Depuis une vingtaine d’années, l’asbl Question Santé crée, expérimente, diffuse et surtout utilise les jeux comme support de ses actions tant en Promotion de la santé qu’en Education permanente. Cette utilisation des outils-jeux permet d’apporter ici quelques réflexions sur les avantages que représente l’usage des supports ludiques lors des activités avec différents publics.
Eric Yvergneaux est animateur pour l’ASBL Question Santé

En cette matinée de novembre 2024 dans le local fraîchement rénové d’un centre d’insertion socio-professionnelle du Hainaut, une dizaine de participant.es s’installent autour du plateau de jeu Parcours D-Stress. Pendant trois heures, sous la conduite d’un animateur, ils vont partir à la découverte du stress en jouant.
Ce jeu de plateau, qui s’adresse au plus de 15 ans, permet de sensibiliser à la problématique du stress, d’échanger sur les causes et les conséquences du stress et d’apporter des solutions afin de mieux le gérer.
La séance débute avec une question rituelle adressée aux participant.es : « quelle a été, pour vous, votre dernière source de stress ? ». Après quelques secondes de réflexion et d’hésitation, les réponses fusent : la crainte d’arriver en retard quand les transports en commun sont perturbés, la difficulté de conduire un véhicule pour certain.es, le stress des fins de mois quand on ne dispose pas de revenus importants. Les participant.es commencent à se sentir plus à l’aise et plus confiant.es. Après l’explication des règles et la formation des équipes, la partie va pouvoir commencer.
Pourquoi un jeu ?
Quels sont les avantages d’utiliser un jeu en animation en Promotion Santé et en Education permanente ?
Tout d’abord, le jeu présente un avantage social en aidant les participants à être en relation. L’aspect ludique du jeu facilite la mise en place d’une dynamique de groupe. Il va souvent jouer le rôle de « brise-glace », ce qui permet à l’animateur de gagner du temps. Placés devant un jeu, les membres d’un groupe restreint vont presque automatiquement laisser tomber les postures qui peuvent habituellement gêner l’animateur. Le jeu favorise la mise en place d’une dynamique saine et constructive. Il va créer presque instantanément des interactions, des liens voire des alliances, qui vont générer de la cohésion dans le groupe durant la partie, cohésion qui demeurera une fois le jeu terminé.
Le jeu a également un avantage éducatif. Lors d’une partie, un espace sécurisé et libre se crée sous la gouverne de l’animateur, où chacun et chacune peut s’exprimer, sans devoir affronter les difficultés du débat, ou de la confrontation à des « leaders ». Stimulé.es par l’aspect ludique, les joueur.euses vont pouvoir prendre beaucoup plus facilement un risque dans leurs prises de parole. Il s’agit là d’atouts précieux pour proposer une animation efficace, surtout si, comme c’est souvent le cas en Education permanente, l’animateur accueille des participants qui ont une maîtrise inégale de la langue française, ou des codes et des techniques de débat.
Un outil-jeu doit être mis en place avec ses règles. Seul un respect de celles-ci va permettre d’obtenir les résultats escomptés, et garantir un espace de dialogue. Sauf si… pour les besoins de la cause, on les détourne !
Le jeu n’est sans doute pas la panacée, l’outil ultime. Certains sujets ne pourront sans doute pas être abordés via un outil-jeu. Certains groupes ne seront peut-être pas directement réceptifs à cette approche, mais là, c’est l’expertise de l’animateur qui devra faire la différence.
La partie a démarré ! Les pions progressent sur le plateau. Les quizz sur le stress, les mimes, les cartes de situation, qui donnent un avantage ou le retirent se succèdent à un rythme soutenu. Les participant.es sont maintenant bien entrés dans le jeu, même les plus réservé.es d’entre eux. Ils et elles sourient, plaisantent, répondent aux questions de manière spontanée, et acceptent volontiers lors des séquences de réflexion de partager leur expérience sur le stress. La magie du jeu a fait son effet.
Et le plaisir dans tout cela ?
Si, en animation, jouer n’est pas l’objet principal, mais un moyen, il ne faudra pas oublier une des dimensions essentielles du jeu réussi : le plaisir. Le plaisir apporte la motivation nécessaire, il favorise la participation et les apprentissages. Jouer doit donc procurer aux participants des sensations, des stimulations, en un mot, du plaisir. Le jeu doit être conçu de manière à entretenir une dynamique, notamment en mettant en scène une émulation entre joueurs ou entre équipes, en les entraînant vers un objectif final, la victoire.
Lors du déroulement de ce type de séances, si l’animation « prend », les participant.es vont adopter une posture différente de celle qu’ils auraient prise lors d’une séance plus « classique ». Le jeu va leur permettre en effet de se projeter dans l’imaginaire créé par le contexte, de s’éloigner d’une réalité quotidienne qui peut être délicate ou difficile.
Amélie fait partie des participants du jour. Elle a clairement pris le leadership de son équipe. Elle réfléchit mûrement avant d’annoncer son choix et l’action qu’elle souhaite effectuer une fois son tour arrivé. Elle a vite compris ce qui lui apportait un avantage supplémentaire, et bien repéré les actions intéressantes en fonction de la position du pion de son équipe sur le plateau. Thierry, lui, ne cesse de compter les cases qui lui restent avant la ligne d’arrivée, et les points qui permettront d’y arriver. Pour lui, c’est évident, participer n’est pas la seule chose qui compte. Pierre, lui, collectionne les tirages moins favorables. Cela a tendance à le rendre un peu maussade, mais avec le jeu « Parcours D-Stress », la chance peut vite changer de camp.
Profils-type et jeu d’équilibre
Lors d’activités basées sur un jeu, certains fonctionnements types peuvent apparaître chez les joueurs. Parmi ceux-ci, on trouve le « stratège », qui risque de vite se désintéresser des dialogues pédagogiques transmis par le jeu pour ne plus penser qu’à son action suivante. Il y a aussi le « gagneur », qui va, comme son nom l’indique, accorder une très grande importance à la victoire, et risquer de passer à côté du contenu que véhicule la séance. De plus, le gagneur peut se transformer en « mauvais perdant » si l’on n’y prend garde, ce qui peut avoir un impact négatif sur la dynamique de groupe.
Certain.es participant.es peuvent également se poser la question de la pertinence d’une séance proposant un jeu, notamment dans un contexte où leur participation est contrainte (au sein de groupe de mobilisation sociale au sein de CPAS, par exemple), en ne voyant que la dimension « jeu de société » et en excluant son intérêt pédagogique.
Ces attitudes peuvent apparaître comme des écueils, mais elles sont surmontables. Surtout si la personne en charge de l’animation garde à l’esprit ses objectifs et parvient à préserver l’équilibre entre les enjeux du débat et le plaisir de jouer.
C’est finalement l’équipe d’Amélie qui a remporté la partie. Il est temps de se congratuler, éventuellement d’évacuer quelques frustrations, mais aussi de revenir sur les notions apparues durant la partie et de les exploiter.
Animer un jeu demande un.e animateur.rice !
Animer un jeu demande à l’animateur.rice de bien maîtriser les enjeux de cette activité. En plus des aspects techniques existants lors d’animations classiques, comme le choix en matière de gestion de la dynamique du groupe, du type de directivité qu’il utilise, de la nature de ses interventions, l’animateur.rice devra être attentif à la manière dont la partie évolue. La nature hybride d’une animation basée sur l’utilisation d’un outil-jeu, nécessite d’allier facilitation au niveau de la circulation de la parole, médiation parfois, et aussi, le cas échéant, régulation. En cela, et même s’il ou elle choisit une posture extrêmement discrète, l’animateur.rice joue un rôle-clé dans la réussite de la séance et la réalisation des objectifs qu’il ou elle s’est fixé.
Que des avantages ?
La nature ludique du jeu permet d’atteindre un bon nombre d’objectifs très différents. Elle favorise la dynamique de groupe, stimule et motive les participants. En cela elle facile l’animation en groupe. Elle permet également de libérer la parole, de confronter els points de vues et représentations, d’offrir un rôle actif aux participants, de favoriser les apprentissages. En cela c’est un outil pédagogique puissant.
Parcours D-Stress est le fruit d’une collaboration entre l’asbl Question Santé et Solidaris (retrouvez la fiche Pipsa).
Focus sur le Jeu : Sa Majesté Normes Ier, pour jouer avec les normes de santé
A l’occasion de son 40ème anniversaire, l’équipe Education permanente de Question Santé, à l’instigation de sa directrice de l’époque, Bernadette Taeymans, décide de produire un jeu sur les normes de santé. A l’origine, un jeu existait, « Débats Débiles », crée par Cyril Blondel & Jim Dratwa, publié aux éditions « Le Droit de Perdre » (ce jeu est utilisé régulièrement en France dans le cadre d’activités de type « Café Philo »).
Les règles du jeu de « Sa Majesté Normes Ier » sont simples : un des joueurs choisit un mot sur une carte et formule une question avec ce mot. Les autres participants du jeu devront alors répondre par « oui » ou par « non » à la question posée par le joueur. Le joueur a gagné s’il a réussi à poser une question qui divise au maximum les autres participants. En d’autres termes, l’objectif idéal est d’obtenir autant de réponses « oui » que de réponses « non » à la question posée. Le joueur qui aura réussi à poser une question qui divise le plus les participants sera couronné Sa Majesté Normes Ier !
L’intérêt de ce jeu est multiple. Il s’agit de jouer de façon rythmée, décalée, et ainsi de créer une dynamique de groupe en mettant en place une ambiance conviviale et détendue.
L’objectif final n’est évidemment pas uniquement de jouer, mais de sensibiliser les participants aux enjeux de santé et aux normes qui les sous-tendent, dans une optique commune d’Éducation permanente et de Promotion de la Santé. Questionner notre regard sur la santé, nuancer notre réflexion, notre point de vue, débattre des normes dominantes, du politiquement correct, expérimenter les différents points de vue (accords-désaccords) : argumenter et respecter d’autres points de vue que le sien, dégager des questions et thématiques de santé à développer ultérieurement ; tout cela fait partie des objectifs de « Sa Majesté Normes 1er ».