S’intéresser à la définition et à la mesure du bien-être chez les enfants et les jeunes permet d’avoir une vision globale et intégrée de leur vécu, s’opposant ainsi à la fragmentation des politiques qui les concernent. L’Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse (OEJAJ) souhaite promouvoir cette vision et soutenir la parole des enfants et des jeunes en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Présenter une vision globale et intégrée des politiques d’enfance et de jeunesse est un des buts de l’Observatoire. À cette fin, un Mémento de l’Enfance et de la Jeunesse en Fédération Wallonie-Bruxelles est publié annuellement depuis 2002. Plusieurs versions se sont succédées, aboutissant aujourd’hui à l’alternance de deux variantes, l’une sur le bien-être, l’autre sur les conditions de vie. C’est la première qui fera ici l’objet de nos considérations.
Définir le bien-être à l’écoute des enfants et des jeunes
Ce travail de mise en récit de données chiffrées s’est appuyé sur des recherches portant sur la définition du bien-être par l’enfant et sur les facteurs l’influençant. Ces recherches opèrent un glissement en replaçant l’enfant au centre des préoccupations et en refusant l’apposition d’un point de vue adulte sur un vécu qui n’est pas le sien.
L’OEJAJ a donc délibérément pris le parti de placer le bien-être subjectif de l’enfant au centre de sa publication en y donnant une place fondamentale à la parole, au vécu et aux expériences des enfants et des jeunes. Il s’agit de s’efforcer de comprendre ce qu’ils nous disent et de déceler ce qui affecte ou renforce leur bien-être. Finalement, il s’agit de reconnaître qu’ils ont leur propre regard, leur mot à dire, leurs points de vue pertinents sur ce qui fait qu’ils se sentent bien.
Certains pourraient s’interroger sur la validité d’une mesure subjective, mais comme le mentionne le 10e bilan Innocenti: «La pauvreté des enfants n’englobe pas seulement le revenu ou l’accès aux variables d’une liste donnée. Ils peuvent souffrir d’un manque d’amour et d’attention, de compétences et de disponibilité parentale, de relations sociales et de réseau communautaire, de services publics et de qualité environnementale. Il est donc nécessaire de continuer à développer des modes de suivi global du bien-être des enfants».
Le terme même de ‘bien-être’ est utilisé à tout va et de nombreux articles ont tenté d’en décrire les composantes, plus que de le définir. Mais au final, ni sa définition, ni ce qui y contribue ne font consensus. En effet, il peut être mobilisé pour décrire la qualité de vie des individus – notion elle-même souvent mal délimitée – ou bien en être un synonyme, il est parfois assimilé au bonheur ou encore à d’autres notions. Il est en général décrit comme un processus dynamique, tendu vers le futur et tournant autour de capacités à atteindre un but ou bien comme un équilibre entre différents types de ressources (psychologiques, sociales, physiques) et d’objectifs à atteindre.
Nombre d’études lient le bien-être avec d’autres travaux et concepts: travaux d’Amartya Sen sur la définition d’une vie bonne et sur les capabilités (possibilités effectives) à pouvoir atteindre cet idéal de vie, notions d’empowerment, de résilience, d’agency, etc.
À cela, il convient d’ajouter que, malgré l’abondance de recherches sur la définition et la mesure du bien-être chez les adultes, celles concernant les enfants sont bien moins nombreuses. Et régulièrement les schémas de compréhension des adultes sont appliqués aux enfants bien que des éléments prouvent qu’ils différent.
C’est pourquoi, en 2008, l’OEJAJ a commandité une recherche intitulée Ce que les enfants entendent par bien-être. Deux ans plus tard, en 2010, c’était le tour d’une recherche sur Le vécu des enfants dans la pauvreté d’être lancée. C’est donc logiquement qu’en 2012 il a été décidé d’axer la nouvelle version du Mémento sur le bien-être des enfants et des jeunes.
Pour structurer cette publication, l’Observatoire s’est appuyé sur les travaux de la Children’s Society et de l’Université de York. Ils fournissent non seulement un cadre méthodologique et de compréhension, permettant de mesurer et d’appréhender le bien-être des enfants et des jeunes, basé sur de nombreuses preuves empiriques récoltées directement auprès des 8-16 ans mais aussi un cadre d’analyse de leurs besoins et de leurs préoccupations, ainsi qu’un cadre stratégique transversal pour orienter les politiques publiques.
Grâce à la parole des enfants, les chercheurs ont établi la liste des dix domaines clés auxquels ceux-ci accordent le plus d’importance pour jouir de ce qu’ils estiment être une bonne vie. Ces domaines ont été ensuite catégorisés en six priorités:
Fragmentation des politiques versus globalité de l’individu
Du point de vue de l’action publique, s’appuyer ainsi sur la mesure du bien-être permet de capter les effets diffus des actions et d’ancrer les politiques publiques dans une vision globale et intégrée de l’enfance et de la jeunesse. C’est aussi une vision qui réfute le morcellement de la vie de l’enfant, face à des politiques trop souvent fragmentées. Soutenir cette vision, c’est appuyer l’idée qu’une action publique peut avoir de multiples répercussions dans la vie d’une personne, c’est plaider pour plus de cohérence, plus de transversalité et de coordination, horizontales ou verticales, dans la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques.
Les enjeux autour de la prise en compte et de la mesure du bien-être des enfants et des jeunes sont nombreux, qu’il s’agisse de sa définition globale et celle de ses dimensions, de la place laissée à la parole des jeunes, des techniques de collecte et d’élaboration d’indicateurs ou encore de l’analyse de ses déterminants.
Aujourd’hui, il faut y ajouter la mesure de l’impact des politiques et actions publiques sur le bien-être et l’introduction de l’utilisation d’approches basées sur les droits des enfants pour monitorer le bien-être des enfants et des jeunes. Tout un programme!
Bien-être des enfants et des jeunes en Fédération Wallonie-Bruxelles: quelques résultats
En Fédération Wallonie-Bruxelles, presque 9 enfants de 11 ans sur 10 et un peu plus de 8 jeunes de 15 ans sur 10 déclarent se sentir bien (HBSC, 2010).
Il existe une grande variabilité selon les caractéristiques sociodémographiques (genre, âge, structure de la famille, niveau de vie), mais celles-ci n’expliquent qu’une part du sentiment de bien-être. En effet, ce sentiment a une nature éminemment dynamique et de nombreux enfants passent par des moments plus ardus.
Avoir des relations positives avec la famille et les amis
La qualité et la stabilité des relations familiales et amicales sont l’élément essentiel de cette priorité. Il est frappant de constater que la structure de la famille joue peu sur le bien-être quand la stabilité est prise en compte.
La participation des enfants aux décisions, le fait d’avoir son mot à dire dans la famille, en particulier dans les décisions les touchant directement, est un autre facteur de première importance.
Enfin, pour les jeunes, passer du temps avec leur famille et leurs amis, avoir des amis en suffisance font aussi partie des éléments favorisant leur bien-être, l’isolement social menant souvent à un faible niveau de bien-être, en particulier à l’adolescence.
Le chiffre: en Fédération Wallonie-Bruxelles à 17-18 ans, moins de 3 filles sur 10 trouvent la discussion avec leur père facile (HBSC, 2010).
Mots d’enfant: «Qu’on compte pour les autres mais aussi que les autres comptent pour moi. Je suis bien si c’est important dans les deux sens. Les copines me rassurent, me réconcilient quand je pleure. C’est important d’avoir sa meilleure amie près de soi quand on pleure.»
Avoir une perception positive de soi et une identité respectée
Avoir une vision positive de soi se décline essentiellement en deux grands éléments: d’une part l’apparence et d’autre part le fait d’être respecté par les adultes et les autres enfants.
D’un côté, l’apparence se compose du look et du physique. Une apparence en dehors des normes socialement admises peut éventuellement donner lieu à des brimades, influençant négativement le bien-être.
D’un autre côté, le fait d’être respecté et valorisé passe par l’impression d’être traité de manière juste, la sensation d’être écouté et que ses opinions sont prises au sérieux.
Le chiffre: en Fédération Wallonie-Bruxelles, à 17-18 ans, 6 filles sur 10 et 3 garçons sur 10 ont moyennement ou pas confiance en eux (HBSC, 2010).
è Mots d’enfant: «Avec mes amis aussi quand on fait un match de football comme ça dans le quartier et bien celui qui gagne, il gagne le respect. On est fairplay, mais même si on gagne le respect il ne faut pas quand même déconner, il y a aussi des limites. […] Et pour qu’on te respecte, il faut être gentil avec tout le monde. Après un match, on a toujours le sourire que ce soit une défaite ou une victoire.»
Activités et emploi du temps: avoir les opportunités de participer à des activités épanouissantes
Disposer des opportunités de participer à des activités épanouissantes passe tout d’abord par l’accès – géographique et financier – à des activités et à des loisirs, mais aussi, tout simplement, à des espaces extérieurs.
Le second aspect essentiel de cette priorité concerne le choix et l’autonomie dont disposent les jeunes quant à leurs activités et loisirs. Les jeunes déclarent en effet un plus haut niveau de bien-être quand ils prennent part aux décisions sur leur usage du temps et qu’ils considèrent avoir un emploi du temps équilibré entre les différentes sphères de leur vie: famille, amis, temps pour soi, pour être actif, devoirs, aide aux tâches ménagères, etc.
Le chiffre: en Belgique, plus de 1 enfant sur 4 vivant dans un ménage à risque de pauvreté n’a pas d’activités de loisirs régulières (Enquête sur les revenus et les conditions de vie SILC, 2009).
Mots d’enfant: «Si je dois choisir entre jouer au foot en vrai ou avec une télécommande, je préfère jouer en vrai, c’est plus aventureux.»
Environnement de vie: disposer d’un logement et d’un environnement sécurisant
Il faut ici distinguer plusieurs niveaux:
- le quartier: des facilités (services, loisirs, aménagements) accessibles, géographiquement et financièrement, et adaptées aux enfants et aux jeunes;
- le logement: un logement de qualité (luminosité, salubrité, etc.) où l’enfant peut disposer d’une intimité suffisante (chambre individuelle);
- l’école: une école avec des aménagements adaptés (espace de repas, cour de récréation, classes agréables, WC propres, etc.), où se sentir en sécurité dans et hors de l’établissement scolaire.
Les notions de sécurité et de stabilité (du logement, familiale et scolaire) traversent ces différents niveaux. L’instabilité est en effet liée à un environnement insécurisant, mais elle peut être contrebalancée par la qualité des relations ou l’implication des parents dans la vie de leur enfant.
Le chiffre: en Fédération Wallonie-Bruxelles, 1 enfant sur 4 du 1er degré secondaire a connu un changement familial ou de domicile lors de l’année écoulée (Qualité de la vie à l’école, 2008).
Mots d’enfant: «J’aime bien être seule dans ma chambre. J’ai mis une pancarte ‘chien méchant’ sur la porte, mais ce n’est pas respecté par les autres. Dans ma chambre, j’aime chanter, danser, faire des cumulets sur mon lit ou regarder la télévision.»
Argent et biens de consommation: disposer de ce qui est nécessaire en suffisance
Concernant l’argent et les biens, l’important pour les jeunes est d’en avoir en suffisance, ni plus, ni moins, d’être en adéquation avec leur milieu de vie. Le fait de posséder une certaine autonomie financière, notamment via l’argent de poche (en même quantité que les amis), est essentiel pour les jeunes, car il permet de participer aux mêmes activités que les amis et d’expérimenter un espace de liberté de choix.
Les revenus du ménage sont un autre facteur de bien-être, mais ce qui est déterminant, c’est tout d’abord la stabilité financière et l’absence d’expérience directe de la déprivation matérielle par le jeune ou l’enfant.
Le chiffre: en Wallonie, près de 2 enfants sur 10 vivant dans des ménages à risque de pauvreté ne peuvent pas avoir de vêtements neufs pour des raisons financières (SILC, 2009).
Mots d’enfant: «Quand on est homme d’affaires, on se sent bien seulement si on a des amis et qu’on a donné de l’argent à ses parents, car c’est grâce à eux qu’on réussit.»
Disposer des conditions pour apprendre et se développer
Disposer des conditions pour apprendre et se développer passe en premier lieu par le fait de jouir d’une bonne santé, garantie d’un développement physique harmonieux.
Viennent ensuite le développement cognitif et émotionnel, favorisé par le libre accès au jeu dès le plus jeune âge, le fait de bénéficier d’une éducation, d’une instruction et d’un accueil de qualité.
Enfin, les conditions matérielles et relationnelles à l’école, dans les différents lieux d’accueil de l’enfance et à la maison viennent compléter la liste des éléments essentiels de cette priorité.
Le chiffre: presque 3 enfants sur 20 du 1er degré de l’enseignement secondaire ne se sentent pas bien à l’école (Qualité de vie à l’école, 2008).
Mots d’enfant: «[Si j’étais] milliardaire, […] j’achèterais une école, une école n’importe laquelle, n’importe comment et j’inviterais mes amis pour tout casser à l’intérieur avec mes copains. Après, je vais me sentir défoulé, fatigué. Je donnerais aussi de l’argent et des maisons à ceux qui sont pauvres.»
Les mots d’enfants sont tirés des recherches de l’OEJAJ Ce qu’entendent les enfants par bien-être (2008) et Le vécu des enfants dans la pauvreté (2010).