L’adolescence a longtemps été confinée au processus de puberté biologique qui s’est vu complété plus tard, avec l’apport de la psychologie, de sa dimension psychique. Limité à cet aspect pubertaire, les études du 19e siècle sur l’adolescence se sont attelées à déceler les «troubles causés par la puberté» (goût du viol, agitateur politique, etc.) afin d’essayer d’y remédier. L’approche psychologique de la première moitié du 20e siècle va continuer dans cette direction en focalisant sur la crise adolescente.
Appréhendée sous cet angle restreint, l’adolescence a été considérée principalement comme un moment critique, comme un danger pour la société, comme une période d’immaturité, comme un vecteur de désordre par rapport à l’enfance, perçue quant à elle comme une période d’harmonie, d’obéissance et de soumission à l’adulte (Fize, 2002, p.25-29).
L’adolescence s’est vue réduite à une période de crise et il a fallu attendre, la fin des années 60 pour que cette appréhension réductrice soit remise en question. D’abord parce que cette «crise» ne concerne qu’une partie des adolescents, parce qu’elle est inconnue de certaines sociétés ritualisées, parce qu’elle n’est pas l’apanage de cette catégorie d’âge, parce qu’elle constitue un moyen de maintenir les adolescents «hors du champ des responsabilités sociales» ou encore parce qu’elle apparaît lorsqu’il y a des troubles antérieurs à l’adolescence. En outre, l’adolescent d’hier n’est pas celui d’aujourd’hui, notamment, parce qu’anciennement il n’y avait aucune période de transition entre l’enfance et l’âge adulte. Ce n’est qu’à la fin du 19e siècle, «avec le développement de l’enseignement secondaire», que l’on a vu apparaître, chez les jeunes de milieux aisés, une période de transition entre l’enfance et l’âge adulte.
Cette période de transition va ensuite, après la seconde guerre mondiale, se répandre progressivement, avec la massification de l’enseignement, à l’ensemble des couches sociales. Ce n’est donc que récemment que l’adolescent que nous connaissons actuellement avec ses valeurs, ses modes, ses usages, ses styles de vie, ses formes de sociabilité particulières prend naissance et ne se réduit plus à une transformation physique et psychique problématique (Fize, 2002, p.15-18).
Depuis, l’âge adolescent se conçoit aussi comme une période de transition entre l’enfance et l’âge adulte au cours de laquelle se construit l’identité du jeune. Construction combinant le développement individuel et social qui va amener le jeune d’une part, à se différencier, à se singulariser, pour devenir un être unique et d’autre part, à s’identifier, à s’intégrer, à se référer aux autres pour devenir un être social (Tap, 1980).
Dans ce processus dialectique entre le moi et les autres, la relation développée avec les parents et avec le réseau amical est fondamentale. D’abord, parce que dans son processus de singularisation, le jeune va se confronter aux prescrits parentaux qui vont tantôt le soutenir dans sa démarche, tantôt s’y opposer. Ensuite, parce que dans son processus d’identification, le jeune va se confronter aux autres jeunes parmi lesquels il va se constituer un réseau amical et des symboles identitaires (vêtements, goûts musicaux, manières de parler, etc.). Enfin, parce que les abus et les consommations de psychotropes peuvent, dans une certaine mesure, faire partie de ce processus parce qu’ils peuvent permettre au jeune de se découvrir, d’exprimer son autonomie envers ses parents, de tester ses limites mais aussi, le cas échéant, de se sentir reconnu et valorisé par ses pairs.
Généralement, l’influence de la famille, qui occupe une place prédominante pendant l’enfance et en début d’adolescence, va s’estomper au profit de celle des pairs au cours de l’adolescence et de l’entrée dans l’âge adulte.
La famille, de par ses valeurs, ses conduites, ses attitudes envers les consommations, son encadrement, ses relations entre ses membres va influencer cette construction identitaire. Elle peut également initier, voire inciter, les conduites à risque à l’adolescence. Cette place de la famille est importante pour ce qui est des usages «licites» tels que l’expérimentation de l’alcool ou la consommation abusive de jeux électroniques qui apparaissent en début d’adolescence. Elle est moins importante pour les usages «illicites» tels que la conduite d’un véhicule sous l’influence de l’alcool ou la consommation de cannabis qui sont davantage des conduites se développant entre pairs en fin d’adolescence.
Bien entendu, pour une majorité de jeunes, les usages et conduites adolescentes vont être limités aux prescrits parentaux ou être confinés à des conduites expérimentales circonscrites à une période spécifique avec l’accord plus ou moins tacite des parents. Il en est, par exemple, de l’expérimentation de l’ivresse ou des sorties arrosées du samedi soir qui se réalisent bien souvent avec le cachet implicite des parents.
À l’inverse, pour une minorité de jeunes, ces conduites vont débuter précocement et prendre une tournure beaucoup plus régulière et accentuée. Lorsque c’est le cas, ces conduites s’inscrivent, bien souvent, dans un processus caractérisé par une distanciation plus ou moins aiguë, voire une opposition, à l’égard de la famille. Une telle distanciation se combine généralement avec un rapprochement plus ou moins intense à l’égard des amis adoptant eux-mêmes des comportements similaires. Ce cheminement identitaire se trouve d’autant plus facilité qu’il existe au sein de la famille des caractéristiques qui vont inciter le jeune à se différencier, à s’écarter de son univers familial (perception négative des parents, relations conflictuelles parents-enfants, maltraitance infantile, dépression parentale, déficit d’affection, absence d’intérêt à l’égard des activités de l’enfant, alcoolisation parentale, etc.).
Dans ce cas de figure, les transgressions à l’égard des normes parentales (brossage des cours, consommation de cannabis, «mauvaises fréquentations», etc.) sont habituellement l’enjeu de tensions intergénérationnelles alors que, dans un même temps, elles constituent bien souvent des conduites structurant et cimentant les relations entre les pairs, devenant le symbole de l’identité sociale du jeune. Un tel cheminement se rencontre, notamment, chez une partie des jeunes en marge du système scolaire (Pavis et al., 1999; Favresse et al., 2000).
Au-delà de la sphère familiale et amicale, l’école ou plutôt les liens tissés entre le jeune et l’institution scolaire occupent également une place prépondérante dans la survenue et l’adoption des conduites à risque. Cette prépondérance se perçoit particulièrement au niveau des jeunes connaissant des problèmes d’adaptation scolaire. Ces derniers cumulent en effet les conduites à risque, s’y adonnent plus régulièrement et adoptent moins de comportements de protection. En outre, ils ont habituellement débuté ces comportements plus précocement que les jeunes qui ne connaissent pas de problèmes de scolarité (Favresse et al., 2003).
Ces problèmes d’adaptation scolaire ne peuvent se comprendre qu’en les rattachant à la fonction même de l’école. En effet, l’institution scolaire constitue non seulement un lieu d’apprentissage et d’adaptation sociale (acquisition de comportements prosociaux, transmission de valeurs et normes de la vie en société, etc.), mais également un lieu de sélection des «bons» et des «mauvais» élèves, un lieu de détermination de l’intégration socio-économique future. Cette sélection s’opère, entre autres, par le biais de l’itinéraire scolaire et des réorientations dans un univers éducatif caractérisé par une hiérarchie entre filières de formation et entre établissements scolaires (Dubet, 2000; Delvaux, 2000).
L’école, pour une majorité de jeunes, va jouer pleinement son rôle d’intégration sociale alors que pour une minorité d’entre eux, elle va se vivre comme un instrument de sanction, de dévalorisation et d’avenir hypothéqué. De telles circonstances favorisent l’attrait envers des pairs connaissant les mêmes problèmes d’adaptation scolaire ou se situant en marge du système scolaire. Ces derniers constituent une «roue de secours» pour l’adolescent en difficulté scolaire en lui permettant, entre autres, de se sentir exister socialement, d’obtenir une reconnaissance sociale et de se (re)construire une image positive. En contrepartie, il va s’adapter et se conformer aux normes et modes de vie de ce groupe en marge du système scolaire et ce, d’autant plus que ce groupe lui procure des compensations psychoaffectives et répond à ses attentes (Pavis et al., 1999, Favresse et al., 2004). Pour le jeune fragilisé sur un plan scolaire et familial, les amis proches apparaissent comme un rempart contre les événements de la vie, comme un moyen de se préserver mentalement et socialement. Si dans les cas extrêmes, le jeune se construit une identité en dehors du système scolaire, il existe également au sein des écoles des classes rassemblant des élèves connaissant des problèmes de scolarité (brossage scolaire, doubleurs) ou consommant des psychotropes (tabac, alcool, cannabis) (De Smet, 2004).
Les rapports familiaux, scolaires et amicaux ne sont évidemment pas les seuls à déterminer le développement adolescent et l’adoption plus ou moins importante de conduites à risque. Des caractéristiques personnelles (sentiment de capacité personnelle, inclination à l’anxiété, goût de l’innovation, motivation scolaire, tendance à l’hyperactivité, etc.), socio-démographiques (sexe, zone d’habitat, niveau socio-économique, etc.) ou familiales (caractéristiques personnelles des parents, interactions parents/enfants, manque de clarté des règles familiales, etc.) vont servir de fondements, vont formater l’itinéraire de vie et l’adaptation scolaire de l’adolescent (Tremblay et al., 1994; Ryan et al., 1998; Delvaux, 2000; Favresse et al., 2004; Reynaud et al., 2007; Riggs et al., 2006, cités par Roussel et al., 2008). Ainsi, l’enfant n’arrive pas «indemne» à l’adolescence. Il est lui-même le fruit d’un parcours de vie le prédisposant plus ou moins à l’adoption de conduites à risque; prédisposition qui va, le cas échéant, connaître son éclosion pratique avec l’émancipation adolescente.
De même, l’adolescent n’est pas le simple produit de ces instances de socialisation que sont l’école, la famille et les amis. Il est aussi un acteur interagissant avec ces diverses instances, se construisant un parcours personnel fait d’essais et d’erreurs, de réussites et d’échecs, de transformations du réseau amical, de confrontations raisonnées et critiques, de recherches de plaisirs, etc. Ce qui change fondamentalement à l’adolescence, c’est la transformation du rapport à soi et à l’autre, du rapport à la famille, à l’école, aux amis et à la société en général. Ce changement s’effectue généralement de façon progressive mais il peut également revêtir un caractère brusque et chaotique.
Dans l’ensemble, les résultats de l’enquête HBSC 2006 (1) confirment l’importance de ces instances de socialisation que sont la famille, les amis et l’école dans l’adoption de comportements à risque. Ils montrent clairement que les conduites à risque et abusives se développent dans un contexte de vie particulier caractérisé notamment par une prédominance des amis, par des difficultés d’intégration scolaire et par des caractéristiques spécifiques sur le plan familial. Une partie de ces caractéristiques se retrouve associée aux différentes conduites analysées plus loin. C’est le cas notamment des sorties avec les amis le soir ou juste après l’école, de la difficulté d’établir une communication avec le père ou la mère, du fait de ne pas vivre avec ses deux parents ou encore du fait de ne pas aimer l’école. D’autres traits comportementaux se retrouvent associés aux divers usages de psychotropes observés dans nos analyses tels que le brossage scolaire et le changement fréquent d’école, le fait de s’être battu ou d’avoir été agressé ou encore la multiplication des partenaires sexuels pour les plus âgés.
Sur le plan personnel, deux éléments sont transversaux à l’ensemble des conduites analysées: les plaintes régulières en matière de nervosité et la sensation récurrente de déprime. La fatigue matinale les jours d’école caractérise également plus fréquemment les adolescents consommant régulièrement des produits psychotropes et ceux abusant de télévision et de jeux électroniques. À l’inverse, les jeunes adoptant les conduites analysées dans notre étude ne ressentent pas de déficit de confiance en soi et ne se sentent ni plus malheureux, ni plus heureux que les jeunes n’adoptant pas ces types de comportements.
Les résultats de nos analyses laissent ainsi entendre qu’en général les consommations de psychotropes et les conduites abusives à l’adolescence ne sont pas le fruit d’un mal-être global. Ces conduites semblent d’une part, survenir chez des jeunes faisant état de moments réguliers de mal-être (déprime, nervosité) et d’autre part, obéir à des facteurs interpersonnels et sociaux (relations avec les pairs, intégration scolaire).
L’adolescence et le risque
Si l’observation du risque (toxicomanies, suicides, sexualités dangereuses, etc.) n’est pas nouvelle, le développement de cette notion telle que nous la connaissons actuellement est relativement récent et «repose largement sur l’application du paradigme épidémiologique à l’étude des comportements humains». Ce développement récent va de pair avec un accroissement des conduites considérées comme à risque (mauvaises habitudes alimentaires, imprudences au volant, consommation de café, «brossage» scolaire, non-port du casque à vélo, etc.) qui sont elles-mêmes déterminées par une multitude de facteurs de risque (attitudes, connaissances, influence des pairs, comportements familiaux, recherche de nouvelles expériences, ennui, etc.). Cet accroissement des comportements considérés comme à risque provient notamment de l’extension de la notion de santé qui, en tant que bien-être physique, mental et social, se voit déterminé par un nombre plus important de conduites mais aussi du fait que «le nombre de facteurs de risque potentiels pour un problème de santé donné est incalculable» (Perretti-Watel, 2004, p.103-112). Il s’inscrit aussi dans l’évolution des connaissances médicales qui font que des comportements jugés anodins dans le passé acquièrent le statut de risque dans le présent.
Derrière la prise de risque chez les jeunes, nous avons une multitude de comportements dont «le trait commun consiste dans l’exposition de soi à une probabilité non négligeable de se blesser ou de mourir, de léser son avenir personnel ou de mettre sa santé en péril» (Le Breton, 2007, p.122). Cette conception du risque appliquée à la santé globale concerne des comportements marginaux de «mise en jeu de sa propre vie» (Adès et al., 2004), de confrontation au danger et à la mort (suicide, anorexie, course automobile, etc.), des conduites de «souffrance» (automutilations, boulimie, etc.), des conduites socialement valorisées (sport intensif, addiction au travail, etc.), des comportements socialement réprouvés (délinquance, violence, usage de psychotropes, etc.) ou encore des conduites largement répandues au sein de nos sociétés (consommation d’alcool, habitudes alimentaires, rapports sexuels, etc.).
Aborder la question du risque, c’est aussi se rappeler que la vie est en soi un risque et que le risque zéro n’existe pas. Prendre en considération que le risque fait partie intégrante de la vie, qu’il est utopique de pouvoir le contrôler dans son intégralité, c’est aussi préparer le jeune à l’anticiper, à le gérer, à le dépasser, à réaliser des choix en «connaissance de cause».
Comme souligné ci-dessus, les conduites à risque font fréquemment partie de la construction identitaire de l’adolescence (découverte de soi, de son autonomie et de ses limites, reconnaissance et valorisation auprès des pairs, etc.) sans pour autant signifier automatiquement une mise en péril de la santé. Sur ce point, il importe de conserver à l’esprit que le risque à l’adolescence renvoie, majoritairement, à une expérimentation d’indépendance et, minoritairement, à une construction d’une personnalité déviante ou pathologique. La dépendance à des produits psychoactifs, hormis pour le tabagisme, présente un caractère relativement marginal notamment parce que les usages de drogues dites dures (cocaïne, héroïne, etc.) sont particulièrement peu répandus chez les mineurs ou, encore, parce que les symptômes de sevrage font suite à des années de consommation. Aborder les usages de substances psychoactives à l’adolescence, c’est aussi prendre en compte que:
–ces usages sont instables et les motivations liées à ces usages sont changeantes au cours de cette période de vie;
–le niveau de consommation à l’adolescence est peu prédictif de la consommation à l’âge adulte et ceci, contrairement à la précocité de ces usages;
–les usages adolescents – et plus encore ceux des jeunes adultes – sont plus souvent abusifs et liés à des moments spécifiques à forte connotation sociale que ceux des adultes qui sont davantage inscrits dans le quotidien et liés à des raisons personnelles (oublier le travail, se détendre, etc.);
–les usages abusifs ont tendance à diminuer avec l’entrée dans la vie active et l’implication dans une relation affective et familiale stable.
À l’adolescence, et encore plus pour les jeunes adultes, ce sont surtout les comportements sous l’influence de psychotropes et plus particulièrement sous l’influence de l’alcool (conduite d’un véhicule, rapports sexuels non protégés, bagarres, etc.) qui sont les plus préoccupants. Quant à l’installation dans des conduites d’usage répété et/ou de dépendance, si elle connaît habituellement ses balbutiements au cours de l’adolescence, elle dépendra aussi en grande partie de la manière dont l’adolescent arrivera à s’intégrer de manière satisfaisante dans la vie adulte (création d’une vie de famille, intégration professionnelle, etc.) (Williams et al., 2001; Briefer, 2002; Bachman et al., 2002, cités Bingham et al., 2008; Maggs et al., 2004/2005; O’Malley P., 2004/2005, Beck et al., 2007).
La prise de risque à l’adolescence s’inscrit bien souvent dans des rapports intergénérationnels, dans un décalage entre des conduites «subjectivement» perçues comme bénéfiques par les adolescents et «objectivement» conçues comme à risque par les adultes. Ce sont donc davantage les adultes qui perçoivent les comportements adolescents comme à risque plutôt que les adolescents eux-mêmes.
Les jeunes ne raisonnent généralement pas en termes de risque –raisonnement peu cohérent avec leurs représentations relativement abstraites du futur– mais plutôt en termes d’apports immédiats, d’apports inscrits dans le concret des actions. C’est par leurs diverses expériences personnelles, qu’elles soient à risque ou pas, qu’ils entendent se déterminer (Fize, 2002). La consommation de psychotropes par les jeunes est ainsi habituellement orientée vers d’autres fins que le risque: dépasser ses inhibitions, accroître sa capacité physique, se valoriser auprès des pairs, «expérimenter des états de conscience modifiée», etc. Cette quête apparaît notamment lors de l’usage assez répandu d’alcool au cours des premières relations sexuelles. Si cet usage peut favoriser l’adoption de rapports non protégés ou non souhaités, il constitue bien souvent pour le jeune un moyen de contourner la crainte de l’échec, un prétexte si nécessaire, «au fait de ne pas avoir été soi-même», «une manière de se garder une porte de sortie, de sauver la face» (Le Breton, 2006, p.22 et 25).
Les discours, les valeurs et les normes véhiculées dans la société, créés par les divers secteurs d’activité (économique, politique, scientifique, sanitaire, culturel, etc.) et disséminés par les médias vont aussi participer au façonnage des conduites à l’adolescence. Ainsi des valeurs de performance, de dépassement de soi, d’hédonisme, de réalisation personnelle ne sont pas limitées à un secteur de vie particulier. Elles se conjuguent également dans les conduites de consommation de produits psychoactifs qui peuvent devenir pour les jeunes un moyen de se mesurer entre eux, de s’affirmer et de se dépasser. Comme le souligne Le Breton, «le fait de «tenir l’alcool» suscite l’admiration et permet d’exister dans le regard des autres» (2006, p.25). Le risque peut donc lui-même se révéler enjeu de compétition avec comme conséquence, entre autres, que plus le risque est important et extrême, plus il est valorisable aux yeux des pairs. Dans ces circonstances, le principal danger pour le jeune, c’est probablement lorsque sa valorisation sociale se limite à cette prise de risque, lorsqu’il n’arrive pas à se valoriser ou à se structurer autour d’autres dimensions de sa vie (scolaire, familiale, affective, etc.). À remarquer que ces valeurs de dépassement de soi, de compétition, d’hédonisme se retrouvent particulièrement bien dans les stratégies mises en place par les cigarettiers et les alcooliers afin de favoriser la consommation de leurs produits. Leurs publicités ou stratégies d’action sont ainsi largement associées à des symboles de préférence eux-mêmes à risque mais connotés positivement par la société (sport, soirée, aventure, festival, etc.).
À force de pointer du doigt les conduites à risque à l’adolescence, il est aussi légitime de se demander dans quelle mesure nous façonnons les normes juvéniles, nous construisons de nouvelles identités juvéniles et ce même si ces réalités sont loin d’être représentatives de la réalité adolescente. Ce formatage, nous en sommes tous responsables à des degrés divers même si nous n’en avons pas toujours conscience. Comme le signale le site d’Infor-Drogues (www.infor-drogues.be), une campagne telle qu’il n’y a «pas de fêtes sans Bob» si elle vise à prévenir l’insécurité routière, avalise également l’idée qu’il n’y a pas de fête sans alcool. De même, en tant que producteurs de données, lorsque nous décrivons les conduites adolescentes uniquement au travers du prisme de données chiffrées, nous appréhendons ces comportements sous un regard froid, restrictif, «insensé» alors que ces comportements prennent tout leur sens lorsqu’ils sont «saisis de l’intérieur, resitués dans leur contexte» (Van Campenhoudt, 2001, p.34).
L’adolescence, ce n’est pas une simple juxtaposition de conduites à risque. Les adolescents, ce sont également des adultes en devenir, ni pires, ni meilleurs que ces derniers mais qui, dans un même temps, présentent des qualités indéniables. Ils sont souvent sensibles aux injustices et un bon nombre d’entre eux croit profondément à l’amour, à l’amitié, à l’égalité. Moins utopistes que leurs aînés, beaucoup ont des rêves «raisonnables»: fonder une famille, trouver un travail intéressant. Ils sont habituellement en plein développement de leurs capacités critiques et font souvent preuve d’inventivité, de créativité, de dynamisme, d’adaptabilité. Souvent, pour eux, la pratique d’un sport, d’une activité, d’un loisir (roller, vélo, jeux électroniques, musiques, tag, etc.), ce n’est pas un simple moyen de se maintenir en forme ou de se détendre, c’est aussi souvent l’occasion d’exprimer leurs habiletés, de faire preuve de dextérité (Fize, 2002). Une autre force des adolescents, c’est leur capacité à dépasser leurs souffrances, leurs détresses, à renverser le développement d’un processus pathologique (Laufer et al., 1989, cités par Le Breton, 2007).
Dans la deuxième partie de cet article , nous aborderons l’évolution des conduites de consommation ainsi que la persistance au cours du temps des inégalités entre filles et garçons et entre filières d’enseignement . Nous terminerons en évoquant quelques pistes d’intervention .
Damien Favresse et Patrick De Smet , Service d’information promotion éducation santé – SIPES ULB
Référence et origine du texte – Favresse D., De Smet P., Tabac, alcool, drogues et multimédias chez les jeunes en Communauté française de Belgique. Résultats de l’enquête HBSC 2006. Service d’Information Promotion Éducation Santé (SIPES), ESP-ULB, Bruxelles, 2008.
(1) Voir http://www.ulb.ac.be/esp/sipes – onglet Publications, pour télécharger les documents de l’Enquête Health Behaviour of Schoolaged Children. Vous y trouverez notamment la bibliographie complète relative à cet article.