Une campagne générique de sensibilisation sur le thème de la vaccination a été mise en place récemment par la Communauté française dans le cadre du dispositif permettant la diffusion gratuite de messages de promotion de la santé sur les chaînes francophones belges.
Initiative citoyenne , une association très active opposée à la vaccination a porté plainte contre cette campagne auprès du Jury d’éthique publicitaire (JEP), organe d’autorégulation du secteur de la communication commerciale. Le JEP a suivi en partie la plaignante, et exigé une modification significative du message.
Il n’a pas retenu l’argument selon lequel les vaccins étant soumis à prescription, toute publicité en leur faveur destinée au grand public est prohibée comme c’est le cas des autres médicaments qui ne sont pas en vente libre.
Par contre, il a suivi la plaignante sur le contenu du spot (nous citons le JEP) :
Le Jury a constaté que les spots radio et TV mentionnent entre autres ce qui suit : ‘La vaccination est une protection utile et efficace. Elle nous permet d’éviter les maladies et leurs complications’.
Le Jury est d’avis que ces affirmations, qui ne sont nullement atténuées par des mises en garde, suggèrent que l’effet de la vaccination est assuré à 100% et omettent de mentionner les risques éventuels.
Étant donné les enjeux en matière de santé et le manque de certitude quant à une efficacité totale et quant à l’absence de tous risques, le Jury a estimé que les affirmations susmentionnées sont trop absolues et de nature à induire le consommateur en erreur au sens des articles 3 et 5 du code de la Chambre de commerce internationale.
Eu égard à ce qui précède, le Jury a pris une décision de modification et a dès lors demandé à l’annonceur d’atténuer les affirmations en question de manière à ce que les spots ne soient plus en infraction avec les dispositions évoquées.
Le Jury a également recommandé à l’annonceur, nonobstant la non applicabilité en l’espèce des dispositions légales relatives aux avertissements habituels en matière de médicaments, de mentionner qu’il est conseillé d’en parler à son médecin.
Enfin, le Jury a estimé devoir ne pas formuler de remarques par rapport aux autres aspects évoqués dans les plaintes (à savoir notamment le caractère discriminatoire de la publicité ou son manque de responsabilité et le non-respect du droit du patient à un consentement libre et éclairé), à défaut d’infractions à des dispositions éthiques ou légales.
Réaction ministérielle
Comme on s’en doute, cette décision n’a guère plu à Fadila Laanan , Ministre de la Santé de la Fédération Wallonie-Bruxelles, à l’origine de la campagne.
Voici sa réaction :
À la suite des avis juridiques qui lui ont été communiqués, la Ministre de la Santé en Fédération Wallonie-Bruxelles, Fadila Laanan, estime que le Jury d’éthique publicitaire (JEP) n’est pas compétent pour examiner une plainte relative à une campagne de promotion de la santé approuvée par le Gouvernement relative à la vaccination.
Cette campagne de sensibilisation à la vaccination a été mise sur pied dans le respect et sur le fondement de l’arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 18 janvier 1995 relatif à la diffusion de campagnes d’éducation pour la santé par les organismes de radiodiffusion.
Conformément au prescrit de cet arrêté, la campagne diffusée est un message d’intérêt général et non une publicité avec une transaction commerciale. Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’une campagne «publicitaire».
Les objectifs de la campagne de radiodiffusion des spots consacrés à «la vaccination à tous les âges de la vie» sont extrêmement clairs. Ils visent à rappeler à l’ensemble des citoyens l’intérêt que présente la vaccination tant en termes de protection individuelle que collective. Le but de cette campagne est de faire en sorte que les citoyens pensent à la vaccination, qu’ils en parlent, qu’ils s’interrogent et qu’ils posent les questions aux professionnels de la santé qui peuvent les aider à trouver les réponses.
L’ambition d’une campagne de communication générale n’est jamais d’aborder chaque cas singulier mais bien de diffuser un message d’intérêt général.
La campagne de sensibilisation à la vaccination a reçu l’avis favorable de la Commission d’avis sur les campagnes radiodiffusées de promotion de la santé constituée par le Conseil supérieur de promotion de la santé.
Les propos du JEP relatifs au manque de rigueur scientifique dans l’élaboration de cette campagne sont dès lors dépourvus de fondement. La Commission précitée a procédé à un examen minutieux tant du fond que de la forme de la communication télévisuelle. Elle a vérifié l’éthique du projet, sa rigueur scientifique et sa cohérence au regard du Programme quinquennal de promotion de la santé applicable au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Les membres du JEP auraient, à cet égard, pu prendre la précaution de se renseigner quant aux procédures préalables qui entourent la réalisation des campagnes de promotion de la santé soutenues par la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Les informations recueillies auraient dû suffire au JEP pour s’abstenir d’émettre la moindre remarque à la suite des plaintes.
Qui plus est, le Jury, émanation d’une association sans but lucratif de droit privé, ne s’est pas assigné la mission de donner des avis juridiques et n’a au demeurant nullement la compétence de trancher un différend entre la Fédération Wallonie-Bruxelles et les détracteurs de la vaccination, alors que telle semble être la portée des plaintes dont il a été saisi.
Dans ces conditions, la Ministre de la Santé, Fadila Laanan, déclare le JEP incompétent pour connaître des griefs des personnes qui ont entendu dénoncer cette campagne auprès de lui.
Le message véhiculé par la campagne et faisant l’objet de la plainte consiste à rappeler que la vaccination permet d’«éviter les maladies». Ce message est strictement vrai et ne signifie pas qu’elle donne une garantie absolue de ne jamais contracter les maladies concernées.
Par ailleurs, mentionner les «risques éventuels» des vaccins dans un message visant à encourager le public à se faire vacciner n’est pas envisageable dans un spot de trente secondes. C’est évidemment le rôle et la responsabilité du médecin d’évaluer au cas par cas le rapport bénéfices/risques et les éventuelles raisons de ne pas vacciner.
Évoquer ces risques est inadéquat. Les risques sont en effet soit assez fréquents mais parfaitement bénins (il s’agit d’inconforts passagers), soit plus sérieux mais extrêmement rares (moins d’un cas sur 10.000), soit même encore non démontrés scientifiquement.
Enfin, recommander d’en parler à son médecin est inutile dans la mesure où il n’est possible ni de se procurer ni de se faire administrer les vaccins autrement qu’en consultant un médecin.
Notre commentaire
Les adversaires de la vaccination ont depuis quelques années repris du poil de la bête, et les excès de l’alerte à la pandémie mondiale de grippe AH1N1 en 2009, avec des commandes massives par les pouvoirs publics de vaccins jamais utilisés, y ont sans doute peu ou prou contribué, jetant une ombre sur l’ensemble de la vaccination.
Dans ce contexte, on peut comprendre la volonté des pouvoirs publics francophones de rappeler le bien-fondé de bonnes couvertures vaccinales pour éviter nombre de maladies infectieuses. On ne s’étonnera pas non plus de la réaction d’Initiative citoyenne, un collectif ‘virulent’ et bien organisé.
Le rôle du Jury d’éthique publicitaire dans cette affaire est plus contestable. En effet, décider qu’il aurait fallu mettre en garde contre les risques de la vaccination sans mettre en avant la balance (objectivement favorable) entre les avantages et les inconvénients n’est pas très sérieux. Imagine-t-on une seconde telle marque de voiture être forcée de rappeler dans ses pubs que l’automobile fait beaucoup plus de victimes que les effets secondaires des vaccins, ou le leader du marché des chocos à tartiner matinaux contraint de souligner qu’ils contribuent à creuser la tombe de leurs consommateurs petits ou grands avec leurs dents ?
Plus fort, c’est le même JEP qui, en mars 2009, ‘déboutait’ un plaignant à propos de la première diffusion de la campagne de sensibilisation sur la dysfonction érectile (voir mon éditorial de novembre), qui n’est en fait qu’une publicité à peine masquée pour un médicament sur prescription, donc interdit de médias destinés au grand public.
Tout cela n’est guère sérieux, et apporte de l’eau au moulin de ceux qui, comme nous, plaident en faveur d’un contrôle réel des dérives publicitaires par un organe public, et non par l’émanation des parties prenantes du business renforcées de quelques représentants de la ‘société civile’ pour faire joli…
Christian De Bock