Cet article aborde plusieurs questionnements issus de l’expérience du FARES asbl en matière de prévention du tabagisme, acquise sur une période de plus de 20 ans, et plus spécifiquement lors de la mise en place du programme pluriannuel de promotion de la santé intitulé «Tabac: recherche et développement de pistes de prévention dans différents milieux de vie des jeunes».
Les réponses aux défis inhérents à cette démarche ont été explorées et mises en œuvre avec la participation active des adolescents et des professionnels relais, ainsi que celle des partenaires de différents secteurs. En voici un résumé.
Aller au-delà de l’information sur les méfaits du produit
La consommation de tabac, comme l’usage d’autres substances psycho-actives, est un phénomène multifactoriel. À cet égard, la formulation proposée par Olievenstein est bien connue: la rencontre d’un produit, d’une personnalité et d’un moment socioculturel (1). Selon qu’on porte l’accent sur l’un de ces paramètres plutôt que sur les autres, on aura différents types d’interventions. Historiquement, la prévention en matière de tabac a mis l’accent sur le produit: ses méfaits sur la santé, l’objectif unique d’arrêt ou d’abstinence, les traitements pharmacologiques, la guerre anti-tabac.
Prévenir dans un cadre de promotion de la santé implique de mettre en avant les aspects psychologiques et socioculturels. Cela se traduit, entre autres, par la réalisation d’activités visant le développement d’aptitudes personnelles telles que la résistance à l’influence sociale, le regard critique face aux médias, les compétences en communication interpersonnelle.
Au lieu de considérer le tabagisme uniquement comme une dépendance à la nicotine, la démarche de prévention va s’intéresser au sens donné aux comportements tabagiques et aux facteurs sociaux qui les influencent. Plutôt que de se centrer sur des messages de peur, cette démarche vise à valoriser la capacité individuelle et collective à être acteur de sa santé, en lien avec son entourage. Au lieu de se baser sur l’interdiction et l’évitement de la sanction, on favorise le choix éclairé et un rapport constructif à la loi.
Dépasser l’approche thématique pour une approche globale
Voici un des défis qui provoquent souvent des situations d’impasse. En effet, il y a, d’une part, l’approche globale préconisée par la promotion de la santé, qui propose un large cadre d’actions visant à aider les populations à acquérir un plus grand contrôle sur leur propre bien-être. D’autre part, il y a des programmes de prévention qui, pour des raisons historiques et pratiques complexes, ciblent certains thèmes spécifiques (sida, alimentation, assuétudes, tabagisme, etc.). La réalité de terrain montre qu’il ne s’agit pas de contraires, mais qu’il est nécessaire et possible d’explorer les moyens de les articuler de manière cohérente.
Dans cette perspective, le Fares considère la prévention du tabagisme comme une porte d’entrée pour la réalisation de projets ouverts à des perspectives plus larges telles que la prévention d’autres assuétudes ainsi qu’à des questions de santé, de société ou d’environnement, suivant le choix des participants. Il s’agit d’une démarche basée sur les partenariats entre différents secteurs: les professionnels de la santé à l’école, les professionnels de l’éducation, les intervenants de prévention d’assuétudes, les institutions de promotion de la santé, les intervenants d’aide à la jeunesse, etc.
Se décentrer du discours de l’expert pour se centrer sur les discours des jeunes
Les jeunes ont tendance à rejeter les approches basées sur l’autorité des experts. Face à cette caractéristique, il est incontournable d’explorer toutes les possibilités d’adapter les projets à leurs besoins et à leurs attentes. D’où l’importance de commencer par les écouter et les reconnaître. Pour ce faire, il est nécessaire de mettre en route un changement majeur. Traditionnellement, la prévention est centrée sur le discours de l’expert qui apporte l’information et les bons conseils. Tandis qu’en promotion de la santé, il est nécessaire de renoncer à cette primauté. Dès lors, la priorité est de mettre en place des stratégies permettant aux «publics» d’exprimer leurs croyances, sentiments, inquiétudes, objectifs, représentations. Cela constitue déjà le début d’une réflexion collective, dans un contexte de respect de leur parole et de leurs choix.
Pour ce faire, le Fares organise des groupes de discussion, des tables rondes, différents types de rencontres avec des adolescents et des adultes relais. Le but est d’identifier les pistes d’action les plus adéquates, de valoriser leurs ressources et de s’adapter à leur contexte.
Agir avec la participation active de la population concernée
Dans les approches traditionnelles de prévention du tabagisme, la population est considérée comme récepteur de messages, d’informations, d’avertissements, d’interdictions, ce qui la situe dans un rôle plutôt passif.
En revanche, la promotion de la santé vise à favoriser l’autonomie des personnes, l’appropriation de leur pouvoir d’agir sur les facteurs déterminants de leur bien-être. En ce sens, le Fares propose des méthodes qui se basent sur l’implication active des adultes relais et des adolescents.
En effet, tous les acteurs concernés devraient participer activement à toutes les étapes: analyse de la situation, formulation d’objectifs, sélection d’actions à mener, réalisation, évaluation, suites à donner, etc. Evidemment, cela n’est jamais un point de départ. Il y a différents niveaux d’implication, souvent il n’y a qu’un ou deux professionnels intéressés, par exemple dans un établissement scolaire.
Le premier pas est donc d’impliquer d’autres personnes: une enquête auprès des élèves, l’accord de la direction, l’appui des éducateurs, la participation d’un partenaire de prévention d’assuétudes ou de promotion de la santé, etc.
Ce type de démarche assure l’appropriation et la reproductibilité des projets. En effet, les professionnels relais augmentent leurs compétences et s’outillent pour développer des projets similaires. Quant aux adolescents, ils entament une réflexion collective basée sur le dialogue entre pairs et avec les adultes qui les entourent. Le rôle de l’intervenant externe évolue également en cohérence avec la finalité d’autonomisation: d’une implication plus importante au départ, même sur le terrain, vers un éloignement progressif pour se situer finalement en tant qu’organisme ressource disponible pour prêter un appui méthodologique au cas où il serait nécessaire.
Il s’agit d’un processus complexe qui part souvent de la demande «d’une animation sur le tabac» et dont la perspective permanente est qu’il débouche sur la mise en œuvre d’un projet à moyen ou à long terme, inscrit dans une démarche plus large de promotion de la santé.
Hernando Rebolledo , Françoise Cousin , Delphine Willems , chargés de projets, Caroline Rasson , coordinatrice, et Michel Pettiaux , directeur gestionnaire, FARES asbl
Adresse des auteurs: rue de la Concorde 56, 1050 Bruxelles.
(1) «La toxicomanie surgit à un triple carrefour: celui d’un produit, d’un moment socioculturel et d’une personnalité. Ce sont là trois dimensions également constitutives.» La drogue ou la vie. Claude Olievenstein. – Paris: Robert Laffont, 1983, p. 265-273. http://www.hopital-marmottan.fr/spip/spip.php?article51