Comment expliquer le fait que l’on dépiste à nouveau plus de nouveaux séropositifs?
Il faut avant tout rappeler que les données disponibles sont bien en deçà de la réalité. Par définition, nous ne disposons que des données relatives aux personnes effectivement dépistées. Et l’on constate qu’une proportion importante de diagnostics de séropositivité sont posés lors de l’apparition de la maladie. Il y a donc une «partie invisible de l’iceberg» constituée par les personnes séropositives qui s’ignorent.
En ce qui concerne le «pourquoi» de la recrudescence des nouveaux cas, il faut sans doute invoquer un faisceau de facteurs plutôt qu’une cause unique. En outre, les fluctuations constatées dans les données épidémiologiques globales peuvent être dues à des facteurs différents selon les publics que l’on considère. Il faut avant tout avoir à l’esprit que des changements dans divers domaines peuvent expliquer ces fluctuations: il faut envisager les caractéristiques de l’épidémie elle-même, les comportements et leurs déterminants (connaissances, attitudes, estime de soi, etc.) ainsi que certaines caractéristiques de l’environnement et des politiques mises en œuvre en matière de santé.
Depuis l’apparition de nouveaux traitements plus efficaces, la chute de l’immunité est mieux maîtrisée, la durée et la qualité de vie des personnes atteintes est améliorée et l’apparition des symptômes peut être fortement retardée. Les patients ont la possibilité d’assumer une vie professionnelle et sociale, et donc aussi des relations affectives et sexuelles.
Par ailleurs, le groupe de séropositifs augmente puisqu’il y a cumul de la baisse de la mortalité et de l’augmentation de nouveaux cas, ce qui, statistiquement parlant, augmente la possibilité de relations sexuelles entre séropositifs et séronégatifs. Il serait d’ailleurs plus que souhaitable de travailler davantage avec les séropositifs dans le cadre des actions de prévention.
Le revers de la médaille des progrès thérapeutiques est peut-être le développement d’une attitude d’optimisme exagéré dans la population générale: le sida apparaît comme moins grave, n’est plus considéré comme une maladie mortelle puisque les médicaments font de l’effet. Cela va parfois jusqu’à la croyance en la guérison, la non-apparition des symptômes, la non-contamination. En clair, il y a une dédramatisation des conséquences du virus, une banalisation de la maladie: prendre un risque ne serait finalement plus si lourd de conséquences…
Il y a aussi un effet de génération: au début des années nonante, les élèves de l’enseignement secondaire commençaient leur vie sexuelle dans un contexte où le sida était très visible, tant dans les médias que dans le milieu scolaire via des programmes d’information spécifiques. Le sida est moins présent aujourd’hui dans le quotidien des jeunes et ceux-ci sont moins informés sur les risques de transmission et les moyens de se protéger.
Certains jeunes n’ont jamais eu d’information structurée à ce sujet. En ce qui concerne les programmes d’éducation affective et sexuelle, qui permettent notamment de diffuser une information au sujet du sida et des autres maladies sexuellement transmissibles, une partie des jeunes en âge scolaire n’en bénéficient pas, en particulier dans l’enseignement technique et professionnel. De plus, ces programmes intègrent rarement les questions liées aux orientations sexuelles, alors que l’on sait que les jeunes homosexuels sont particulièrement vulnérables quand ils commencent leur vie sexuelle. Les informations en milieu scolaire sont souvent dues à des initiatives individuelles d’enseignants ou d’autres professionnels.
On peut toutefois faire remarquer que si les jeunes ont évidemment besoin d’un bagage informatif sur le sida, ils ne sont pas les plus exposés, que la tranche d’âge la plus touchée est celle des plus de 25-34 ans .
Le relâchement des mesures de protection
Certains indicateurs laisseraient penser que certains groupes prennent plus de risques en raison d’une certaine fatigue à l’égard du geste préventif. Des mouvements de réaction – voire de rébellion – contre la norme instaurée par la prévention se développent aussi, même si ceux-ci concernent vraisemblablement une petite minorité de personnes.
Les chiffres montrent que chez les patients belges, la contamination par voie hétérosexuelle représente une part plus importante qu’au début de l’épidémie, même si la contamination par voie homosexuelle reste majoritaire.
Ceci dit, s’il est vrai qu’il y a des groupes spécifiques de population plus exposés, il est absolument faux de croire qu’ils sont les seuls menacés par le sida. A côté des aspects épidémiologiques, le risque est influencé par toutes sortes de situations que tout le monde peut traverser et qui rendent l’individu plus vulnérable. Et là, personne n’est à l’abri. Parmi les situations de vulnérabilité observées: un moment de dépression, une rupture amoureuse, un divorce, une perte d’emploi, ou, au contraire, l’euphorie d’une rencontre amoureuse, d’un coup de foudre…
Aspects politiques
En Belgique, il y a un large fossé entre les budgets disponibles pour la politique de prévention d’une part, qui sont de la compétence des Communautés, et ceux réservés aux aspects curatifs d’autre part, qui relèvent de l’Etat fédéral. A l’intérieur de l’enveloppe destinée à la promotion de la santé et à la prévention, les budgets alloués aux programmes de prévention du sida sont restés stables ces dernières années. Mais les budgets disponibles sont dérisoires si on les compare à ceux réservés aux soins de santé. La prévention représente pourtant un investissement pertinent dans une vision à long terme…
Il faut sans doute aussi souligner l’inexistence d’une politique cohérente en matière de dépistage, qui permettrait pourtant de réduire les coûts liés aux dépistages inutiles d’une part, et un meilleur ciblage des publics les plus exposés, d’autre part.
Des projets de dépistage de qualité, accompagnés d’un entretien individuel permettant de faire le point sur les risques encourus existent dans des structures spécialisées mais tous les professionnels de la santé ne sont pas formés pour réaliser une telle démarche. Par ailleurs, l’accessibilité au dépistage anonyme et gratuit, qui a pourtant montré sa pertinence, reste insuffisante.
Enfin, les personnes les plus fragilisées sur le plan socio-économique et sanitaire n’ont qu’un accès limité aux structures d’aide sociale ou médicale.
Source: Vladimir Martens , Observatoire du sida et des sexualités, à l’occasion de la Journée mondiale contre le sida du 1er décembre 2004.