prenais la décision de ne pas faire le film.
ES : Qu’est – ce qui vous a poussée à utiliser ce témoignage de cette façon ?
OB : Un des pièges, c’était justement l’ambiguïté du personnage de Thomas. Il y avait de sa part une certaine volonté qu’un film existe. Il imaginait sans doute un film totalement centré sur sa personne. Mais, pour moi, il était hors de question de glorifier le personnage. Je n’ai pas fait ce film pour obéir à sa dernière volonté mais pour aider les gens à comprendre ce qui peut pousser un jeune homme à se donner la mort. À ce titre, le témoignage de Thomas est unique, parce qu’il montre de l’intérieur les réflexions d’un suicidaire.
ES: Thomas était vraisemblablement amoureux de vous et vous a déclaré sa flamme. À cette époque, vous rendiez-vous compte que quelque chose ne ‘tournait pas rond’?
OB : Je pressentais qu’il y avait quelque chose de lourd derrière lui, mais je ne savais pas quoi. J’ai eu peur lorsqu’il m’a demandé de lui parler, filmée par sa caméra dans un local, pour expliquer mon refus (après sa déclaration). J’ai refusé et exigé qu’on se voie dans un café et sans caméra. Ainsi, je me doutais qu’il tenait un journal intime vidéo. L’instinct de survie probablement…
C’est dans ce café que j’ai compris que ce «quelque chose de lourd» était son intention de se suicider…
ES: Qu’aviez-vous décelé pour lui demander s’il comptait en finir ?
OB : Il avait un pseudonyme pour ses films… Il parlait de « son côté obscur » qui lui empoisonnait la vie, il parlait du suicide de l’une de ses connaissances avec quelque chose d’admiratif… Je venais de lire « La part des ténèbres» de Stephen King, où un écrivain est harcelé par son propre pseudonyme réincarné. Ca m’a fait penser à Thomas… Je lui ai demandé pourquoi il n’essaierait pas de s’en débarrasser symboliquement… Il m’a répondu «c’est ce que je m’apprête à faire» et là, j’ai compris et je lui ai carrément posé la question, tu n’as pas l’intention de faire une connerie?
Pour lui ce n’était pas une connerie… Il a répondu non. Je ne l’ai pas cru, je n’ai rien fait. J’ai respecté son intimité…
ES: Qu’avez-vous pensé la première fois que vous avez entendu ses propos vous concernant dans les cassettes? Vous êtes-vous sentie coupable?
OB : Honnêtement, je ne sais plus exactement par quoi je suis passée comme sentiments, mais je n’ai jamais regretté une seule seconde de l’avoir éconduit. Je ne me sens pas responsable de sa mort (il avait décidé de se suicider avant qu’on fasse connaissance). Je suis passée par là au mauvais moment. N’importe quelle fille qui lui aurait porté un peu d’attention aurait fait l’affaire… Par contre, de la colère et de la tristesse et surtout un sentiment de gâchis énorme…
ES: Avez-vous des regrets vis-à-vis de Thomas?
OB : Non. Peut-être celui de ne pas avoir parlé à d’autres de cette histoire. Ils auraient pu me guider vers des personnes à même de m’aider à gérer ça et peut-être de rentrer en contact avec Thomas ou/ et sa famille… Après la question est toujours la même et la problématique est expliquée dans le film : les gens sont-ils prêts à entendre quelqu’un qu’ils ne connaissent pas les mettre en garde contre l’envie suicidaire d’un proche? J’espère que ce film permet aux gens de comprendre ce problème avant de le vivre eux-mêmes et donc de réagir un peu mieux le cas échéant.
ES: Ne vous est-il pas arrivé de le détester? Certains de ses propos peuvent faire de lui quelqu’un de méprisable, non?
OB : Oui je l’ai détesté. Méprisable, le terme est un peu fort et surtout, il porte un jugement. Il était en colère, il était pathétique, il souffrait et dans ces cas-là, on attaque pour ne pas souffrir plus… Donc oui il avait des discours d’adolescent en crise. De plus il avait un ego démesuré et un côté manipulateur assez pervers… Ca fait beaucoup de poids dans la balance pour être méprisé des autres… Mais pour moi, ce n’est qu’un effet secondaire d’une souffrance plus grande qu’il n’arrivait pas à analyser.
ES: Comprenez-vous son geste ou du moins l’expliquez-vous maintenant?
OB : C’est une question trop intime qui touche chaque individu de manière différente, je ne peux donc répondre à la place de l’autre. Après, je pense que Thomas était dans une motivation suicidaire qui s’apparente au symptôme du Phénix. L’envie symbolique de se tuer pour passer à autre chose (que l’on retrouve chez beaucoup d’adolescents)… Malheureusement il a eu à sa portée un moyen létal radical (une arme de service).
ES: Les lecteurs de la revue Éducation Santé sont des acteurs de première ligne en promotion de la santé. Parmi ces professionnels, des personnes oeuvrant à la prévention du suicide, spécifiquement chez les jeunes. Quel message voudriez-vous leur faire passer? Quel usage de la vidéo peuvent-ils faire?
OB : Il faut parler du suicide et prendre en compte l’entourage des jeunes : les amis, les parents, les profs… Ce sont eux les première balises de détresse qui seront à même d’alerter plus loin. Mais sans avoir vécu ce drame, on ne sait pas comment réagir lorsqu’on a un doute vis-à-vis de quelqu’un : souvent on ne fait rien, par respect de l’intimité de l’autre, en ne voulant pas croire, on n’ose pas poser la question « as-tu l’intention de te suicider ? » car on ne saurait pas quoi répondre en cas de réponse positive. Du coup aucun dialogue ne s’instaure et aucune évolution n’est possible dans le sens de l’ouverture, ce qui peut être fatal et très douloureux pour les proches.
Parler ne veut pas dire qu’on sauve la personne à tous les coups. Le suicide reste une décision personnelle… Mais souvent chez les adolescents, c’est une phase qui passe si la personne est accompagnée. Et elle pourra l’être seulement avec de l’aide et de l’aide de professionnels car c’est trop lourd pour les proches de porter cela sur leurs seules épaules.
Malheureusement, souvent on prend conscience de cela trop tard, parce que l’on a vécu soi-même le drame du suicide d’un proche. Ce film sert à faire vivre cette expérience aux gens pour qu’ils acquièrent cette attention à l’autre sans avoir vécu le drame eux-mêmes. C’est précieux. Qu’ils l’utilisent avec intelligence, toujours accompagné d’une discussion afin que cela soit constructif, c’est tout ce que je peux souhaiter.
ES: N’avez-vous pas peur que ce film laisse croire à certains jeunes mal dans leur peau que mourir de cette façon peut leur permettre de devenir quelqu’un? Ou pensez-vous qu’ils aient le recul nécessaire pour comprendre la gravité de l’acte de Thomas et la souffrance qu’il inflige aux autres?
OB : Non, je n’ai pas cette crainte. D’ailleurs, Thomas, dans les faits, n’est devenu personne : il est mort… Et c’est tout le problème avec le suicide. On ne devient pas quelqu’un en étant mort. Thomas n’avait rien fait durant sa vie à part quelques films amateurs en vidéo, il est mort. On en retient quoi ? Un jeune homme malheureux et mort. Je ne pense pas que cela fasse rêver… Même pour les ados qui pensent que passer à la TV change la vie, pour lui ça n’aurait rien changé. Je pense justement que Thomas n’est absolument pas un personnage qui fait rêver… Il est pathétique, il est détestable, il n’est pas sympathique. Et j’ai tout fait pour tenter de démolir ce mythe adolescent du suicide admiré comme comble du romantisme et du courage… Il me semble que ce que l’on voit c’est surtout un jeune homme perdu et pathétique qui s’enferme dans son système tellement il a peur de ne pas aller jusqu’au bout… C’est dur et moche, rien à voir avec les livres et les films que l’on peut voir adolescents…
Aussi, la souffrance infligée aux autres me semble évidente dans le film, et cela dure longtemps… Mais heureusement, la vie reprend son cours, c’est important de le souligner : on peut se remettre du suicide d’un proche. Donc, ça ne vaut pas la peine de se suicider si le but est de faire souffrir la terre entière pour prouver sa valeur et sa souffrance !
Propos recueillis par Carole Feulien (1) Extrait du site de la Télévision suisse romande (TSR), qui a diffusé le film, suivi d’un débat.