Cette femme-là vit deux passions dévorantes. L’une avec les mots au travers des livres qu’elle lit, ceux qu’elle écrit, ses articles, ses poèmes. L’autre avec le cinéma et les salles obscures qu’elle fréquente deux fois par semaine, au bas mot. Et puis il y a l’Observatoire de la santé du Hainaut, son activité de journaliste et les boulettes à la sauce tomate…«Avez-vous déjà nagé en diagonale à la piscine?» Personnellement, non. L’idée ne m’avait même jamais effleurée jusqu’à ce que je rencontre Véronique Janzyk. Elle, écharpe à pois nouée sous une mine claire, fait volontiers ce genre de pas de côté propice à décaler le regard. Elle raffole des petites expériences de philosophie entre amis, à l’instar de celles proposées par Roger Pol-Droit dans son livre éponyme.Mais revenons au bassin et à l’odeur du chlore. Véronique Janzyk va régulièrement à la piscine. Pour y nager mais aussi parce qu’elle aime à y capter les conversations des gens, les gestes des maîtres-nageurs, la sensation de son corps en mouvement dans un monde liquide. De ces instantanés glanés entre deux eaux ou au détour d’un vestiaire elle a fait des textes, puis une ébauche de recueil qui dort quelque part dans son ordinateur et dont quelques lignes s’échappent de temps à autre pour atterrir sur son compte Facebook (voir encadré). Un jour elle le peaufinera. Sur la couverture on lira ce titre: Piscine. Court, sans fioriture, un poil vertigineux.
Voir les visages en grand
Il y a longtemps que les mots collent à la peau de Véronique. «Petite, quand on m’a dit que j’allais apprendre à écrire, j’ai cru d’abord que c’était pour écrire ma vie! Je pensais vraiment, avec toute la naïveté de l’enfance, que l’écriture avait le pouvoir de changer les choses. Je le crois toujours un peu…»En 2002, Véronique Janzyk a 35 ans et publie un livre pour la première fois. L’ouvrage s’appelle Auto et comme de bien entendu, se passe dans une voiture. «Tout a commencé avec un post-it collé sur mon pare-brise», raconte la conductrice.«À l’époque, j’étais dans un état de saturation auquel contribuaient mes trajets quotidiens pour emmener ma fille à la crèche, aller travailler, retourner la chercher. Un jour j’ai voulu changer d’itinéraire et longer les champs. J’ai failli rouler sur un lapin. Un peu plus loin, un autre a surgi que j’ai vraiment écrasé cette fois. Cela m’a bouleversée. J’ai noté l’épisode sur un bout de papier. Alors soudain la route a pris sens. Pendant un an, j’ai écrit un peu tous les jours sur le trajet. Cela m’a donné une grande énergie et beaucoup de souffle.»Par la suite, il aura suffi qu’une maison d’édition créée par des professionnels du cinéma, La chambre d’écho, repère le manuscrit pour que son auteure accède au rang d’écrivain publié.Depuis, d’autres livres ont vu le jour. Notamment La Maison, l’histoire d’un chantier de rénovation interminable qui, tout autant que les lieux, chamboule sa propriétaire de fond en comble. Ou Les fées penchées, le dernier en date, paru aux éditions Onlit, composé d’une quinzaine de nouvelles mettant en scène autant de fées contemporaines, des fées qui auraient perdu leur baguette magique mais n’en resteraient pas moins des personnalités assez particulières.. «Cette fois-ci, ce sont les personnages qui ont pris les rênes pour m’emmener, moi l’auteur, là où elles voulaient», lâche-t-elle, énigmatique.Et puis il y a ce texte d’une extrême sensibilité qui relate l’amitié singulière unissant deux cinéphiles adeptes des salles obscures. Dans On est encore aujourd’hui, l’homme se prénomme Michel et la femme écrit à la première personne du singulier avec l’émotion de ceux que la séparation n’a pas encore fini d’ébranler. Véronique Janzyk s’explique: «Son image commençait à s’effacer de ma mémoire. J’ai senti que j’avais besoin de faire quelque chose de ce que nous avions partagé. J’avais envie de parler de cinéma, de la place qu’il occupe dans ma vie et de ce coup de foudre amical immédiat. Et aussi de témoigner de manière romanesque de la possibilité qu’une amitié existe entre un homme et une femme. Il y a toutes ces intentions dans le livre.»On y apprend que la narratrice ne lit jamais les critiques avant d’aller voir un film, préférant de loin la surprise de la découverte; qu’elle aime par-dessus tout voir les visages en grand; qu’elle est capable de voir quatre films d’affilée, même s’il lui faut dans ce cas déployer mille stratagèmes pour garder les yeux ouverts; que le cinéma sur grand écran est pour elle un besoin vital. «J’ai besoin d’aller au cinéma deux fois par semaine sinon je ne me sens pas bien.» Peu importe le genre: film d’auteur, d’épouvante, policier, gore, documentaire… Véronique aime sans distinction et se coule avec délectation dans la position du dormeur éveillé. La compagnie des autres spectateurs participe du plaisir car «rencontrer les gens au cinéma, c’est être embarqué ensemble et partager quelque chose.»
Mobiliser à tout prix
Flash back: début des années nonante. Véronique vient de boucler ses études de communication sociale à l’Université catholique de Louvain. «Un enseignement riche et passionnant!» Elle y a rencontré le journalisme et la promotion de la santé et veut poursuivre simultanément dans ces deux voies. Elle vit intensément sa première expérience professionnelle auprès de personnes en fin de vie atteintes du sida. À deux reprises, elle accompagne l’une d’elles dans un appartement à la montagne et passe trois semaines à ses côtés. «J’ai été frappée par l’absence de regret dont ces personnes faisaient preuve et par cette capacité à garder confiance dans l’autre jusqu’au bout. Cela m’a beaucoup marquée.»La séquence suivante se déroule à l’Observatoire de la santé du Hainaut. La structure est toute jeune et Véronique vient d’être embauchée comme chargée de communication «L’Observatoire quittait doucement sa peau d’Institut de Médecine Préventive et Sportive», se souvient-elle. Dans la province à l’époque, des cars de dépistage circulent tandis que l’Observatoire… se lance dans un programme de santé communautaire au bénéfice de la santé cardio-vasculaire.«La programmation d’éducation pour la santé et l’intervention structurelle dans le cadre d’une véritable démarche de promotion de la santé viendront en complément quelques années plus tard, avec l’arrivée de Luc Berghmans et la réorganisation complète de l’Observatoire», relate Véronique Janzyk.À mesure que se développent les actions de promotion de la santé visant à co-construire des programmes avec l’ensemble de la communauté et à intervenir sur le milieu de vie des habitants de la province, la cellule communication s’étoffe . «J’ai commencé seule», explique Véronique Janzyk. «Nous sommes maintenant six, dont trois licenciés en communication. C’est le jour et la nuit.»Il s’agit maintenant d’influer sur les comportements au bénéfice de la santé des personnes et pour cela, tous les moyens (ou presque) sont bons. Expositions, animations pour les publics, campagnes destinées à mobiliser des relais voient le jour.«Tous ces outils ont vocation à intégrer des programmes dont on espère se dégager petit à petit», souligne-t-elle. «La transmission de compétences, c’est tout l’enjeu. D’où la nécessité d’un savoir-faire en communication car promouvoir la santé et faire connaître les moyens pour y parvenir ne vont pas de soi. Par exemple, les scientifiques voudraient dire et redire l’importance de l’activité physique, quitte à répéter ce message quinze fois de suite. La presse ne l’entend pas de cette oreille et veut du sensationnel.»Alors il faut savoir argumenter auprès des uns et des autres pour articuler les deux logiques. Jouer les courroies de transmission, diront certains. La cellule communication, Véronique en tête, s’y emploie jour après jour. «La place accordée à la prévention dans les journaux diminue», constate-t-elle. «Tout comme les occasions de discuter avec les journalistes, qui sont moins présents aux conférences de presse. Nous leur fournissons des articles clé sur porte. C’est dommage car la promotion de la santé concerne tout le monde et les gens ont besoin qu’on leur en parle souvent et de diverses manières.» Elle aussi endosse le rôle de journaliste à ses heures. Parce qu’en plus du reste, les week-ends, Véronique Janzyk est aussi pigiste. «Ce à quoi j’assiste et ce que je découvre dans le cadre de mon travail à l’Observatoire me donne des idées bien sûr.» Elle propose et rédige des articles qui traitent de questions de santé pour plusieurs publications belges, dont Éducation Santé de temps en temps.Ici elle enquête sur les effets de la méditation, là sur la possibilité de mettre en place un Plan autisme en Belgique. «J’écris plus d’articles quand je suis en panne d’inspiration littéraire. C’est une façon de m’entraîner, de conserver la dynamique, le rapport aux mots et aux phrases.» Elle sait qu’écrire contribue à son équilibre. «L’écriture et la lecture, son pendant, donnent du sens à ma vie. C’est un fait: l’une et l’autre contribuent grandement à ma santé mentale. J’en déduis qu’entre la littérature et la promotion de la santé, il n’y a pas vraiment de frontière. Ou alors elle est poreuse.»
La lectrice
Parmi les initiatives proposées par l’Observatoire de la santé du Hainaut aux habitants de la province, Véronique Janzyk évoque spontanément les Midi santé, ces rendez-vous où professionnels de santé, de l’éducation et du secteur social débattent avec un invité d’un sujet de santé. On y parle aussi bien gestion de soi, activité physique des seniors, politique de lutte contre le tabagisme qu’éthique, apiculture ou encore guérisseurs.«La formule fonctionne bien et réunit 70 à 100 personnes à chaque fois. Elle a atteint son rythme de croisière avec deux rendez-vous par mois», se réjouit la chargée de communication.Elle rêve que Les Midi santé littéraires, nouveau rendez-vous lancé en 2012, connaisse pareille destinée. La formule prévoit que la discussion prenne corps à partir d’un livre en présence de l’auteur et d’un professionnel qui donne son point de vue.Véronique Janzyk croit dur comme fer au bien-fondé de l’approche: «Le livre est un bon objet de médiation. Passer par la fiction aide à libérer la parole sur des thèmes intimes, par exemple le corps et l’identité sexuelle ou le reclassement professionnel des travailleurs âgés.»Elle qui plonge tête la première dans tous les livres qu’elle croise, avec une préférence pour la littérature française, sait mieux que quiconque leur capacité à véhiculer toute la gamme des émotions. Bouleversée, elle l’a été récemment par Le don du passeur, de Belinda Cannone: «Un livre sur la transmission et sur son père. Il m’a fait l’effet d’un électrochoc, du genre de ceux qui réveillent. Je crois que je vais écrire à l’auteure.»Face au Petit éloge de la vie de tous les jours de Franz Bartelt, elle a souri, et même ri. Et pleuré à la lecture de La part manquante, signée Christian Bobin. «C’est le seul auteur à avoir ce pouvoir lacrymal sur moi. Il a la grâce ce gars-là. Sans tomber dans l’idolâtrie, ses récits sonnent tellement juste.»Pour autant, elle n’est pas dupe et sait bien que les Midi santé littéraires, pour durer, devront apporter la preuve de leur attractivité. «En promotion de la santé, tout va lentement. Les efforts n’aboutissent pas vite, des projets tombent à l’eau. Cette lenteur a de quoi décourager et elle a eu raison de certains collaborateurs à l’Observatoire. Les Midi santé littéraires démarrent doucement? Sans doute le terme ‘littéraire’ fait-il peur à beaucoup de gens. Certains pensent qu’il faut déjà avoir lu l’ouvrage pour venir et participer au débat. On va trouver un autre intitulé plus juste», annonce-t-elle.Pour pouvoir lire tout son soûl, Véronique se déplace autant que possible en transports en commun. Elle vit à Charleroi avec sa fille et travaille à Havré, ce qui fait environ une heure de lecture dans le train et le bus par trajet.À la ville et sur Facebook, elle s’indigne. Contre la maltraitance animale et la consommation effrénée de viande par exemple. En principe, elle est végétarienne, question de sensibilité extrême à la cause animale. «Mais je craque parfois pour des boulettes à la sauce tomate…»Elle milite aussi contre un arrêté communal voté à la va-vite et qui interdit la sédentarisation des sans-abri. «J’ai failli perdre l’usage de mes jambes», lance-t-elle. «Depuis j’ai la bougeotte et je ressens une nouvelle acuité physique. J’ai besoin d’aller manifester, d’être là physiquement pour porter les causes qui me semblent justes. Sans doute parce que j’ai conscience que tout peut s’arrêter du jour au lendemain.»
nager
nager
ne pas compter les longueurs
ni les heures
ne pas compter
écrire l’eau
plier fermer
fermer ouvrir
ouvrir les yeux
nager l’arbre là-bas
nager le ring et le ciel
ne pas aborder
écouter l’eau
et l’épave au fond
qui grince
nager
croire qu’on a télescopé
un autre voyageur
mais non
c’est soi-même
qu’on a éclaboussé(texte publié sur Facebook le 21 décembre 2013)
©photo : Sandra Faiella